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Sayouba Traoré : L'héritier

Par Gangoueus @lareus
Voici un roman dont les échos positifs me sont parvenus à plusieurs reprises cette année. En surfant sur le Net ou dans des discussions de salon. Le bouche à oreilles. Il m’a attiré à plusieurs titres. L’auteur est burkinabé. Le sujet semblait traiter la prostitution de manière assez singulière. Les productions des éditions Vents d’ailleurs m’intéressent.
Sayouba Traoré : L'héritier
Je viens de terminer la lecture de cet ouvrage avec une sentiment partagé, mi-figue, mi-raisin. Je m’explique. Sayouba Traoré place son sujet en milieu citadin, dans un pays jamais nommé que l’on pourrait supposer être le Burkina Faso. On part d’une cour familiale. Un patriarche respecté, retraité, qui fut pépiniériste à l’époque où il travaillait pour la fonction publique. Ténin, son épouse, femme singulière, personnalité complexe. Mouni, est l’aîné de cette famille monogame, musulman comme son père, jeune diplômé rentré il y a quelques années d’Europe de l’est, chômeur, et son épouse Odile de confession protestante, universitaire aussi et sans emploi. On imagine d’autres frères et sœurs dans cette demeure familiale. Mais l’attention de l’auteur est centrée sur Mouni. Car ce jeune homme se vend la nuit à des européennes dans les grands hôtels de la ville. Il nourrit le tourisme sexuel de ces femmes au porte-monnaie lourd.
Au grand dam du désarroi de sa famille et de son épouse.
Sayouba Traoré nous décrit cette réalité étonnante avec un mode de narration qui tient le lecteur en haleine et il ne se gêne pas d’accorder au lecteur quelques scènes torrides dont il semble avoir pris un certain plaisir à mettre en scène. Si certaines situations choqueront le lecteur prude, il n’en reste pas moins que la violence de ces scènes nous renvoie à la violence endurée par des milliers de jeunes africains qualifiés qui doivent, quand c’est possible, renoncer à leurs idéaux, pactiser avec le diable, lécher les bottes poussiéreuses d’une parentèle ou une élite détenant le pouvoir économique mais n’offrant des opportunités de travail à des cercles restreints. Alors pourquoi s’émouvoir ?
Sayouba Traoré : L'héritier
En parallèle, il revient sur le parcours du pépiniériste et de Ténin pour mieux poser le contexte et les rapports entre les différents personnages. Sur cette relation monogame que le patriarche a su défendre au mépris des rites en vigueur à son époque et avec l’influence de son épouse.
C’est surtout le regard de l’épouse, Odile, qui doit composer sans céder avec les choix immoraux de son mari. Et c'est un aspect intéressant dans ce roman, à savoir le fait que si les femmes ploient, elles ne rompent jamais. En tout cas sous la plume de l'écrivain burkinabé. Dans la construction de Sayouba Traoré, on sent une sainte révérence pour la mère, l’adoration de l’épouse, que les combats livrés sont ceux de la reconquête du terrain cédé à la société ou de l’emprise sur le fils bien-aimé. On ne trouve pas souvent en littérature africaine des postures aussi assumées de la dépendance de l’homme vis-à-vis de la femme. Voilà pour la moitié de figue.
Pour le raisin, on a le sentiment que Sayouba Traoré perd le fil de son sujet sur la fin du roman. Certes, cela ne nuit pas à l’ensemble du roman, le style très cadencé et singulier du romancier burkinabé porte ce roman. Les phrases sont courtes, ciselées, au présent même quand la scène décrite est un passé. C’est particulier mais ça tient la route. Mais il me semble que le personnage de Mouni ou Franck est abandonné au détriment d’Odile alors que beaucoup de questions restent en suspens à son sujet. La fin est assez rapide pour un livre intitulé L’héritier où justement cette question de l'héritage galvaudée est plus que brulante lorsque ce jeune couple décide de s’extraire de l’emprise de la famille. La question dérangeante de la prostitution (au sens propre comme au sens figuré) des élites pour survivre est supplantée par le conflit entre modernes et tenants de la tradition.
Cela étant précisé, ce roman mérite d'être lu, il dérangera, c'est certain.
Bonne lecture,
Sayouba Traoré, L'héritier
Editions Vents d'ailleurs, 146 pages
1ère parution en 2009
Cet ouvrage a été également chroniqué sur les sites Biblioblog,

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