Voici une décision particulièrement intéressante. Le Juge des référés du Tribunal administratif de Rennes vient, par ordonnance du 22 octobre 2010, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision par laquelle le Préfet Morbihan s'était opposé à la déclaration préalable d'un projet de centrale solaire solaire au sol. Le Juge a également enjoint au Préfet de reprendre l'instruction de ladite déclaration préalable (photo : salle d'audience du TA de Rennes).
Rappel des faits. Au cas présent, une société avait déposé une déclaration préalable pour la construction d'une centrale solaire sur une zone industrielle. Le Préfet, par arrêté, s'était opposé à cette déclaration préalable, rendant ainsi impossible la réalisation du projet.
La question de droit principale tenait au point de savoir si le projet de centrale solaire de cette société devait être apprécié isolément ou de manière cumulée avec d'autres projets situées à proximité. Pour le Préfet, il est néessaire d'opter pour une appréciation globale au terme de laquelle le projet ici en cause aurait dû donc faire l'objet d'une étude d'impact et d'une enquête publique préalables.
L'urgence est caractérisée. Le Juge des référés va tout d'abord apprécier le caractère d'urgence de la demande de suspension présentée par le pétitionnaire :
"Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la SAS AZIMUT 56 a été créée spécifiquement pour développer une activité de production d’énergie électrique photovoltaïque sur la zone industrielle de Port-Louis à Saint-Allouestre et qu’elle a dû engager des dépenses importantes pour déposer sa déclaration préalable et mettre en œuvre son activité, notamment en achetant d’ores et déjà le matériel, eu égard aux délais de livraison des constructeurs ; qu’elle a dû contracter un emprunt de 315 000 euros auprès d’une banque, dont la première échéance intervient en juillet 2011 et que la décision contestée risque de la contraindre à déposer son bilan ; que, dans ces conditions, l'exécution de la décision contestée est de nature à porter une atteinte grave et immédiate à sa situation, la circonstance qu’elle aurait réalisé lesdits investissements avant même de bénéficier d’une autorisation pour le projet litigieux ne pouvant au cas d’espèce lui être reprochée dès lors qu’elle avait bénéficié, ainsi qu’il résulte des débats à l’audience, d’assurances orales de la part de l’administration sur la conformité de son projet aux dispositions d’urbanisme en vigueur ; que le préfet du Morbihan fait valoir, pour sa part, qu’il existe un intérêt public à ce que l’opération entreprise sur la zone industrielle de Port-Louis soit appréciée dans sa globalité, en prenant en compte les quatre projets de centrales photovoltaïques prévus afin que puissent être examinées, dans le cadre d’une étude d’impact et d’une enquête publique, les questions relatives à l’environnement, à la gestion économe du sol et à l’utilisation de la zone industrielle et que soit assurée l’information de la population et des usagers actuels ou potentiels de ladite zone ; que, toutefois, compte tenu de l’intérêt public qui s’attache également au développement des énergies renouvelables et alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux ne s’intégrerait pas au site ou serait de nature, dans la zone où il est prévu, à entraîner un conflit d’usage des sols, la condition d’urgence doit être regardée en l’espèce comme remplie" (je souligne)
Cette appréciation du caractère d'urgence de la demande de suspension en référé est intéressante à plusieurs titres.
- En premier lieu, on notera que le Juge opère une analyse précise des conséquences de la décision d'opposition du Préfet pour la situation financière de la société. Il relève ainsi que cette société a contracté un emprunt, risque de disparaître. Il note également que le fait que les investissements aient été réalisés avant l'intervention d'une autorisation ne relève pas d'une imprudence dés l'instant où des "assurances orales" avaient été données au pétitionnaire de la part de l'administration.
- En second lieu, l'ordonnance précise qu'il existe un "intérêt public" qui s'attache au développement des énergies renouvelables avec toutefois une réserve relative à la notion de "conflit d'usage des sols". Il n'est donc pas certain que le Juge serait parvenu à la même conclusion d'une centrale solaire implantée en zone agricole.
Le "doute sérieux". Aprés avoir jugé que la demande de suspension présente un caractère d'urgence, le Juge des référés s'est attaché à identifier, au fond, l'existence d'un "moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision" :
"Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-9 du code de l'urbanisme : « En dehors des secteurs sauvegardés dont le périmètre a été délimité et des sites classés, les constructions nouvelles suivantes doivent être précédées d'une déclaration préalable, à l'exception des cas mentionnés à la sous-section 2 ci-dessus : (…) h) Les ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire installés sur le sol dont la puissance crête est inférieure à trois kilowatts et dont la hauteur maximum au-dessus du sol peut dépasser un mètre quatre-vingt ainsi que ceux dont la puissance crête est supérieure ou égale à trois kilowatts et inférieure ou égale à deux cent cinquante kilowatts quelle que soit leur hauteur » ;
Considérant qu’en l’état de l’instruction les moyens tirés de ce que le préfet a commis une erreur de droit et de qualification juridique des faits en considérant que le projet était soumis à permis de construire au motif qu’il s’insérait dans le cadre plus large de l’installation, dans la même zone industrielle, d’un ensemble de quatre projets d’une puissance totale de 414 Kw crête, est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux dès lors qu’il ressort des pièces du dossier que le projet litigieux, s’il est effectivement situé sur le même terrain d’assiette qu’un autre projet de même puissance, n’a en revanche aucun lien fonctionnel, physique ou capitalistique avec les deux projets situés à plus de 250 mètres à l’est ; qu’est également propre à créer un doute sérieux quant à la légalité dudit arrêté le moyen tiré de ce qu’il ne pouvait se fonder sur l’article L. 110 du code de l'urbanisme pour s’opposer à la déclaration préalable déposée par la SAS XXXX dès lors que la commune était dotée d’une carte communale" (je souligne)
Le Juge des référés va ainsi souligner que la décision d'opposition du Préfet est illégale au motif précis que le projet de centrale solaire n'est pas soumis à la procédure du permis de construire. L'ordonnance précise en effet que leprojet en cause : "n’a (..) aucun lien fonctionnel, physique ou capitalistique avec les deux projets situés à plus de 250 mètres à l’est "
Il convient ici de noter
- que cette analyse est faite en droit de l'urbanisme et non en droit électrique.
- que cette analayse devra encore être confirmée au fond, voire en appel.
- que le Juge fixe bien un faisceau d'indices pour l'appréciation de l'unité entre plusieurs projets : lien fonctionnel, physique ou capitalistique. Il n'est donc sans doute pas prudent ou suffisant de penser que la déclaration de plusieurs projets proches au nom de société distinctes peut suffire.
En définitive, cette ordonnance est importante, non seulement parce que la jurisprudence relative à l'énergie solaire est encore peu fournie mais également parce que ce cas d'espèce se présente trés souvent. Il convient d'attendre la lecture du jugement au fond pour "y voir plus clair".