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L'Etoffe de l'univers, d'Andrée Chédid (par Benoît Moreau)

Par Florence Trocmé

Andrée Chedid, L'Etoffe de l'univers : un testament 


Chédid 2
Andrée Chedid, grande dame de la littérature, fait paraître à 90 ans un roman et un recueil de poèmes en forme de testament. Par le titre déjà on comprend qu'Andrée Chedid inscrit sa vie, nos vies, dans les cycles du monde, où naissance et mort se touchent : Proche de la fable / Mais réelle / Mais vivante / Dans ce monde trop vaste / Où je subsisterai / Au-delà de mon temps. Robert Sabatier écrivait en 1988 : Elle n'a que faire des syntaxes éclatées (…) Elle reste discrète, transparente, sans artifices. (…) Sans familiarité, elle nous est bientôt familière. (…) [Son oeuvre est] art poétique et art de vivre [1]. Et en effet, sa poésie est empreinte de sagesse, touchée par une philosophie ;  c'est une poésie morale. Cependant ce livre surprend : au beau milieu de la lecture tranquille d'un témoignage de vie, on est jeté dans le tissu de l'univers, dans les filets du temps, dans les couloirs de la mémoire, dans les gouffres de la pensée. Cette sage qui vous raconte ses souvenirs, c'est aussi une voyante. Et par instants on pense à Tagore. 
 
« I  Prolégomènes » : une vie en quelques raccourcis éclairés par l'amour d'une mère hors du commun : Nous nous sommes terriblement aimées ; et par son mariage enchanté avec son cousin germain : Vive, à jamais plus vive, labourée et contente, j'étais dévastée dans le bonheur. (Cet amour est au cœur de son nouveau roman, Les quatre morts de Jean de Dieu.) 
 
« II  Qui je suis » : Ici commencent les vers. Questionnement ontologique : Qui est au logis / Dans l'intime de l'Etre ?  Position de soi dans la morale, dans la société, dans le labyrinthe de l'âme, dans sa vie, dans le temps : Tu parcours tes saisons / Entre passions et cendres / A la poursuite de ta vie
 
« III  Je me nomme poète » : Andrée Chedid affirme son royaume, son art poétique : Page après page / Je m'effeuillette / Ligne après ligne / Jusqu'à me dénuder / Je dors sous la tonnelle / Je regarde le temps passer
 
« IV  L'autre » : Qui est cet Autre, qui donne son titre à l'un des romans d'Andrée Chedid ? L'amoureux, mais aussi le tout Autre, l'ami inconnu. Je recherche l'Autre / A force de m'écrire / Je me découvre un peu / (…) / Et je retrouve l'Autre. 
 
« V  Ma Terre »  Le cosmos : Vaste est l'étendue / Elle est la sœur du temps. La Terre de la terrible Histoire humaine : J'avais perdu ma terre / En un jour de vacarme / En un jour de chagrin et de larmes. Et aussi la grande Terre du voyage, de la rencontre, de la fraternité : Mon pays est partout / Au bord des alentours / (…) / Dans le plus loin / Et dans l'ici
 
« VI  Vivre ». Jacques Izoard écrivait en 1977 que la Vie et la Destinée étaient les thèmes majeurs de l'œuvre de Chedid [2]. La Vie, Ce presque rien (…) Ce presque tout. En ses milliard de formes (…) La vie pullule / La vie m'échappe. La vie qui fuit : La clarté nous surprend / Déjà c'est crépuscule. La vie qui est révolte et résistance autant contre le temps que contre le mal :  En fronde / En jacquerie / Je m'insurge / (…) / Résister au vents / Qui fracassent / Notre chant. La vie rythmée et cyclique, et pourtant imprévue. 
 
« VII  Vieillir » et « VIII  Mourir » : Andrée Chedid n'a pas attendu le soir de sa vie pour réfléchir à tout le cycle naissance, vie, viellissement, mort, éternité. Elle revient sur ces sujets familiers avec une franchise renouvelée, presque dure : Il est temps de vieillir / D'accepter ce qui te revient / D'assumer encore et encore / A chaque crépuscule / Ce qui depuis l'aube / T'appartient. Enfin : Je plante là ma vie / Qui m'encombre / Se rabâche / Et me fuit. Et cependant, l'humour et l'amour de la vie, de sa vie, gagnent la partie : Je cède et la ressaisis / Pour quelques jours encore / Pour l'imaginaire des choses / Et le langage des fruits
 
 
 
Benoît Moreau 
 
 
[1] Robert Sabatier, 1988. Histoire de la poésie française, tome 6.3. Albin Michel. 
[2] Jacques Izoard, 1977. Andrée Chedid, collection Poètes d'aujourd'hui. Seghers. 
 
 
Andrée Chedid, L'Etoffe de l'univers, éd. Flammarion 2010, 153 p. 15 €
 


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LES COMMENTAIRES (1)

Par Lamalit
posté le 15 décembre à 15:18
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Bonjour,

Merci pour cette analyse, j'ai moi-mêm fait uen analyse de l'oeuvre destinée à être prochainement publiée dnas une revue italienne Interculturel. Vous pouvez la trouvez sur mon blog, http://lamalit.wordpress.com/2010/12/15/quand-le-livre-se-fait-testament/ Amicalement, Lama

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