Les artistes chanteurs ivoiriens évoquent très souvent des noms de personnes dans leurs chansons. Ce qui apparaît comme un fait banal, cache un véritable business. Pour le grand bonheur des créateurs.
Dj Arafat Yorobo
Dans une chanson réplique à un certain nombre de DJ, intitulée Apache 8500 volts, le fils de Tina Glamour, Arafat DJ, lève clairement un coin de voile sur un fait qui mine le milieu de la musique ivoirienne: la citation des noms de personnes dans les chansons. Si ce phénomène existe dans plusieurs genres musicaux (rap, rumba, zouglou, variété) dans toutes les contrées du monde, c’est l’exigence de certaines personnes, qui a soulevé le courroux de celui qui se fait appeler Yôrôbô. « Quand tu fais une chanson, tu vas chanter les noms des gens jusqu’à la fin. Tu ne composes plus des textes à force de chanter les noms des gens. Arrêtons un peu, sinon ça nous détruira… », dixit le jeune chanteur de coupé-décalé. Si telle est que la fréquence dont parle Arafat DJ pose problème, de nombreux créateurs s’en plaignent moins. En effet, on ne nomme pas tout le monde dans une chanson. Ce phénomène cache même un véritable business. Combien coûte un nom cité dans une chanson ?Un nom se paye cash« Il y a des gens qui aiment bien ce que tu fais. Quand tu es en studio, ils t’appellent et demandent de chanter leurs noms. Ils donnent deux ou trois millions. Ceux-là, je les fais grandir et ils me font sourire », déclare Abou Nidal, chanteur de coupé-décalé. Pour le créateur, chanter un nom par un artiste en vogue donne ‘’des points’’ (fait grandir la personne). Mieux, le coût dépend de l’emplacement du nom dans la chanson. «Quand le nom est positionné au début de la chanson, il y a un prix. Avant la guitare électrique, avant un blocage. Chacune de ces étapes a son prix et on ne chante pas les noms par hasard. Le prix est fonction aussi du rang social », spécifie-t-il. Comme Abou Nidal, des chanteurs de la trempe d’Arafat DJ, Claire Bahi, Debordo ou encore Serge Beynaud ne prennent pas moins d’un million à un anonyme qui veut entendre son petit nom sur une de leurs compositions. « Quand un artiste sort un album, il doit payer le studio, l’arrangeur, les passages à la télé, les journaux pour la pub, réaliser le clip. C’est un gros budget. Donc quelqu’un qui m’approche pour qu’on parle de lui dans une chanson, je lui fais part de cela. Je ne suis pas un griot», se convainc le créateur. « Les cas de citation de noms sont fréquents avec les petits ‘’brouteurs’’ (arnaqueurs sur internet). Ils vont dans un studio d’enregistrement et demandent à l’arrangeur, à qui ils donnent de l’argent, que tous ceux qui viendront se faire produire, citent leurs noms », éclaire DJ Luciano, président de l’association des DJ de Côte d’Ivoire (AJACI). Le plus célèbre de ces anonymes qui se font une réputation à travers les chansons, affirment plusieurs arrangeurs, reste le président Zidane.Ceux qui ne négocient pasParlant de rang social, Abou Nidal fait allusion à des personnes cossues financièrement. Dans ce groupe, il y a les footballeurs professionnels et les enfants des dignitaires du pays. « Des personnes comme Kader Kéita, Samuel Eto’o, Didier Drogba ou les enfants des refondateurs (Ndlr : dont nous taisons les noms), n’ont pas besoin de demander qu’on dise leurs noms dans une chanson. Lorsqu’un artiste le fait, c’est en ‘’travaillement’’ (verser de l’argent publiquement sur une personne) qu’il est récompensé. Imaginez une personne qui peut donner entre 500.000 et 1.000.000 F Cfa en une seule nuit à un artiste. Et si cet artiste reçoit pareille somme chaque week-end, calculez ce qu’il peut gagner », nous a confié le responsable d’un bar climatisé à la mode.Pas toujours pour de l’argentToutefois, tous les noms qu’on entend dans les chansons ne respectent pas cette exigence. «Pour de nombreux DJ, ce sont souvent des personnes qu’ils connaissent ou qui fréquentent régulièrement leurs boîtes de nuit, bars ou maquis, où ils animent. Généralement, ce sont de bons clients », affirme DJ Luciano, lui-même animateur. A ces personnes, l’on ajoute les hommes ‘’d’actualité’’. Ce sont des gens très introduits dans le milieu du show-business. « On cite leurs noms en espérant qu’on pourrait les séduire et les rencontrer un jour », souffle un autre DJ qui préfère garder l’anonymat. C’est le cas de Claude Bassolé, David Monso, Kiki Touré, etc. Dans cette veine, les animateurs sont en bonne posture. Didier Bléou, Baba Coulibaly, Mariam Coulibaly, Claudy Siar, Alain Mévégué, Robert Brazza… sont très prisés. Les gérants de bars, maquis et boîtes de nuit en vogue, bénéficient aussi de ce traitement de charme. Il ne vous reste plus qu’à vous rapprocher des artistes-chanteurs et à sortir le chéquier si vous souhaitez entendre votre nom dans une chanson.Sanou A.