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À la recherche d’Antonin Artaud, une lecture de Carole Bouquet à l’Atelier (par Paul de Brancion)

Par Florence Trocmé

À la recherche d’Antonin Artaud 
Une lecture de Carole Bouquet à l’Atelier 
 
 

Bouquet Carole, lettres d'Artaud
A l’Atelier, 20h en ce début d’automne, Carole Bouquet lit Antonin Artaud
Les lettres d’Antonin « Nanaki » à Genica Athanasiou, la chère « potiche » en ce lieu même où ils se sont rencontrés dans le troupe de Dullin. 
C’est avec grande émotion qu’assis dans l’obscurité, nous avons attendu le début du spectacle. Bien sûr le quartier a changé mais le lieu est chargé d’histoire. Les portes vitrées  se sont refermées, nous sommes au balcon, presque de face. La salle est attentive. Arrive l’actrice :  sorte de perfection esthétique, robe bleue sombre, joli drapé, sculpture grecque.  
Mon Dieu qu’elle est grande sur scène ! 
Elle commence et j’éprouve tout de suite le besoin de fermer les yeux pour ne pas la voir 
pour  ne pas être distrait par la beauté de la jolie comédienne qu’on avait vue partout  dans Paris, des abribus aux panneaux-pub et entendue sur de multiples medias audiovisuels. 
« L’écriture c’est de la cochonnerie », je ferme  les yeux. J’écoute la Bouquet nous dégoiser le  cinglé de Rodez, celui qui disait  « s’il n’y avait pas de médecin il n’y aurait pas de malade », mais là c’était ailleurs, à propos de Van Gogh son fraternel cousin de douleur.  
Ce soir, d’emblée il y a quelque chose qui cloche. Elle est trop jolie, ça ne colle pas. En pleine lumière, ces jambes longilignes, ce visage à l’ovale classique et sa voix  qui se fait douce. Est-ce là la voix du suicidé de la société ?  
Je me cache les yeux derrière la rambarde du balcon, j’écoute. Ce sont bien les mots d’Artaud amoureux. Génica le comprend, «  elle est l’amour céleste dont il avait rêvé ». Il va être sauvé… Il y a tant de travail pour le sauver, et peu à peu le rêve se fissure… elle ne comprend pas…  ne le comprend pas. Il s’énerve. Il a pris juste un peu d’opium c’est pas méchant une seule fois une seule petite fois.
Elle se fâche contre lui car il est souvent méprisant. Par erreur et par inadvertance, il l’a traitée de potiche un jour sans y penser, elle est furieuse. (C’est le seul moment où l’on devine la voix de Génica). Artaud s’excuse, il retire, demande pardon à son ange du ciel. Il l’aime.
J’ouvre les yeux.  
Artaud écrit parle, se démène, mais on n’entend jamais la voix de Génica, et pour cause. Il parle de Génica, il parle à Génica mais Genica rien. Ainsi va parfois  la littérature.
 
Pourquoi avoir choisi justement ces lettres-là, au fond assez « plan plan ».  
Artaud dit même à un moment : «  si je ne t’ai pas épousée c’est que je n’avais pas de situation ». On croit rêver ! Nanaki, le gendre modèle ! 
La bourgeoisie marchande, avec la complicité de Carole Bouquet qui excelle en ce rôle, se saisit-elle enfin du damné de la société, du raté …de cette œuvre qui résistait encore.
Est-ce la continuation de l’encerclement. Une  ultime tentative de « culturisation » de l’obscur comme pourrait le dire Annie Le Brun.
Carole Bouquet  quitte la scène puis revient et se place dans l’embrasure d’une porte, la lumière vient du bas. Il y a quelque chose d’inquiétant, la voix même de l’actrice devient rauque, plus râpeuse (le corps entre en scène, Artaud parle de sa douleur et l’on sent que Genica s’éloigne inexorablement, elle restera chez papa Dullin). Il faut bien faire des concessions  à la vérité. Nous sommes  enfin au cœur du sujet, mais cela ne durera pas. 
Retour de la lumière normale centre du plateau, retour des plis délicieux de la robe, des bas Dim. Le spectacle s’enlise, nous aussi. 
Dehors, nous avons traversé la place vide, nous sommes rentrés, le col relevé, déçus pas ce rendez-vous manqué.
 
Quel est le sort de la magie dans tout cela ? Quel est le bénéfice de l’âme ?
Nous nous refusons à voir installer Antonin Artaud comme un faire-valoir culturel. 
C’est là faire gravement injure à sa vie, à sa parole fulgurante en effaçant sa douleur qui témoigne?
Pourtant naïf, j’étais parti la fleur au fusil plein d’espoir naïf et de foi juvénile. 
Et me voilà pris par le sentiment d’avoir été trompé. Le spectacle n’est plus à l’affiche, c’est pas un drame ! 
 
 
Paul de Brancion 
 
Fiche du spectacle sur le site de l’Atelier 


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