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Ce silence

Publié le 05 novembre 2010 par Antigone

ce_silence(un petit morceau de rien...juste pour écrire...une mini-nouvelle ? A améliorer, certainement. Je vous le livre brut.)

Le moment du réveil me croque toujours le jour. Il empiète sur lui, le tord de sa volonté enrobante et suave. Et ce moment du réveil, je le redoute et je l'aime à la fois, je l’étire. Je n’en peux plus de l’évider tellement il me rassure.
Les cheveux en auréole, je respire l’odeur de l’oreiller, l’odeur de ma peau au creux du coude, l’odeur du matelas juste là où ton corps pesait tout à l’heure. Je voudrais que tu sois là, encore. Mais il y a, partout, tout autour de moi, pesant et dur, que ce silence.
Les paupières semi-fermées, il y a bien-sûr encore derrière elles des limbes de rêverie, de l’amour, des arbres, des bras bronzés qui m’enserrent et m’embrassent. Derrière mes paupières qui luttent contre l’intrusion du jour, il y a encore de l’innocence, la lumière qui joue avec les volets, un regard par-dessus mon épaule, du plaisir d’enfance.
Depuis que je suis dans une voie sans issue, il m’en faut du temps pour décider que la journée commence. Il m’en faut du temps pour trouver une raison de poser pied à terre.
Depuis quelques semaines, je m’englue, je sens que la tentation de plonger est grande. Alors, j’ai trouvé ce truc, qui en vaut un autre, un son, un déclic dans ma tête que je déclenche à volonté. Cela peut ressembler au bruit d’une arme que l’on amorce, à ce geste que je ne ferai pas, que j’imagine seulement. C'est effrayant et pourtant, l'effet est là, positif, il désamorce le drame, m’empêche de sombrer, me retient au bord du gouffre.
Une fois levée, ne me reste plus qu’à accepter l’évidence, que la journée soit là, le vide aussi, l’insignifiance de mes journées. Une journée qui commence à midi, et dont le long tunnel ne se terminera qu’une heure avant ta venue, ce soir. Alors, je serai habillée, la vaisselle sera faite, tout sera rangé, propre, je serai heureuse. En attendant, je ne vis plus, je ne suis plus que rien, il me semble être sans présent, sans avenir, sans but.
Seule Miaou accueille d'un miaulement doux et d'un étirement de patte compréhensif mon réveil tardif. Avec elle, j'ai droit à tout le bataclan, à des égards de reine.
Parfois le téléphone sonne. Il peut-être 14 ou 15h. Ce peut-être une amie, de longue date. Ce peut-être un des membres de ma famille. On fait mon numéro, on veut ma voix, mon oreille. Miaou me regarde. Je regarde le combiné.
« Allo, c’est Martine, tu vas bien ?
-          Oui, enfin…
-          Bon, parce que moi pas du tout, devine…
Elle me raconte ses drames, je l'écoute. Aucune place pour ma voix, mon tour de parler, ma vie. Cela dit, rien à dire.
- Quelle chance tu as d’être avec Eric, quel homme ? Et puis, tu as du temps pour toi, tu devrais en profiter. Ecrire ? Lire. Moi, je n’ai plus le temps, ma pauv’ Estelle quelle vie, et mes parents, tu vois… Enfin bon, tu comprends. Je raccroche, il faut que j’y aille, on m'attend. Quelle chance tu as d’être en province, ici si tu savais, c’est de la folie pure. Je t’envie."
Je suis assise sur le canapé, seconde pièce de l’appartement. Il y a la table de cuisine derrière, la porte qui donne sur le palier, à droite la porte de la chambre à coucher. Je ne m'envie pas. Tout ici est mon univers, mon refuge, ma prison. J’en fais le tour en trois ou quatre pas, c’est selon. Heureusement, en face, par delà le balcon, il y a le ciel, les nuages. Le spectacle est toujours changeant, il évolue. Cela me rassure que le ciel puisse changer, qu’il y ait au moins cela qui change.
Après le coup de fil de Martine, un grondement prends corps en moi, qui me tétanise. J’essaye ce truc du déclic, de l’arme que l’on amorce et qui désarmorce, ce truc qui fonctionne généralement, mais là rien ne se passe. Cela ne suffit pas. N’y de penser à toi. Tu ne sais rien de toutes manières de ce moi que je te cache. Le grondement est là, la solitude encore plus grande, misérable, sans fards. Oh oui, quelle chanceuse je fais entre mes quatre murs, à ne même plus savoir où aller tellement c’est triste d’y aller seule, à ne plus vivre que pour les heures que je vis en couple. Quelle veine j'ai de tellement de honte, d’avoir tant envie d’être normale, intégrée. A l'heure où les enfants des autres rentrent de l'école en criant, je donnerais ma peau pour une vie sociale.
Le grondement sonore s’intensifie, les clics s’affolent, paniquent de ne servir à rien. Puis, je croise le regard de Miaou qui n'a cessé de me suivre, vigilante, juchée sur le sommet du canapé telle une statue egyptienne. Elle cligne des yeux doucement et la pression dans mon crâne se dissipe. Nous comptons à l'unisson dans un sourire et sur nos doigts le résultat, soulagées, il est 17h, une vie de plus un jour de moins.

© Les écrits d'Antigone - 2010


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