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Etienne Ethaire : "La langoureuse".

Par Manus

Etienne Ethaire : "La langoureuse".

« Un lecteur ne doit jamais sortir indemne d’un roman », prévient Etienne Ethaire, auteur du roman « La langoureuse » éd. Le Somnambule Equivoque », 2003 et deuxième tirage, 2009, lors de l’interview qu’il accorde à cette maison d’édition.

Etienne Ethaire est un auteur belge, « un écrivain de l’intimité » comme il se définit lui-même, avec la particularité d’écrire au « je narratif » féminin.

La part féminine de l’auteur se déploie par l’exploration sans limites de l’âme humaine, de l’âme de la femme.  Exercice difficile que celui d’endosser non seulement la peau d’un autre genre sexuel, mais surtout d’être en mesure de vivre les émotions et les tribulations qui agitent la femme.

Ethaire réussit avec une facilité déconcertante - je devrais corriger en disant, avec un surprenant doigté - à exprimer, non que dis-je, à vivre les joies et les douleurs les plus enfouies qui régissent le genre XX.

Il plonge, se noie, s’imprègne, est submergé, entraîné dans les abysses sombres de ce que nous-mêmes, ignorantes ou volontairement aveugles, refusons de laisser remonter à la surface.

« Je cherche une parcelle de vérité, jamais davantage … » dit-il sur la page d’accueil de son site

On ne peut qu’acquiescer après l’avoir lu.  Ses personnages lui collent à la peau, comme ils collent à la nôtre.  Tout comme ils sont jumeaux du genre féminin qui déambule à travers l’humanité.   En touchant au plus près de la vérité - douleur et souffrance exprimées par l’anorexie dans ce roman -, l’auteur, par cette extraordinaire introspection de sa part féminine, révèle la femme au grand jour.

Hommage à la femme, je ne sais.  Mais nul doute qu’Etienne Ethaire, par la compassion, la compréhension et l’altérité qu’il exerce, élève l’homme à mesure du degré de respect et de la dignité qu’il restitue à la femme.

Mameea Lori, au physique de miss doté d’une intelligence redoutable, a vint-quatre ans aujourd’hui.

Elle vit seule avec son père qui est médecin.  Son plus jeune frère mène sa vie ailleurs, il est grand maintenant.  Ils s’entendent bien, son père et elle.  Pourtant, dans la relation, il y a comme une prison.  Quelque chose qui l’enferme de l’intérieur.  Boucle ses émotions.  Etreint ses sentiments.  Et fait croître en elle cette blessure, cette souffrance qu’elle ne sait pas encore très bien nommer, mais qui est belle et bien là depuis qu’elle a quinze ans.

Vingt-quatre ans aujourd’hui.  Et la langueur qui la possède.  Grandit en elle par l’intérieur et lui ronge l’âme et les os, les artères et les aortes du cœur comme un rat grignotant frénétiquement son morceau de déchet.

A moins que le corps de Maleea Lori soit un déchet ?  Il est certain qu’elle le contrôle bien ce corps.  Capable de refuser de manger, parfois de décider de ne manger que selon une couleur différente imposée chaque  jour : un jour les aliments gris, un autre les bleus (ça n’existe pas, ha !), un autre les rouges … 

Son corps maigrit.  Bien sûr.  Depuis le temps qu’elle ne mange plus.  Et son père est impuissant, ne sait que lui dire, sourires gênés, je ne sais que faire de toi, claque la porte, revient s’asseoir au bord du lit, puis part, désemparé.

L’anorexie, terrible maladie exprimant une souffrance qui se démène  à l’intérieur d’un jeune corps.

Mais avant d’en arriver à ce point crucial, Maleea réussissait brillamment ses études ; était tolérée par le corps professoral grâce à ses résultats scolaires élevés alors même qu’elle s’offrait à tous les garçons, donnant son corps pour qu’ils en usent et abusent comme ils veulent.  Qu’ils la salissent seulement, cela ne fera que confirmer cette indignité qui l’habite depuis… si longtemps.  Qu’ils la mouillent de leur sperme, qu’ils la maltraitent, tous, les uns après les autres, à la chaîne, ensemble pourquoi pas, cela lui est égal.  Ce corps lui obéit et il fera ce qu’elle en voudra.  Elle sait que ce corps rend les garçons fous.  Facile de le balancer en écartant seulement les cuisses.  Cela la fait bien ricaner de les voir s’agiter ainsi sur elle.  Qu’ils continuent.  C’est ce qu’elle a décidé.  C’est ce qu’elle veut s’infliger.

Ces garçons ne sont que les pantins de ce qu’elle veut se faire subir à elle-même.  Si elle pouvait se cracher dessus et se vomir, elle n’hésiterait pas une seule seconde.  Me comment se vomir soi-même ? 

Ce soi, ce moi qui la fait tant souffrir, Maleea Lori essayera de le faire taire en détruisant son corps. Encore un peu moins manger aujourd’hui.  L’aiguille de la balance baisse.  Tous les jours un peu plus.  Jusqu’à devenir un paquet d’os ne tenant ensemble que grâce à son épiderme, sec.

Mais nous savons ce qui lui cause tant de douleurs.  Le lecteur s’en aperçoit très vite.  Etienne Ethaire le dit, lui, à travers Maleea, que sa mère l’a abandonnée, oh, il y a longtemps déjà, on va dire à sa naissance.  Pour un tas de raisons… vénales.

P18 : « J’étais un monstre, impossible de m’imaginer autrement qu’en fœtus gluant !  J’ignore pourquoi, mais je devais être différente des autres embryons qui vivent à travers les échographies.  Moi, je n’étais qu’un magma de cendres, un atome de non-matière en attente du passe de l’aspirateur … »

Quelle mère peut abandonner ainsi son enfant ?  Ne jugeons pas, chacun son histoire ; c’est ce que Maleea fait, elle ne juge pas sa mère qui l’a engendrée au lieu de l’aspirer.  Mais elle ne peut empêcher son corps de se plier à sa volonté et de maigrir, de maigrir.  De maigrir.

Un jour, pourtant, elle rencontrera sa mère.

Une rencontre qui se poursuivra dans une relation fusionnelle, sensuelle, seule moyen qu’elle  auront toutes deux réussit à mettre en place pour se retrouver : par l’étreinte des corps.

Mais son corps maigrit.  Encore et toujours, depuis que son père lui a interdit de la revoir.

Rien ne peut remplacer l’amour d’une mère.

Rien ne peut remplacer l’amour et la tendresse, l’affection et l’écoute qu’un père est incapable de donner.

Le corps de Maleea est décharné.  Horrible.  Immonde.  Reflet d’une souffrance qui l’aura bouffée tout entier. 

Il est surtout sublime, ce corps.  Magnifique.  Merveilleux.  Car il est aussi l’expression de tout l’amour qu’elle est capable de recevoir et de donner.

Ce roman raconte l’âme qui anime ce corps désarticulé ; chant du cygne qui ploie, avec grâce et élégance, une dernière fois son cou.  Ultime salut à la femme.

Savina de Jamblinne.


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