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Kandahar miné par l’héroïne bon marché

Publié le 07 janvier 2008 par Willy

Kandahar miné par l’héroïne bon marché

Par CÉLIA MERCIER - http://www.liberation.fr/


Selon les chiffres officiels, il y a 500 fumeurs d’héroïne à Kandahar. «Mais regardez ma liste d’attente pour la cure de désintoxication : j’ai déjà plus de 1 100 inscrits», montre Sayed Jalal, directeur d’un centre de désintoxication, financé par l’ONG Wadan. Il n’a que vingt lits, et c’est l’un des deux seuls centres de la ville. L’autre est une clinique privée qui coûte 200 dollars par mois. Sur les terres afghanes, le pavot fleurit comme jamais : la production d’opium a encore doublé cette année, atteignant 8 400 tonnes, un record depuis la chute des talibans. La moitié est produite près d’ici, dans la province de Helmand. Profitant de l’instabilité politique, les barons de la drogue disposant de relais haut placés, ont installé leurs laboratoires d’héroïne sur les zones frontalières. Les contrebandiers ouvrent ensuite les portes du monde à la poudre grise.

Crise de manque. Mais son sillage de mort commence ici en Afghanistan, avec une dramatique chute des prix cette année qui rend le produit encore plus accessible. «Le kilo d’opium coûtait 500 dollars en 2006. Avec la récolte record de 2007, le prix a chuté à 100 dollars. Le gramme d’héroïne s’achète maintenant pour une poignée de dollars», constate un médecin du centre. Dans la cour de Wadan, des hommes déambulent, vêtus de tuniques bleues, la tête rasée, «signe qu’ils entrent dans une nouvelle vie», explique Sayed Jalal. Ils ont des journées actives : nettoyage des locaux, sport, mais surtout religion. «Ils ont des cours, ils comprennent que la drogue est interdite par l’islam. Nous encourageons aussi nos patients à faire les cinq prières quotidiennes pour avoir la force de tenir.» Car la crise de manque est terrible et le centre ne propose que des somnifères et des antidouleurs, pas de traitements de substitution «trop longs, trop coûteux».

Ramatullah, un tout jeune homme qui passe sa première journée au centre, a été mis en demeure de se soigner : «Dans un mois ma famille va me marier, murmure-t-il. Si jamais mes futurs beaux-parents apprennent que je suis drogué c’est la catastrophe. Je suis la honte de ma famille.» Selon Sayed Jalal, la majorité des patients sont des jeunes : «Notre nouvelle génération utilise très facilement ces drogues, nous avons même traité deux enfants de 12 ans. Il y a trente ans, il n’y avait aucun fumeur d’héroïne. Aujourd’hui tout le monde en connaît un parmi ses proches. Même la police a un vrai problème de drogue, beaucoup de policiers sont de gros consommateurs.» Plus de 4 % de la population serait tombée dans la drogue. Pauvreté, chômage, retour massif de réfugiés toxicomanes, manque de prévention… et des prix défiants toute concurrence, le cocktail est explosif.

Alternatives. Les femmes sont aussi touchées. «L’opium est utilisé dans les campagnes en Afghanistan pour la douleur, les rhumes, les insomnies. Les gens en gardent chez eux pour se soigner, explique un infirmier du centre. Les femmes y ont facilement accès, mais si elles l’utilisent pendant une semaine, elles deviennent accros.»La prise de drogue est souvent liée aux problèmes de ménage : une première épouse qui se sent délaissée après l’arrivée d’une deuxième femme, un mariage forcé, la mort du mari, etc. Certaines mendient dans le bazar ou se prostituent pour s’acheter leur dose.

Une grande affiche colorée, à l’entrée de Kandahar, tente de décourager l’usage de drogue, montrant un homme décharné fumant de l’héroïne. C’est le département antidrogue de la ville, dirigé par Gul Mohammad Shukran, qui l’a fait installer. Le fonctionnaire dresse un triste tableau : «Le gouvernement n’a plus de contrôle sur les provinces du sud. Les trafiquants et les talibans sont alliés. Les talibans taxent les cultivateurs d’opium, au nom d’une zakat [«donation»] pour lutter contre les forces étrangères, et achètent des armes. Les policiers réclament entre 5 000 et 10 000 afghanis [entre 70 et 140 euros, ndlr] aux cultivateurs pour ne pas éradiquer leurs champs.» Mais le gros des bénéfices est récupéré par les officiels impliqués dans ce trafic et par la mafia internationale.

Les plans d’éradication ont tous échoué et les cultivateurs ne se voient proposer aucune alternative viable. Le président Karzaï a tenu tête aux Américains qui réclamaient la pulvérisation chimique des champs. Quant au Parlement européen, il a adopté une recommandation pour proposer des projets pilotes de fabrication de morphine et de médicaments à base d’opium, plutôt que de l’éradiquer. Le pavot équivaut pour le moment à plus de 50 % du PIB afghan.


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