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Tintin et les Picaros

Par Icecool

- DOSSIER PEDAGOGIQUE -

Tintin et les Picaros

Hergé

Casterman, 1976.

Pages de Tintin Et Les Picaros Page 1 Image 0001

DOSSIER en ligne et téléchargeable  :

37. Tintin et les Picaros : analyse de couverture

Lecture en plein écran : http://fr.calameo.com/read/0001130870e9829002b1b

La création d’un univers

Paru en 1976, Tintin et les Picaros fut le dernier album finalisé entièrement par Hergé et ses proches collaborateurs. La genèse de ce 23ème album fut passablement longue et compliquée par la volonté de l’auteur d’y faire de nombreuses allusions à la situation politique internationale des années 1960. Initialement conçu comme une suite directe des Bijoux de la Castafiore (22ème titre de la série, paru en 1963), le récit débutait par un détournement d’avion avant de retrouver Tintin en Amérique du Sud, dans un contexte révolutionnaire où devait dès lors se poser la question de son engagement, voire de son militantisme. Les grandes lignes de ce premier synopsis ne furent réadaptées par Hergé qu’une décennie plus tard, après la parution intermédiaire de Vol 714 pour Sydney en 1968, album qui reprit pour sa part l’idée du piratage aérien.

Lors de sa parution, Tintin et les Picaros eut un énorme succès commercial, notamment en raison de l’absence prolongée de nouveauté liée au personnage ; on ne manquera cependant pas d’y voir la décomposition progressive de l’univers de Tintin c, après le huis clos des Bijoux de la Castafiore et l’aventure effacée de Vol 714 pour Sydney. Ayant quitté ses éternels pantalons de golf pour un jean marron, le héros affronte une ligne claire démystifiée, où l’aventure ne tente plus personne et où la réalité du monde contemporain devient omniprésente. Bien que fictif, le San Theodoros, théâtre perpétuel des affrontements entre l’armée et les guérilleros révolutionnaires, ressemble comme deux gouttes d’eau à l’un de ces nombreux pays d’Amérique du Sud, tour à tour terre d’accueil pour les anciens dignitaires nazis, dominion sous influence du blocs de l’Est ou de l’Occident, et également terrain de lutte au profit du pouvoir personnel. Le coup d’État réussi à la fin de l’album par Alcazar n’est pas sans rappeler celui de la révolution cubaine de Fidel Castro, accomplie en 1959 avec un faible nombre d’hommes (les « Barbudos », les barbus). L’auteur ne fait pas de concession à l’ami de Tintin : Alcazar apparaît illettré, cupide et imbu de lui-même. Il désire en effet rebaptiser la capitale « Alcazaropolis », et personnifie le régime dictatorial tout autant que son prédécesseur et ennemi, le général Tapioca. De fait, il n’en sera qu’un « reflet », annoncé graphiquement par la misère régnant toujours au final d   ans le pays et lors du départ de Tintin.

L’intrigue en résumé 

Lors d’un voyage au San Theodoros, La Castafiore et les Dupondt sont arrêtés arbitrairement par le régime du général Tapioca. Haddock, le professeur Tournesol puis Tintin se rendent successivement sur place pour leur venir en aide. Accueillis mais surveillés par les hommes du dictateur, nos amis tenteront d’échapper à la surveillance et à la vengeance du colonel Sponsz lors de la visite d’une ancienne pyramide aztèque perdue au cœur de la jungle…

tintin

 L'ensemble des Aventures de Tintin.

Questionnaire pour les élèves

La couverture d’une B.D. comporte deux messages : l’un écrit, l’autre dessiné.

On pourra observer avec les élèves le schéma de progression suivant, en leur ayant soumis ou non le résumé de l’album :

A.   Etude des textes et paratextes

1.   Relevez le titre de l’album.

Que nous apprend-il sur le genre du récit ?

Quelles hypothèses de lecture peut-on en tirer ?

2.   Trouvez le nom de la série. Pourquoi n’apparait-il plus selon vous sur cette couverture ?

3.   Existe-t-il un ou plusieurs rapport(s) entre le titre de l’album et celui de la série ?

La typographie de la série ou du titre nous renseignent-elles sur le genre du récit ?

4.   Relevez le(s) nom(s) du ou des auteur(s).

Leur rôle respectif est-il renseigné (vérifier en page de titre si ce n’est pas le cas) ?

Le nom de l’éditeur apparait-il ?

B.   Etude des images et dessins

5.   Décrire l’illustration principale, sans commenter ni juger :

-   Plan employé (vue d’ensemble, plan moyen ou gros plan) ?

-   Cadrage (visée frontale, plongée ou contreplongée, oblique) ?

-   Profondeur de champ (1er plan, 2nd plan, arrière plan) ?

-   Présence d’un hors champ ou d’une vue subjective ?

-   Couleurs dominantes ?

-   Présence ou non de personnages identifiables ?

-   Lieux, époque et actions ?

6.   D’après l’ensemble des éléments dessinés listés, quelles hypothèses de lecture peut-on désormais formuler ?

7.   Quelles informations trouve-t-on à la fois dans le titre de la série et dans l’illustration ?

Quelles informations supplémentaires donne éventuellement l’image ?

8.   Que suggèrent les couleurs employées ?

9.   Cette couverture vous donne-t-elle envie de lire la B.D. ? Pourquoi ?

En quoi peut-on dire que la couverture est la « vitrine » d’une B.D. ?

Lecture et analyse de la couverture 

Ayant compris dès 1934 l’intérêt à tirer d’une couverture particulièrement accrocheuse, Hergé s’est par la suite toujours refusé à cet effet de facilité consistant à en faire un quasi-résumé du contenu de l’album. Ce principe traditionnel est à l’œuvre sur les visuels des premières aventures du héros reporter (Tintin au Pays des Soviets (1930), Tintin au Congo (1931) et Tintin en Amérique (1932)) puis se transforme à partir des Cigares du Pharaon au profit de trois nouveaux éléments : une image directe, relativement frappante et mystérieuse ; un titre court, à la fois évocateur et intriguant mais parfois sans véritable lien avec l’image ; la disparition relative du mot « Tintin ».

Le titre Tintin et les Picaros occupe une place importante, inséré dans un cartouche qui le met en valeur, outre sa propre typographie. Inscrit en noir sur fond jaune, il s’en réfère ici essentiellement au genre Aventure, représenté graphiquement par le contexte exotique de la jungle sud-américaine. Plus qu’une simple vignette extraite de l’album - et qui n’y apparait d’ailleurs jamais telle quelle - l’image s’avère porteuse d’un suspense littéralement romanesque, aspect du reste initialement renforcé par la publication feuilletonesque de l’histoire au fil de l’hebdomadaire Journal de Tintin durant l’année 1975. C’est pour de strictes raisons commerciales que les éditions Casterman contraignirent Hergé dès 1968 à reprendre le nom du héros dans le titre, après un nombre conséquent d’albums dépourvus de cette présence homonyme fort logiquement évocatrice.

En toute connaissance de cause, Hergé reprend donc ici un titre faussement simpliste, où un Tintin connu de tous côtoie de bien « étrangers » Picaros : arrondi et biseauté, le lettrage adopté par l’auteur depuis 1934 encre pour sa part l’album dans la continuité de l’œuvre, voire même plus largement de l’univers de la ligne claire, puisque ce véritable standard iconique sera repris tel que aussi bien par Jacobs pour Blake et Mortimer que par des auteurs ultérieurs tels Ted Benoit, Floc’h, Chaland ou Sterne.

On rappellera dans l’évocation sémantique du titre que Tintin et les Picaros ne fut qu’un second choix, adopté après un Tintin et les Bigotudos (« moustachus ») initial. La polysémie du terme « Picaros » y est probablement pour beaucoup : plusieurs réalités s’y croisent, tel un imaginaire latin ou sud-américain renvoyant aussi bien au mot « picaro » (miséreux, voleur, canaille) qu’au genre picaresque, dont on retiendra le profil antihéroïque et la vision sociale relativement pessimiste. L’évocation à mots couverts des partisans castristes permet à l’album de demeurer atemporelle et de profiter d’une liberté d’expression proche de celle exprimée dans le Lotus bleu (1936) ou dans Coke en stock (1958).

Inscrit dans un ovale jaune, le titre ressemble plus que jamais à un phylactère sans appendice dont le format important (1/3 de la couverture) viendra évoquer le rapport à un verbal ou à l’expression silencieuse de l’album. Peut-être moins artificielle qu’à l’accoutumée, l’association du bandeau titre au dessin se fait sur un mode plus strictement bédéiste : devenu le garant à part entière de ses propres aventures, Tintin fait disparaitre in fine le bandeau du surtitre indiquant précisément et jusqu’à ce 23ème album « Les Aventures de Tintin ». Non significatif, selon les propres mots d’Hergé, et par conséquent déchargé de toute intentionnalité de pointer le caractère non aventureux de l’album (en opposition donc avec l’image), ce détail du surtitrage absent ne manquera pas d’interpeller le sémioticien ou le spécialiste de la geste hergéenne. Ce dernier, parfaitement conscient des similitudes entre l’œuvre et la vie intime de son auteur, constaterait ainsi la fin d’un cycle et l’immanence d’un personnage déjà appelé vers une éternité artistique.

Tintin et les Picaros

1ère planche originelle de l'album, telle que parue après modification de la première case.

Inscrite parmi les « classiques » de la série, la couverture cherche à s’en rapprocher avec la figuration des quatre principaux protagonistes, bien connus des lecteurs mais plus acteurs des aventures passées que de cette ultime aventure annoncée. On pourra en outre s’étonner de l’absence du personnage d’Alcazar, protagoniste central de cet épisode et dont le rôle est plus développé que celui de Tournesol. La proche « famille » du héros, mise en vedette, s’apparente à un hommage du dessinateur : ces figures, secondaires au départ (le capitaine Haddock apparait dans Le Crabe aux pinces d’or en 1940, le professeur Tournesol dans Le Trésor de Rackham le Rouge en 1943), ont toutes acquis leur légitimité et finalement permis à Tintin lui-même « d’exister », tel que le confirmera Hergé en 1979. L’attitude de chaque personnage est légitimée : Haddock et Milou se ressemblent, le scientifique et distrait Tournesol proteste tandis que Tintin ferme la marche et protège ses compagnons dans leur fuite.

Pour la première fois saisis dans une scène d’action haletante, les personnages d’Hergé ne touchent plus terre, dans une référence interne à la planche 26 de l’album où les héros, pris sous le feu croisé (du moins le croient-ils…) des partisans de Tapioca et d’Alcazar, tombent en réalité dans un traquenard. Visuellement, l’œil du lecteur suit une diagonale ascendante se dirigeant de l’escalier et de l’arrête de la pyramide vers le bas inférieur droit de la couverture, indiquant ainsi la marche à suivre pour lire les aventures de ces personnages. Cette ligne de fuite qui n’a jamais aussi bien portée son nom s’inspire tout naturellement du système de lecture occidentale, dans un effet intensifié de célérité. Très proche de la couverture réalisée en 1952 par Hergé pourL’Eruption du Karamako, quatrième volet des aventures de Jo, Zette et Jocko, le dessin créé la complicité avec le lecteur en instaurant un principe d’entraide. Ainsi le lecteur imaginera-t-il les personnages courant vers lui comme s’ils avaient besoin de son aide, dans un contexte à la fois étranger (la jungle équatoriale luxuriante, la pyramide aztèque inspirée du monument maya El Castillo, situé à Chichen Itza au Mexique) et potentiellement hostile.

Tintin et les Picaros

Visuel de couverture pour L'Eruption du Karamako (1952).

Tintin et les Picaros

Pyramide de Kukulcan (El Castillo) sur le site archéologique de Chichen Itza (Yucatan, Mexique), datée du XIIème siècle.

Extrêmement programmatique et archétypique du récit d’aventure exotique, la couverture offre ici un avant-goût du contenu de l’album sans rien dévoiler de ses principales articulations, et encore moins du long refus de Tintin d’entrer véritablement dans l’aventure, ce qu’il ne fera qu’au détour de la vingt-et-unième planche… Gage de suspense et suspense elle-même, la couverture de Tintin et les Picaros, qui ne dévoile ni le danger que fuient les personnages ni la nature des « Picaros », multiplie les atouts nécessaires pour intriguer attirer le lecteur, et obéit de fait complètement à la notion de triple attente : désir de percer le secret du titre, désir d’élucider le suspense contenu dans l’illustration, désir de faire le chemin qui va de l’illustration au titre et du titre à l’illustration…

Pistes supplémentaires 

-   http://www.tintin.com

Site officiel : résumés des albums, présentations de l’auteur, personnages, dossiers thématiques. Forum ouvert aux fans.

-   http://www.bellier.org/tintin%20picaros/vue1.htm

Planches originales parues dans le Journal de Tintin en 1975

-   http://www.tintin.free.fr/aventures/voirbd.php?choix=picaros

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tintin_et_les_Picaros

Quelques renseignements autour de l’album.

-  

Monographies existantes :

-   Hergé et les Bigotudos, le roman d’une aventure (P. Goddin, Casterman, 1993 - 287 p.)

A partir de l'exemple « Tintin et les Picaros », récit dont la gestation a duré près de 15 ans, et pour lequel une impressionnante quantité d'archives a été conservée, l'auteur décrit la genèse d'une histoire, depuis la première intuition de ce qui s'appela longtemps « Tintin et les Bigotudos » jusqu'à l'album terminé. Evoquant de manière vivante et rigoureuse les étapes de l'élaboration, Philippe Goddin révèle des gags méconnus, des séquences inédites, des versions abandonnées. Il nous montre aussi un Hergé en proie au doute, multipliant les hypothèses jusqu'au vertige, comme s'il craignait de laisser échapper l'essentiel

-   L’ultime album d’Hergé (L. Schuurman, Cheminements, 2001 - 204 p.)

A travers l'analyse fouillée, argumentée et littéraire des Picaros, l'auteur s'ingénie à mettre en lumière les multiples signes de finitude qui en ponctuent le récit désabusé, ainsi que les règles, les motifs récurrents et les procédés de style qui ont fait le succès de l'écriture hergéenne, pour mieux embrasser, en définitive, l’œuvre toute entière.

Dossier réalisé par Ph. Tomblaine. 2010.

Images toutes ©Hergé - Moulinsart SA.


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