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Les entretiens infinis : avec Auxeméry, 2

Par Florence Trocmé

Pour le principe de ces entretiens, voir la note de présentation.
Lire le premier entretien avec Auxeméry.

16 novembre 2007, d’Auxeméry
Je reviens sur Olson : […] Maximus, c'est 3 kilos de papier... je suis entré en littérature pour publier ça, un jour...
[…] ayant fait ce bouquin épuisant qui s'appelle Les Animaux industrieux, je suis dans une sorte de no man's land où plus rien ne compte sinon précisément la concentration extrême sur ce qu'il reste de réel à regarder...
J'en suis là, à vous parler (ne vous connaissant pas, mais voyant bien la sympathie qui peut entre nous se manifester, à l'évidence) et finalement, vous êtes en train de faire partie de la demi-douzaine de gens avec qui on établit le contact électronique dans la journée et qui font que la nef va vers son amer (il ne s'agit pas de l'amertume, mais du repère sur l'horizon -- j'aime ce mot valérien!).
Bref je trouve très bien que vous me disiez votre lassitude des médiocres, alors que je vois que vous avez la foi chevillée...
Quant à moi, peu de découragement en fait, mais de la solitude revendiquée : je patauge dans mon bureau envahi de papier, de photos, de statues et de masques, je vis dans un monde qui ignore les écoles et les chapelles et les bisbilles.

18 novembre 2007, de FT
Oui, foi chevillée, vous avez raison, mais aussi mon approche du monde de la poésie, en fait réinvestie massivement depuis seulement quatre ou cinq ans (j'ai de tous temps, depuis l'enfance en fait, été une lectrice boulimique, jamais saturée, et intéressée par la chose écrite un peu sous toutes ses formes, même humbles, mais assez peu de poésie jusqu'en 2001/2002), mon approche donc est en elle-même une sorte de chantier, de work in progress, pour faire chic (c'est une expression utile, dont je ne suis pas sûre qu'il y ait un bon équivalent en français, ce serait à vous le linguiste de me le dire !). Donc plus je lis, mieux je lis, peut-être ? Plus je lis, plus je parviens à cerner ce qui est fort, neuf, important, quelles que soient les écoles, les chapelles, la mouvance….. Donc, la médiocrité, quand ce n'est pas la franche nullité, me saute de plus en plus au visage, dès l'ouverture du livre ou de la revue. Et cela je m'en réjouis (de ce discernement, je veux dire). Et je ne rate pas une occasion de dire aux apprentis poètes qui m'abreuvent de poèmes très mauvais qu'il faut commencer par faire ses classes et donc lire, lire et encore lire..... Qui sait ? – je vous gagnerai peut-être des lecteurs.
Vous dire aussi que j'ai commencé ma plongée dans les Animaux industrieux, dont je vous dirais très platement pour le moment que ça me plait énormément, que déjà vos poèmes m'envoient des impressions, des images, des idées, mais qu'elles sont encore assez informes. Que je trouve, en tous cas, ces textes extrêmement riches de résonances et de résonances qui varient d'un poème à l'autre, chacun me semblant un monde en soi. Pardonnez l'indigence de ces premières remarques, il me faut avancer davantage, je n'en suis qu'à la page 44. Mais voilà, plongée en Aux commencée ! Et forte envie d'aller voir plus loin.

19 novembre 2007, d’Auxeméry
Tiens, pour ce soir, je vous recopie ceci, d'Emily Dickinson, que je trouve dans un bouquin que j'avais sur la table, ici, avant de partir il y a une dizaine de jours :

"This is my letter to the world
    That never wrote to me,
The simple News that Nature told
    With tender majesty"

J'espère que ça colle avec les impressions des Animaux... (Emily fait partie des passantes dans Codex...)

(On vient dans un message à côté du vôtre de me dire que j'étais un type qui faisait accoucher les esprits... C'est un beau compliment... Avec les Animaux, j'ai fait un peu plus, je crois... Je suis arrivé à construire un édifice où vivre... Et en disant cela ex abrupto ce soir, je suis en train de me dire que je vais bientôt trouver la faille dans laquelle je vais aller fouiller un autre pan de l'inframonde...) 

((Notre petite correspondance quotidienne est assez féconde, à sa façon...))

20 novembre 2007, de FT
On vous fait en effet un beau compliment, en vous disant que vous faites accoucher les esprits.
Pour l'instant, je confirme mon impression de très grande force née de vos poèmes mais il faut que j'avance encore et que, peut-être, j'ouvre les autres livres pour tenter de définir où réside cette force (puisque mon but est de faire une note de lecture sur les Animaux et pour cela, je ne peux pas me contenter de dire c'est fort, c'est beau, c'est important, il faut que je dise pourquoi), alors je note mes impressions en vrac. En voici trois :

• Chez Auxeméry, climat étrange, la poésie est pétrie de références, se fait fables, contes, on songe à l’antiquité, on songe à une sorte de poche nourricière d’histoires mythiques, mythologiques, etc. Impression parfois que l’ici, l’ici de l’enfance peut-être s’ouvre sur l’ailleurs imaginé des livres, steppes, chevauchées, etc. Animaux industrieux, les curateurs, ceux qui se chargent de nettoyer les cadavres, les différents cadavres, cadavres de corps mais aussi de pensées, d’œuvres, de maisons (ce qui reste ruines).

• Auxeméry, magnifique, plaisir esthétique de ces textes, un monde chacun, qui tiennent toujours sur une seule page, avec pour titre les premiers mots du poème, dont on peut se demander s’ils ne sont pas la matrice de tout le poème. Il y a là un moi étrange qui se fond dans son objet d’étude, le minéral du paysage (47), le masque et le bois (48). Il y a comme glissement de terrain entre l’observateur-écrivant et l’observé-écrit, la frontière est poreuse, de l’un se déverse dans l’autre et vice-versa. On bouge aussi sur l’atlas dans ce livre, partis de l’Afrique pour aller vers l’ Extrême Orient (une pointe zen) puis en Amérique. Le voyage. « Jusqu’à l’exténuation de toute parole, parler » (92), des accents de prophétie par moments, quelque chose de hors temps, le monde brûlant ou glacé, désert, l’homme seul dans la nature, pas de technique, pas de ville, peu d’hommes, des animaux.

• Pour l’instant le texte m’emballe, suscite des oh d’admiration, de stupeur, mais résiste à l’analyse. Il y a cette dimension d’ouverture spatiale qui est essentielle, ouverture temporelle aussi mais pas un passé historique, plutôt un passé anthropologique, ontologique, les animaux sont, je l’ai dit, les curateurs de cadavres, ce sont aussi ceux des peintures des cavernes, les animaux sauvages de l’Afrique, les hyènes, les lions, etc.

Je note « avec le pied variable en chaque ligne » (110), une malléabilité extrême du vers, de la ligne (de crête) pour épouser au plus près le flux de l’écrire, mais toujours dans le cadre, souple mais néanmoins limité, de la page. Chaque poème est un monde enfermé dans une page (un peu comme une carte dans un atlas au fond) mais la trouant de part en part par les résonances, les échos, les références, la nappe phréatique collective dans laquelle ils plongent.

Dans la composition du livre, on passe successivement de l’Afrique à l’Asie, puis à l’Amérique
« Lui, disait que la poétique / de notre situation restait à découvrir // au croisement de ce qui arrive / à chacun de nous // avec ce qui des profondeurs / surgit survient    formant // événement doué d’éternité  // cette chose qui de soi-même / existe & signe » (113) (Le "lui" est Olson qu’Auxeméry traduit depuis toujours, je songe à ces traducteurs reprenant sans cesse leurs traductions, comme lui ou Demarcq, comme à des pianistes retravaillant sans cesse leurs interprétations).
Le texte donné ici appartient au seul poème qui déborde le cadre de la page ! Est-ce dire son importance fondamentale ?

21 novembre 2007, de Auxeméry
Comme je vois que vous semblez partie pour explorer le continent... et que vous dites beaucoup de choses (des intuitions, des angles de vue...) dans votre message d'hier... et que entre autres vous parlez de Demarcq (qui fut le premier à écrire un article intelligent sur moi, il y a une paie ! ... et qui reste un des ces copains essentiels...), je vais prendre mon temps de vous éclairer sur quelques points ... et vous envoyer, si vous voulez bien, quelques poèmes des premiers livres (dont des parties ont été reprises dans Parafe.
Et puis un mot sur ce terme de "curateur" que vous employez : "curateur" est "celui qui s’occupe de quelque chose"; "cureur", (néologisme) serait celui qui "nettoie" en curant…)

De FT
Merci pour ces futurs éclaircissements (vous voilà avec du pain sur la planche, mais c'est vous qui m'avez dit, "laissez tout tomber pour vous consacrer à Auxeméry !"), je serai très heureuse, intéressée et secrètement flattée, si, si, d'entrer un peu dans le laboratoire la cuisine l'atelier..... Suis déjà très sensible à ce que vous me dites de ces conglomérats de "détails" qui forment ensuite la substance des poèmes.
Je vais commencer ce soir Codex, je pense puisque j'ai mené à terme hier ma première lecture de Les Animaux....

22 novembre 2007, d’Auxeméry
Je ne savais pas au moment où j'écrivais la phrase fatidique qu'elle serait suivie d'effet à ce point...
Et pour vous et pour moi...

de FT
Hier soir, j’ai particulièrement pointé, annoté, etc. le poème "ainsi marcher s'en aller"..... [Codex, p. 25]
Il m'éclaire beaucoup.

de Auxeméry, un fichier Word joint au mail
[…]

Maintenant par où prendre l’affaire des Animaux… ?

Le mieux est de suivre vos interrogations et vos remarques au jour le jour, dans les derniers messages… Je vais donc me répéter ou être exaspérant de vanité ou faire le prof ou je ne sais quoi… Vous ferez le tri et poserez ou non d’autres questions…

Je me révise depuis que la conscience de moi m’est venue ; et l’activité qui consiste à écrire et publier des poèmes est une bizarrerie qu’il faut vivre dans les contradictions et l’examen permanent.

Deux détails d’introduction – puisqu’il va s’agir de détailler : 1/ depuis quelques temps, je reviens à la lecture de Paul Valéry ; je n’ai pas encore éclairci pour quelles raisons précises et obscures, sinon que je suis aussi en train de relire aussi Lucrèce – et de le réécrire à ma façon ; mais la première des raisons qui me vienne est que ce sont là des maîtres de leur langue d’une part, et que d’autre part, cette maîtrise est concomitante avec un constant désir – plus qu’une volonté, un désir, oui – de s’éclairer soi-même sur ses rapports avec le monde. 2/ au détour de quelque paragraphe de vos remarques, je me suis dit que si j’en étais arrivé aux Animaux, c’est que cela devait bien avoir une origine, toute cette sagesse – disons : sagesse, oui – accumulée, et je vous ai PDFisé le recueil de mes débuts – pas tout, car les principaux poèmes1 ont été repris dans Parafe, mais comme Di Manno lui-même m’a dit récemment qu’on aurait pu en mettre un ou deux de plus quand nous avions composé ce livre-là, j’y suis revenu voir : et je sais bien pourquoi j’avais écarté la reprise de tel ou tel – des questions de forme, qu’il aurait fallu reprendre mais c’était impossible, on aurait dénaturé la chose… Cependant si vous lisez des choses comme Les Phaedriades, vous verrez d’où je pars, ou Les Incipits, et vous comprendrez, au titre même de celui-là, que la suite de textes à ligne d’incipit pour toute annonce a un antécédent !

Je prends donc vos remarques une à une.

• Vous dites : « impression de très grande force » à la lecture… mais je ne vois pas bien ce qu’on pourrait faire de moins ! Si un poème n’est pas destiné – et ne réussit à pas cette entreprise – à bouleverser le lecteur, il n’est strictement rien… (Je pense que vous avez compris que les auteurs – couronnés de lauriers complaisants et de louanges ronronnantes et patapones – de neuvains en vers impairs me sont personnellement indifférents, et objectivement risibles…)… Tenez, parmi les textes de Valéry que je relis, ce ne sont pas les exercices qui ont fait sa célébrité qui me remuent, ce sont certains déroulés de phrases, certains enchaînements syntaxiques, dans ce recueil posthume qui s’appelle Alphabet
Pour tout dire, je ne me vois pas écrire des choses médiocres : j’ai déjà beaucoup de mal à admettre que je publie… Il y a donc à tenir un rang, celui qu’on se donne, lorsqu’on décide de livrer ses scories au regard et au jugement d’autrui.
Et si vous êtes sensible à la « force » de la chose, c’est que le but est atteint : à vous de la décrire, cette force que vous ressentez…

• Mais enfin, la composition de chacun de ces poèmes n’est pas une partie de plaisir futile : concentration extrême sur l’objet à composer ; gageure, ou pari, à porter : des mots sont donnés, à une certaine hauteur de ton et donc faire en sorte que ceux qui suivent ne les mettent pas à bas ; de fait, les mots donnés entrent dans un ensemble de thèmes depuis longtemps creusés et recreusés, et rien n’est de hasard là dedans : on navigue en eaux-mères (les matrices – pour faire allusion à un Goethe, par exemple, –les archétypes traités constituent un fonds, le terreau même dans lequel j’évolue depuis toujours) ; enfin, organiser la matière dans son ensemble… selon une technique et des moyens qui avec le temps se sont affinés ; et surtout ne rien devoir qu’à soi-même, tout en exploitant évidemment le vaste terrain sur lequel je marche depuis longtemps…
Et le terrain, c’est quoi ? La vie, la mort, le paysage humain. Il n’y en a pas d’autre. En tout cas, surtout pas l’ambition littéraire ou l’exposition gratuite de vertus « poétiques »…

• Vous dites : « climat étrange », et « poésie pétrie de références… »
Le climat, certes, est au changement sur cette planète !
Et il est bien évident que le nommé Auxeméry n’écrit pas ce que tout le monde écrit : il y a de la faille dans le socle minéral, et du panoramique dans l’objectif…
Les « références » sont avouées, je vais puiser dans tous les filons : l’ordinaire de mes lectures (et de mes voyages, pour aller vérifier… me vérifier auprès de tel ou tel, Hafiz ou Olson…) est indiqué et la partie visible est la plus faible, bien entendu…
Dans des poèmes comme ceux qui n’ont pas été repris du Centre de gravité, il y a par exemple le passage clairement indiqué avec citations ou allusions, de Pound, mais là-dedans se croisent Pindare, ou Dante, ou Saint Matthieu et quelques autres… Ou de simples inscriptions, lues sur des monuments ou des bâtiments (la devise de l’île de Torcello, dans le poème dédié à Demarcq)…

• Tout cela, à vrai dire, est question de méthode…
Olson disait en américain « méthodologie »… Et ma dette à son égard est essentielle.
Si je n’avais pas lu Olson, je ne serais pas…Ce qui ne signifie pas que je sois inféodé… Mon origine est dans Breton (et tous les antécédents ou collatéraux – comme beaucoup d’entre nous, dans notre pays), ou Nietzsche, ou les Latins (Catulle, Horace, Virgile – et bien sûr Lucrèce) ; mais je traite la matière selon des modes de traitement, qui mettent en jeu un certain sens de l’efficacité… laquelle repose sur deux piliers : densité (ferveur, si on pense en terme d’impact émotif recherché) et rapidité (appel à la faculté d’intellection, la plus ciblée, comme par la flèche qui part – celle de Zénon, qui ne cesse de frapper, dans son vol même : celle qui touche aux essences, au cœur de l’existence).
Et aux références occidentales, il faut bien entendu ajouter les parts que prennent les Chinois, les Persans, quant aux corpus poétiques, mais évidemment aussi tout ce qui ressort de la mythologie ou du substrat issu des profondeurs des civilisations autres2

• Vous parlez aussi de « cadavres » : je vis sur une évidence…
Nous ne faisons toute notre vie que nettoyer nos peaux qui tombent avec le temps… Comme j’ai parcouru quelques endroits précis, à des fins précises de réalisation, et sans mysticisme préétabli, mais dans la conscience suraiguë de l’inéluctable, et de la plénitude à conquérir dans le hic et nunc, partout et à tout moment, le poème est le dépôt de ce savoir acquis…
(J’emploie le mot « dépôt » en toute gratitude pour un homme qui a été un sauveur des prétentions, lorsque je marinais dans la solitude africaine : la lecture de Denis Roche m’a bien évité de devenir le sous-symboliste ou ex-surréaliste ou infra-pongien ou tout ce qu’on voudra, que beaucoup de mes contemporains sont devenus… « Dépôts de savoir et de technique », est un des titres les plus adaptés à ma façon de voir et de pratiquer…. Mais bien entendu, le résultat n’est pas rochien !…)

• Et donc, les cadavres passent : les animaux les nettoient en effet (dire qu’ils en sont les « curateurs » ou plutôt donc « cureurs » est toutefois abusif, ce ne sont que des instruments, ces bestiaux) ou bien les différents traiteurs du chamanisme tibétain(air, eau, feu, terre – page 136) ; mais ce sont aussi des images à exorciser (le scorpion du livre des morts égyptien) ; ou de grands cachottiers qui œuvrent dans l’ombre puante (les vers de la description purement physiologique, page 146) ; ou des supports de superstitions pathétiques (page 154, Charles Mingus a passé la dernière année de sa vie à boire tous les jours le sang d’un iguane que lui avait conseillé un sorcier mexicain… mais il a composé aussi en même temps des poèmes musicaux qui sont le soleil de minuit des profondeurs de l’âme humaine) ;
L’animal travaille le corps humain, c’est son âme en décomposition permanente – c’est-à-dire sa vie même… (animal et âme sont le même mot, étymologiquement, l’un substantif, l’autre adjectif)
L’animal humain se donne seulement cette dérisoire supériorité de prétendre bénéficier de ce qu’il appelle sa conscience.
Le poète n’est que celui qui met cette prétention au niveau de ce qu’elle est : un artifice de langage. L’artifice même

• Vous parlez de « plaisir esthétique » des poèmes : je vous laisse la responsabilité de votre jugement…
Vous en attribuez la réalité à deux ou trois facteurs formels et à quelques considérations de sens et de technique :

« un monde chacun » et « à chacun sa page » : oui, on (Aux et Di Manno) a assez travaillé avec les typographes, qui sont des animaux industrieux supérieurs… C’est le défi à relever dès le départ, pour moi : ne faire que du dense et court, une page à traiter (il y faut de 3 minutes à 9 mois, ou plus)…« le titre est la matrice » : certes… C’est un point de départ voulu. Cependant je fais remarquer qu’il n’y a pas que cette suite de poèmes à incipit (qui sont dans la lignée de la partie initiale de Parafe3) ; il y a aussi les trois poèmes en prose qui avouent leur filiation (Michaux, cité en épigraphe, dont La Ralentie est un moule, en quelque sorte) et qui décrivent successivement 1- la circumambulation (la circulation autour du sanctuaire, des musulmans, qui est le mode de réalisation de la conscience du divin : là dans Volumen, le « rouleau », on est dans l’avancée vers la porte close/ouverte des mastabas… l’image de l’animal venant parfaire et achever le parcours : évidemment c’est l’expérience réelle de la traque des fauves qui joue, mais aussi la lecture des papyrus etc. et ces figures incontournables pour moi : le coureur/gardeur des troupeaux d’antilopes, nommé la Dame Blanche, du Brandberg, ou le sorcier cataleptique et bandant du Puits de Lascaux) ; 2- la dérision, avec Sortir Sortir des Cercles : c’est sans doute le moins réussi des morceaux, si j’essaie d’en juger objectivement – il y a trop de Lautréamont là-dedans – Vauvenargues est pillé, façon Poésies – et du point de vue de la mise en page nous avons fait des erreurs ; 3-la description chromosomique du nom (le X et le Y de la signature 4, et des axes du réel : en étendue, l’ordonnée : le terrain, la géographie, l’espace de la marche et de la traque dans les continents et les paysages ; en verticalité, l’abscisse : l’exigence d’individuation, de plénitude réalisée, dans l’être intime), et la description de la méthode par la même occasion…(Pound encore est l’esprit qui guide dans l’enfer, mais c’est Olson qui a fourni les clés, quant au fonctionnement)

•le « moi étrange » : disons plutôt « étranger »… Le minéral hante ; le masque colle au souffle ; vous dites aussi « glissement de terrain enter observateur-écrivant et observé-écrit » » et « frontière poreuse » entre objet et sujet, etc. : oui, on peut dire ça… Le « moi » est tout là-dedans sauf Auxeméry qui est l’autre de tous les autres… Auxeméry est un pseudonyme, une entité qui vit sa vie hors de moi, de tout « moi »…

• « on bouge sur l’atlas… » : chacun de mes livres depuis le feu l’ombre (mais aussi depuis le Centre de gravité, mais là c’était diffus : je ne savais même pas que je ferais un second livre, ni même que j’en avais le désir ou la force) est composé selon deux principes : autonomie de chaque pièce qui le compose, et organisation selon les axes de réalisation en fonction des continents (il y a même une spéculation interne là-dedans, à partir des éléments alchimiques 5, des couleurs, etc. qu’on retrouve dans les Actes d’Hélène… que personne n’a jamais lu !) ; avec un corollaire, que je développais jadis ainsi : chaque grand poème peut se concevoir à la façon d’une pièce musicale, avec des satellites, de type ellingtonien, et l’ensemble de chaque volume serait organisé à la façon des suites de Mingus (Tijuana Moods, par exemple) ou d’Ellington…

• la « pointe zen » : non, ce serait plutôt taoïste… et je joue aussi sur les pratiques bouddhistes, ou la musique indienne (le râgâ : un thème pour chaque circonstance de la journée…journey au sens du « voyage », d’ailleurs, du voyage dans l’énigme)

• vous dites : « l’homme seul dans la nature, pas de technique, pas de ville, peu d’hommes » : non, là, fausse route… La technique est omniprésente – ne serait-ce que parce que, en ce moment même, comme pour travailler à la composition des poèmes, on utilise l’ordinateur… et que si les animaux nous travaillent autant, dans l’obscur de nos oublis, c’est que nous avons perdu nous-mêmes notre essentielle faculté animale en nous soumettant à la technologie (cette divinité meurtrière, qui abolit toute conscience possible et réduit l’humain à la végétation sans âme, sans plus aucune possibilité d’être… Les crétins cybernétisés vous diront qu’on va sauver le monde en allant sur une planète extra-solaire, quand nous aurons achevé la destruction de tout, ça nous fait une belle jambe…) ; le supermarché qui se trouve depuis quelques années au pied de la mesa Hopi d’Oraibi, au carrefour du désert – magnifique - avec la misère – immense – des cultures nobles que la superstition progressiste a écrasées, est le symbole même de tout ça, au même titre que la cimenterie qui est établie sur le site d’Eleusis (Eleusis qui est allé s’exiler dans les studios de Californie, la terre du désastre absolu)… Et les villes, absentes ? Non, mais elles se résument aisément à l’abandon de ce bar minable en plein Wyoming, avec son église et ses vaches dans le pré pas loin… Les hommes ? Mais ils sont partout : ce sont les animaux les plus tristes… Mais c’est aussi le « moi » qui parcourt le monde… et voit les hommes à l’œuvre de mourir et de vivre…

• « ouverture spatiale, ouverture temporelle » : c’est le principe de composition et de méthode : l’axe de l’histoire/géographie (l’ordonnée), et celui de l’individuation (l’abscisse) … L’horizon infini, et riche, des mythes, des événements humains, des objets créés par l’humain, et le creusement de l’être (le cri, la souffrance, la mort qui fait sa souille)… Les animaux sont les supports de la quête, voilà tout (en poésie, on est dans le symbolique actif… je veux dire : pas le symbolisme niais des rêveurs passifs…)… C’est le destin de l’humain : depuis la caverne (le ventre de pierre, le lieu de l’illusion nourricière, de l’imagination qui illumine du dedans 6) jusqu’à l’image finale de 2001, le film de Kubrick, celle de l’animal humain regardant sa propre énigme tournant en face de lui dans l’immobilité du fœtus en attente de prédation…

• « le pied variable » : c’est la formule de William Carlos Williams… que je cite exprès là-dedans pour les initiés ! Mais enfin ce sont les Persans, les Chinois, les Troubadours, et Olson surtout, qui m’ont donné mon instrument… Et avec les Animaux, je pense être parvenu à une certaine maîtrise…

• les « échos », la « nappe phréatique » etc. : là, vous êtes sur la voie… (Je suis né à côté des trous dans les causses… du moins, en imagination… en fait, le paysage de mon lieu natal est hanté par une vieille mine d’or, datant de la préhistoire… et mon nom de famille est quasiment néolithique…)

• Votre citation de « lui, disait que la poétique etc. » : il s’agit d’Olson avec une référence précise à un ou deux poèmes précis (l’un, dédié à Robert Duncan) et où Olson utilise conjointement la psychologie jungienne (en vertical) et la théorie de Whitehead, Procès et réalité (en horizontal, pour reprendre toujours le même système d’exposition).

• Quant au « pianiste », il y a en a un en effet dans les poèmes, ou plutôt une : j’ai fait une allusion quelque part à cette pianiste célèbre qui élève des loups (Hélène Grimaud, je crois, une personne magnifique) !!!

Si vous avez d’autres points à me demander d’éclaircir, -- avec plaisir.


1 Enchevêtrement de fleurs jaunes (qui ouvrait le Centre de gravité), Le Principe d’inertie, L’averse (qui fermait – °

2 Je vous ferai quelques PDF aussi de le feu l’ombre où il y a des poèmes issus de considérations sur les masques africains – dans Codex, je systématise : chaque type de masque est associé à une figure de rhétorique… l’idée n’est d’ailleurs pas de moi, mais est développée par de savantes personnes dans les publications du musée Dapper !… mais dans le feu l’ombre, le masque Dogon qui m’observe depuis 40 ans est là (il a disparu du Musée de l’Homme, avec la création de cette saloperie chiraquienne qui porte un nom de quai perdu dans le désert) ; s’y trouve aussi quelques poèmes qui viennent directement du paysage réel des Indiens (si vous avez remarqué, ma décision d’entrer en poésie – publiable – vient de l’Amérique Centrale, et un des derniers livres que j’aie publié est un ouvrage d’anthropologie de mon ami Nathaniel Tarn, précisément concernant des lieux où je peux dire que j’ai trouvé une certaine signification à ma vie ; l’Égypte également a eu son rôle, et le poème Al Kemit repris de le feu l’ombre – un livre fantôme -- dans Parafe, est un parcours de l’âme dans la mort égyptienne, avec pour protagoniste Pound, encore lui, au point que Di Manno en a cité des extraits dans sa réédition des Cantos…).. Mais, à vous montrer les multiples liens ou échos qui tissent l’ensemble de ces livres qui sont les miens, j’ai l’impression de tomber dans le défaut qui me fait le plus horreur, la prétention…. Veuillez ne considérer tout cela que comme une révision de plus… dont vous êtes la seule lectrice… et de fait, c’est sur ce ressassement-là que tout se bâtit…

3 La première partie(Conscience Masque) de Parafe a été écrite à toute allure, à l’origine : certains poèmes – la plupart sont donc le résultat d’un travail d’élagage, de destruction, de restructuration de choses enregistrées en pleine vitesse en conduisant, et avec dans la tête des strophes interminables scandées à la Artaud, sorte de folie de braillement, de délire philosophique ou de prophétie ou de méditation autiste ou de défi à la mort etc. En fait, le premier poème de Parafe est le programme…

4 Avec la filiation : un poème s’adresse au père/mère, quelque part… le couple animal qui travaille le plus, dans la dérision comme dans le pathétique…

5 Le poème Blasons / Sable et Or est la théorie de tout cela…

6 J’inclus dans le livre un poème dédié à Clayton Eshleman , que j’ai traduit par ailleurs, et avec lequel j’ai fréquenté quelques trous d’être préhistorique…(Parenthèse, à ce propos, comme j’ai publié les poèmes d’Eshleman chez Deguy… Je cherchais hier mon volume des Poèmes d’ED traduits par Malroux, chez le même Deguy… ils étaient dans mon dos, cachés par les livres d’Eshleman… Et comme j’étais hier soir à La Rochelle, j’ai donc racheté les Poèmes d’ED en Poésie/Gallimard… avant d’aller voir Maître Puntilla au théâtre…)


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