"Chaque moment artistique renvoie à d'autres moments et les contient. (...) Jimmie, qui était si totalement perdu dans le temps "spatial", était parfaitement organisé dans le temps "intentionnel" au sens bergsonien du terme ; ce qui était fugitif, insupportable comme structure formelle, était parfaitement stable, parfaitement maîtrisé comme art ou comme volonté. Il y avait même quelque chose qui perdurait ou survivait. Si Jimmie était brièvement "retenu" par une tâche, une énigme, un jeu ou un calcul, par le défi purement mental que celui-ci représentait, il retombait, dès que celui-ci était accompli, dans l'abîme de son néant, de son amnésie ; mais, s'il était retenu par une attention d'ordre émotionnel ou spirituel - dans la contemplation de la nature ou d'une oeuvre d'art, à l'écoute d'une musique ou en assistant à un office à la chapelle- son "humeur", son attention, sa quiétude, persistaient pendant un moment ; il prenait alors un air pensif et paisible que nous avions rarement, sinon jamais, l'occasion de lui voir durant le reste de sa vie chez nous. (...) dans le syndrome de Korsakov, dans la démence ou d'autres catasptrophes du même genre, si graves soient les dégâts organiques qui entraînent cette dissolution "humienne", il reste toujours la possibilité entière d'une restauration de l'intégrité grâce à l'art, la communion, le contact avec l'esprit humain : et cette possibilité demeure même là où nous ne voyons de prime abord que l'état désespéré d'une destruction neurologique."
L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Olivier Sacks (chapitre 2 "le marin perdu" pages 59 et 60)