Chaque année, Transparency international publie un « indice de perception de la corruption » pour 178 pays. Dans l’édition 2010, qui vient de paraître, la France recule encore, passant de la 24ème à la 25ème place, loin derrière la plupart des pays occidentaux. Pas de quoi être fiers, mais en revanche de quoi s’interroger : une analyse des résultats montre en effet le lien qui existe entre la place de l’Etat et la corruption (plus l’Etat intervient, plus les tentations sont grandes) et entre l’absence d’état de droit et la corruption (quand l’arbitraire remplace les règles). Ces éléments contribuent à expliquer le classement mondial et la place de la France.
Les pays les moins corrompus sont les plus libres
Le rapport sur la corruption publié par Transparency International, organisation de la société civile, est étudié chaque année avec intérêt, un peu comme l’indice des libertés économiques. Il s’agit d’un indice de perception de la corruption (IPC), car le phénomène de la corruption elle-même est délicat à mesurer. Cet organisme s’appuie sur 13 enquêtes différentes, menées auprès d’experts et d’hommes d’affaires. La note finale est sur 10, le 10 signifiant le plus haut niveau d’intégrité possible, et le 0 le plus haut niveau de corruption.
Globalement, la situation n’est guère encourageante : en 2010, les trois quarts des pays ont une note inférieure à 5 : la corruption est l’une des choses les mieux partagées au monde. Cependant elle est loin d’être uniforme et une lecture de la carte du monde montre que ce sont les pays en développement, de l’Afrique à l’Amérique Latine, en passant par l’Asie, qui ont une forte corruption tandis qu’elle est faible dans les pays occidentaux.
Voilà pour les grands blocs. Mais il faut affiner l’analyse par pays.
Les pays les moins corrompus sont d’abord le Danemark (note de 9,3), suivi, avec la même note, par la Nouvelle Zélande et Singapour, puis la Finlande et la Suède (9,2). On trouve ensuite le Canada (8,9), les Pays-Bas (8,8), l’Australie (8,7), la Suisse (8,7), la Norvège (8,6), l’Islande (8,6), le Luxembourg (8,5), Hong Kong (8,4), l’Irlande (8,0). Entre la quinzième et la vingtième place, l’Autriche, l’Allemagne, la Barbade, le Japon, le Qatar, le Royaume-Uni. A partir de la vingt-et-unième : le Chili (un des rares pays d’Amérique Latine à tirer son épingle du jeu, ce qui est en soi significatif), la Belgique, les Etats-Unis, l’Uruguay.
Et les plus corrompus sont les plus étatisés
La France est vingt-cinquième, avec une note de 6,8, soit deux points et demi de moins que les premiers (une des enquêtes nous donne même 5,8, d’autres un peu au dessus ; 6,8 est la moyenne des diverses enquêtes). Le bas du tableau ne manque pas non plus d’intérêt. Dans les vingt derniers, on ne sera pas surpris de trouver des pays comme la Somalie, l’Afghanistan, l’Irak, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Soudan, le Tchad, le Burundi, la Guinée équatoriale, l’Angola et le Venezuela, tous à 2 ou en dessous. Y trouver le pays de Chavez, le nouveau père la morale du socialisme révolutionnaire en dit également long.
Entre 2 et 3, ce qui est tout à fait catastrophique, on trouve plus de 60 pays, dont la Russie (154ème), l’Iran et Haïti (146ème), mais aussi le Nicaragua, la Belarus, le Pakistan, le Zimbabwe, le Viêt-Nam, le Mozambique, la Bolivie, l’Algérie et bien d’autres pays.
Une rapide analyse géopolitique montre que ces pays sont tantôt des pays communistes ou communisant, ou socialistes, ou ayant subi une dictature marxiste, tantôt encore quelques pays sous l’influence des islamistes radicaux, ce qui montre qu’il ne suffit pas d’instaurer un « Ministère de la Vertu » pour éradiquer la corruption. L’ordre moral fait rarement bon ménage avec la morale tout court. La Chine est 78ème, avec 3,4, ce qui n’est pas glorieux, mais moins dramatique que la majorité des pays ; la faible note montre qu’il ne suffit pas d’avoir un parti unique pour faire régner la morale.
« Les pratiques de la classe politique française »
Et la France ? Elle est donc vingt-cinquième, évidemment bien au dessus des dictatures du tiers-monde ou des pays marxistes, mais la plupart de nos partenaires de l’Union Européenne sont devant nous. On peut certes se réjouir de voir l’Italie ou la Grèce bien après nous, mais est-ce une consolation ? Ce qui est plus ennuyeux, c’est que nous reculons une nouvelle fois d’une place. La situation ne s’améliore donc pas. Le communiqué de Transparence International France, section française de Transparency international, insiste sur « plusieurs affaires dont l’audience a largement dépassé nos frontières », depuis le rebondissement de l’affaire des versements occultes qui aurait entrainé l’attentat de Karachi, jusqu’à l’interrogation sur l‘indépendance de la justice et ses moyens « pour mener à bien des enquêtes dans des dossiers politico-financiers sensibles ». De plus, dix ans après la ratification par la France de la convention de l’OCDE sur la corruption, « la justice française n’a conduit à son terme presque aucune des procédures engagées pour corruption d’agent public étranger ». Et on peut y ajouter diverses affaires de conflit d’intérêt.
Commentaire de Transparence international France : cela « a jeté un peu plus le doute sur les pratiques de la classe politique française. Celles-ci doivent évoluer vers plus de transparence ». Peut-on souligner plus clairement que la plupart des affaires de corruption se situent à la frontière de la politique et de l’économie, c’est-à-dire à l’occasion de marchés publics, de ventes dans lesquelles le pouvoir politique intervient, de pressions de la classe politique pour protéger les siens, de ventes d’armes, etc. ? Les affaires plus anciennes des HLM, des lycées, d’Elf, de la distribution de l’eau ou du Crédit Lyonnais concernaient le secteur public, les marchés publics, des entreprises sous l’influence de l’Etat, etc.
L’ONG a certes raison de mettre en cause « les pratiques de la classe politique française ». Mais elle ne va pas assez loin dans l’analyse : les affaires de corruption étant au contact de la politique et de l’économie, elles sont avant tout le fruit de l’économie mixte, de l’économie administrée, de l’économie sous la dépendance de l’Etat. Ce n’est pas un hasard si dans le peloton de tête des pays les moins corrompus, on trouve les pays les plus libéraux, ceux qui ont fait reculer la part des dépenses publiques, ceux qui ont privatisé le plus : cela se vérifie dans tous les continents, de Hong Kong au Chili, de la Nouvelle Zélande à l’Australie.
La nécessaire séparation de l’Etat et de l’économie
La première leçon à tirer de ce classement, c’est que si l’on veut éradiquer la corruption, il faut faire reculer le périmètre de l’Etat, il faut séparer la politique et l’économie.
Pour séparer la politique et l’économie, il faut moins de dépenses publiques, moins de réglementations, moins de secteur public. Le classement de Transparency international recouvre assez largement celui des indices de liberté économique. La liberté économique fait toute leur place à la concurrence et à la compétitivité ; et elle diminue les occasions de la corruption. Car la corruption est proportionnelle au nombre d’actes d’administratifs, d’autorisations, de fonctionnaires, de marchés publics. Moins il faut de tampons, moins il y a corruption.
On pourrait certes faire remarquer que les pays les plus corrompus se situent dans le tiers-monde. Mais il y a là aussi un lien avec la liberté économique, puisque ce sont les pays les moins ouverts au libre échange et à la libre entreprise qui ont les meilleures chances de développer la corruption. On observera d’ailleurs que même au sein du tiers-monde, les pays libéraux sont dans la première moitié du classement ; les plus socialisés sont au fond du classement.
Il faut aussi, et surtout, prendre en compte une autre donnée : celle de l’état de droit qui conditionne la qualité et le bon fonctionnement des institutions. Transparency international parle de gouvernance, terme à la mode, mais cela va plus loin. Dans un état de droit, tout le monde se soumet à la loi, qui est la même pour tous : c’est l’isonomie. Les institutions judiciaires font respecter les institutions économiques comme la propriété, le bon déroulement des contrats, etc. A l’évidence, l’état de droit n’existe pas dans de nombreuses dictatures du tiers-monde, pas davantage qu’il n’existe dans un pays comme la Russie. Sans état de droit, pas de bonnes institutions ; sans bonnes institutions, ni croissance, ni moralisation de la vie économique.
Face aux phénomènes de corruption, on oppose le discours sur « la moralisation du capitalisme » ou sur l’éthique économique. Mais l’exemple de la corruption montre que le G20 fait fausse route en cherchant cette moralisation dans la régulation. La régulation étatique n’est pas la solution, car elle est le problème. Rétablir la liberté économique, conforter l’état de droit, garantir la solidité des institutions du marché libre et éclairer les consciences, voilà des pistes autrement plus solides pour lutter contre la corruption.
Article repris de Libres.org avec l’aimable autorisation de Jacques Garello