En l’absence d’un musée d’art contemporain, la capitale libanaise dispose, outre le Beirut Art Center et le récent Beirut Exhibition Center, de nombreuses galeries qui assurent la promotion d’artistes libanais et étrangers (rarement français toutefois), jeunes ou confirmés.
Parmi celles-ci, la Qcontemporary Art Gallery, située non loin de la Marina de Beyrouth, offre un espace lumineux et fait preuve d’une réelle ouverture au monde, en exposant des œuvres de l’Egyptien Hani Rashed et du Syrien Kais Salman mais aussi des toiles très intéressantes du Sud-Africain Gavin Rain, d’autres œuvres, d’un artiste Thailandais très prometteur, Chartchaï Supin, d’autres encore du Chinois Tianbing Li et des sculptures de l’Américain James Clar qui font la part belle à la lumière artificielle.
Voisine de la précédente, la Ayyam Gallery, déjà présente à Damas, à Dubaï et au Caire, offre une sélection d’artistes de premier plan. Le Syrien Assad Arabi, avec sa toile Les Jumeaux, s’inscrit dans la riche lignée des expressionnistes, dont Emil Nolde fut l’un des plus importants représentants. Autre artiste syrien, Safwan Dahoul expose de belles toiles dans le goût cubiste. A noter encore le Libanais Nadim Karam dont les sculptures métalliques, sont parfois recouvertes de perles multicolores comme son curieux animal à trois oreilles, Mimi. Citons encore deux artistes majeurs, le Syrien Thaier Helal, dont les remarquables compositions abstraites, parfois de taille monumentale, se fondent sur une division minutieuse de l’espace, et la Palestinienne Samia Halaby, qui expose actuellement, et jusqu’au 27 novembre, des toiles abstraites aux couleurs vivifiantes et aux traits vigoureux.
Autre lieu incontournable, la Galerie ALWANE offre un très vaste espace dans le quartier élégant de Saifi Village, proche de la Place des Martyrs (et un second espace, situé à Kaslik). Sa propriétaire, Odile Mazloum Andraos, elle-même artiste peintre, présente des toiles figuratives d’Amin El-Bacha et de Hassan Jouni, d’autres, très étonnantes et proches du graphisme de certaines bandes dessinées, de Zeina Assi, qui s’attache à représenter un univers de personnages et de paysages urbains. Citons encore les œuvres d’une abstraction très personnelle de Missak Terzian. Enfin, j’y ai retrouvé avec plaisir des toiles de Fatima El-Hajj, une artiste à laquelle j’avais consacré une chronique l’an dernier et que je tiens pour l’un des peintres majeurs de la scène picturale du Proche-Orient, une valeur sûre, comme l’atteste le succès de l’exposition organisée cette année dans la même galerie, qui mériterait d’être plus connue en Europe.
Cet établissement propose également – et c’est là une approche assez originale – des tableaux européens du XVIe au XIXe siècle, pas nécessairement orientalistes, des meubles anciens et des bronzes du XIXe. Art contemporain et antiquités se côtoient donc ici, ce qui permet à des œuvres françaises classiques d’être présentes sur la scène culturelle libanaise.
En outre, les initiatives du Centre Culturel Français pour l’année 2010 restent à souligner. Le CCF a en effet organisé une exposition « 2000-2010, dix ans d’art contemporain », destinée à faire connaître seize artistes français aux parcours significatifs. Cette manifestation ne manquait pas de courage car, si l’art contemporain attire facilement le public de Beyrouth, il semblait plus ardu d’y intéresser un public de province (l’exposition ayant été itinérante) plus habitué à des références classiques qu’à l’abstraction géométrique d’Yves Dubail, ou plus baroque, de Dominique Gauthier, aux télescopages figuratifs de Jean Le Gac, aux réinterprétations de chef d’œuvres de l’histoire de l’art d’André Raffray, au minimalisme d’André Stempfel ou de Ian Tyson ou aux formes allusives de Sylvie Fanchon.
Toujours cette année, dans le cadre du festival « Les Nuits du Ramadan », un groupe de musiciens ayant proposé un récital de musique franco-andalouse connut un réel succès à Saïda, tout comme, enfin, les projections de films de Jacques Tati. Ces manifestations, auxquelles assiste aussi un public jeune, participent au rayonnement de la culture française dans un pays qui fut, depuis des siècles, des plus ouverts à l’accueillir.
L’apprentissage de la langue connaît également des développements encourageants. Si, traditionnellement, le Français fut avant tout parlé par la communauté chrétienne et les élites du pays, on voit aujourd’hui ce paysage se modifier sensiblement. Beaucoup de membres des classes moyennes souhaitent rejoindre les classes supérieures dans la voie du trilinguisme, l’Anglais étant sans doute privilégié dans le monde des affaires (à l’exception du secteur bancaire, où le Français prévaut encore) et notre langue, dans celui de la culture. Enfin, il faut souligner, en particulier au Sud du pays, que les expatriés à destination de l’Afrique francophone, en majorité chiites arabophones, apprennent le Français pour des raisons qu’il est facile de comprendre. Cette manière transversale d’aborder la culture française contribue à en répandre la pratique, relayée et amplifiée par les enfants de ces expatriés, pour lesquels le Français devient souvent une seconde langue maternelle.
Les efforts déployés par le CCF ont d’autant plus d’importance qu’apparaissent actuellement des tensions entre une partie de la population libanaise et les militaires français de la Finul déployés au Liban sud. Ce phénomène est assez nouveau car le contingent français avait jusqu’à présent bénéficié d’une image très positive. Il fut ainsi reçu à bras ouverts dans les semaines qui suivirent la fin de la guerre de 2006, durant lesquelles la France construisit des infrastructures provisoires en remplacement de celles détruites par les bombardements, et qui permirent de rétablir les communications routières.
Mais, aujourd’hui, on reproche aux casques bleus français une rudesse de comportement dans leurs interventions (notamment des fouilles menées à domicile et dans les villages de la région) qui, dit-on, contraste avec le tact dont feraient preuve les militaires italiens ou espagnols. Pire encore, comme le notait Cécile Hennion dans son article du Monde du 3 octobre dernier, « Les griefs ne visent plus le seul comportement militaire, mais “la politique de la France au Liban”, perçue comme inéquitable et agressive à l’encontre du Hezbollah, très populaire dans cette région frontalière d’Israël. »
Cette perte de crédibilité de la France dans son rôle d’arbitre à la frontière libano-israélienne est tout à fait regrettable. Elle se traduit dans les confidences des Libanais que j’ai pu interroger, qui n’était pas tous chiites ou favorables au Hezbollah, mais aussi proches du Courant du futur, le parti du Premier ministre Saad Hariri, ce qui donne davantage de crédibilité à leurs propos. Pour les uns et les autres, depuis le départ de l’Elysée de Jacques Chirac, la position française, en rupture avec la tradition gaullienne, paraît s’être trop alignée sur celle des Etats-Unis. Et, comme il est fréquent dans les situations de tension, de folles rumeurs circulent, telle celle, aussi peu crédible que fort répandue, qui prétend que nos casques bleus transmettraient des renseignements aux forces israéliennes. En dépit des démentis de la Finul, le malaise persiste et il faudra sans doute déployer de nombreuses initiatives culturelles pour parvenir à restaurer l’image de la France dans cette partie du Liban.
Illustrations : Composition de Chartchai Supin - Composition de Thaier Helal - Composition de Zeina Assi - André Raffray, “Ambroise Vollard” - Affiche du film “Je veux voir”, de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.