La pluie est un élément incontournable du décor parisien ces jours-ci. Mardi 9 novembre, je m’en serais pourtant bien passé. Ce soir-là, la 5ème édition du Festival Franco-Coréen du Film s’ouvrait avec un film évènement, The Man from nowhere, champion du box-office coréen de 2010 avec plus de 6.2 millions d’entrées au compteur. Pour un tel film, nul doute que la salle allait afficher complet. Malgré les craintes des organisateurs de ne pas avoir assez de place pour laisser entrer toutes les personnes détentrices d’une accréditation dont je fais partie, j’étais assez confiant quant à mes chances de rentrer. Mais je ne venais pas seul, et mon amie ne bénéficiant ni d’invitation, ni d’accréditation, ni de réservation par Internet, j’ai pointé le bout de mon nez à l’Action Christine, lieu de l’évènement, plus d’une heure trente avant l’heure officielle de la soirée d’ouverture, pour être sûr que si seule une place était à vendre ce soir-là, elle serait pour celle qui m’accompagnait.
Me voici donc, bientôt rejoint par la demoiselle en question, à attendre une heure devant l’Action Christine, calé sous mon parapluie, premier des spectateurs arrivé. Une heure sous la pluie, ça peut être long, mais lorsque après avoir déjà couvert le festival l’année dernière, après quelques années à fréquenter le Centre Culturel Coréen de Paris, et après avoir assisté à toutes les projections de films coréens qui se font de temps en temps ici ou là à Paris, l’attente est émaillée de retrouvailles diverses et variées avec des têtes connues. Voici l’un des charmes non dissimulés du Festival Franco-Coréen de Paris : coréens et parisiens s’y côtoient joyeusement et amicalement. De temps en temps, je discute un peu avec les des membres du staff, prenant des nouvelles sur les possibilités de voir mon amie participer à l’ouverture avec moi. « Allez, dites-moi que vous aurez assez de place pour elle ».
Finalement l’attente est récompensée, et nous rentrons tous deux dans la salle. Les parapluies sont repliés, les manteaux retirés, et la soirée d’ouverture peut commencer. Une succession de discours de différents membres du staff et de partenaires du festival. Un poil long, mais c’est un cérémonial inévitable, et souvent assez drôle, pour une ouverture de festival. Le soulagement d’être entrés à deux dans la salle, après plus d’une heure de doutes sous la pluie, incite de toute façon à profiter de chaque instant avec plaisir. Lorsque le Festival Franco-Coréen du Film, cinquième du nom, est officiellement déclaré ouvert, la fête peut commencer. Une semaine de cinéma coréen, de longs-métrages inédits, de courts-métrages d’inconnus et de stars du cinéma coréen, d’hommage et de vieux films d’action. Une semaine au rythme intense du cinéma coréen. Une semaine comme je les aime.
Une semaine qui commençait donc par The man from nowhere. Un titre international à portée énigmatique visant à l’évidence à étoffer un titre original plus simple mais parfaitement évocateur, 아저씨 (prononcez « ajeochi »), “monsieur” en coréen. Le « monsieur » en question est un prêteur sur gages vivant dans un immeuble populaire de Seoul. Peu bavard, notre héros a pour voisine une danseuse toxicomane, fricotant avec le milieu interlope du quartier mais prenant peu soin de sa fille. Celle-ci, une dizaine d’années, aime la compagnie de son voisin mutique et mystérieux. Mais les mauvaises fréquentations de sa mère vont bientôt l’arracher à son quotidien. La danseuse a doublé une bande de malfrats dans un trafic de drogues, et ceux-ci ne tardent pas à mettre la main sur elle et sa fille. Le prêteur sur gages, qui n’apprécie pas du tout que des truands s’en prennent à la petite, va tout mettre en œuvre pour sauver celle-ci.
Les organisateurs du FFCF ont le chic pour ouvrir la manifestation avec un film punchy. L’année dernière, c’était le coup de poing Breathless qui lançait le festival. Cette année, si c’est un blockbuster qui fait l’ouverture, il n’en s’agit pas moins d’une œuvre sombre et violente. Car le fameux Man from Nowhere du titre n’est pas un simple prêteur sur gages, on s’en rend très vite compte. L’homme a à l’évidence un passé qui va lui permettre de faire trembler tous les truands qui vont se mettre sur son chemin. Imaginez Steven Seagal dans Piège en haute mer, le cuistot invincible qui met à genou tout un bateau de terroristes. Eh bien, toutes proportions gardées, il y a de ça dans The man from nowhere. D’où une certaine jubilation, car lorsque la maitrise est au rendez-vous, un superman qui n’a l’air de rien faisant plier des méchants peut faire plaisir à voir, et c’est souvent le cas ici. Et le garçon ne fait pas les choses à moitié face aux trafiquants de drogue et d’organes.
Le fait que l’on soit dans un film coréen et non hollywoodien apporte quelques charmes de plus. Notamment cette propension à tisser des personnages dans l’excès total. Pas notre homme bien sûr, mais ceux qui se mettent en travers de sa route, qui confèrent parfois au grand-guignolesque pour notre plus grand plaisir. Le film a des travers, tout de même. Non les filles, je ne dirai pas du mal de Won Bin, l’idole des coréennes (« Pas que !! » me diraient certaines amies j’en suis sûr), qui se révèle convaincant sous les traits du protagoniste et fait le grand écart après son excellente interprétation du fils suspect dans le Mother de Bong Joon Ho.
Non, les limites de The man from nowhere se situent ailleurs. Dans les facilités scénaristiques dans lesquelles il tombe parfois, dans la lisibilité un peu trop évidente de l’intrigue qui rend le film tout à fait prévisible (j’ai beau chercher un ressort narratif qui m’a surpris, je ne vois pas). Dans le larmoyant que le réalisateur Lee Jeong-Beom ne parvient pas à éviter, tout du moins à atténuer. Oui, si le film est une quête, un suspense dans les milieux malfamés de Seoul, il reste malgré sa noirceur et sa violence dans le registre du divertissement. Il manque au film l’ambigüité, certainement, pour s’ériger au-delà du carcan du divertissement. Il y avait peut-être également un pan du scénario à développer à travers le personnage de l’homme de main vietnamien du bad guy en chef, un personnage malheureusement sous-exploité qui aurait pu donner lieu à une lutte quasi fratricide à la manière des polars HK. Mais je préfère mille fois voir un film coréen comme The Man from nowhere, affichant mal son ambition scénaristiquement mais efficace dans la catégorie dans laquelle il joue, plutôt qu’un No Mercy dont les talents associés n’ont à l’évidence pas la carrure de l’ambition qu’ils voudraient avoir.
La lumière rallumée, il était évident que le film d’ouverture avait plu. De l’action, du frisson, des sentiments, et un Won Bin comblant probablement les attentes des spectatrices qui attendaient de le voir sur grand écran. L’année dernière, le Festival Franco-Coréen du Film avait dégainé son meilleur film dès l’ouverture. Cette année, le premier film a fait son effet tout en promettant que finalement, le meilleur est certainement à venir. Et c’est très bien ainsi.