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L'homme qui voulait classer le monde ou internet avant internet

Par Bscnews
L'homme qui voulait classer le monde ou internet avant internetPar Eric Poindron - BSCNEWS.FR / Au tournant du XXème siècle, deux savants pacifistes belges, Henri La Fontaine et Paul Otlet, imaginent « Le Mundaneum » et décident de rassembler les savoirs du monde dans un immense répertoire. L'esprit de Borges et de la tour de Babel plane sur cette entreprise grandiose que n'aurait pas reniée l’érudit Pic de la Mirandole.
Pourtant, aujourd’hui encore, bien peu de lecteurs connaissent le nom de Paul Otlet (1868-1944), ainsi que les mots de « Mundaneum » , «Palais Mondial », ou de « Cité Mondiale ». C'est comme si cette fascinante utopie avait disparu sans laisser de traces. Le Mundaneum comprendra jusqu’à 16 millions de fiches. Pourtant, la folle utopie se solde par un échec cuisant. Elle annonce pourtant, dès 1895, Année de la naissance du cinéma, le concept d’Internet. L'aventure dura pourtant plus d'un demi-siècle, mobilisant des énergies considérables et suscitant le concours de personnalités prestigieuses.
Prolongement des rêves encyclopédiques des XVIIIe et XIXe siècles, aux accents parfois grandioses et parfois dérisoires, l'aventure du Belge Paul Otlet touche à l'histoire du livre et des bibliothèques comme à celles des institutions internationales et du mouvement pacifiste. À travers le rôle joué par Hendrik Andersen et Le Corbusier, elle constitue aussi une page importante de l'urbanisme moderne. Certains y voient les prémices qui favoriseront l'avènement de l'Internet moins de cent ans plus tard.
Le Mundaneum est un système de classement bibliographique universel imaginé par Henri La Fontaine et Paul Otlet à a fin XIXe siècle. Ce projet avait pour but de réunir dans un même lieu toutes les connaissances du monde et ce sous toutes ses formes (Fiches, livres, affiches, presses venant du monde entier,...). Cependant, devant l’ampleur de la tâche, ils durent privilégier certains domaines (essentiellement la documentation internationale).
À la suite de William Boyd Rayward, de nombreux chercheurs, en Europe et aux États-Unis, reconnaissent aujourd'hui Paul Otlet, - auteur du Traité de documentation (1934) - comme l'un des précurseurs conceptuels d'Internet. Avant même Vannevar Bush (généralement considéré comme le père d'Internet et de l'Hypertexte avec son article de 1945 intitulé « As we may think »), le projet du Mundaneum apparaît ainsi, à travers certaines intuitions de Paul Otlet, comme une préfiguration conceptuelle d'Internet
Mais ce sont aussi les gros traits de Wikipedia qu’esquisse en visionnaire Paul Otlet, en imaginant une « machinerie pour le travail intellectuel », support d'une encyclopédie totale et collective.
Outil de connaissance pour la paix, le Mundaneum devint un centre de documentation à caractère universel et fut durant la première moitié du 20ème siècle le berceau d’institutions internationales humanistes dédiées au savoir et à la fraternité.
Paul Otlet définissait ainsi son projet : « Le travail de documentation se présente sous un triple aspect : il importe tout d'abord de collectionner et de classer méthodiquement tous les titres de ce qui a été écrit et publié dans les différents pays et aux diverses époques ; puis, l'ouvre s'élargissant, il y a lieu de réduire en leurs éléments toutes les publications et tous les écrits et de les redistribuer pour en former des dossiers conçus comme les chapitres et les paragraphes d'un unique livre universel ; enfin, devant l'abondance des documents, le besoin s'impose de les résumer et d'en coordonner les matériaux en une Encyclopédie universelle et perpétuelle. Une telle encyclopédie, monument élevé à la pensée humaine et matérialisation graphique de toutes les sciences et de tous les arts est l'étape ultime. Elle aurait en fait pour collaborateurs tous les penseurs de tous les temps et de tous les pays ; elle serait la somme totale de l'effort intellectuel des siècles... »
Puis il ajoute, afin de mieux définir son profet et son devenir :
« la table de travail ne serait plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements… De là, on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut parleur si la vue devait être aidée par une donnée ouïe, si la vision devait être complétée par une audition. Utopie aujourd’hui, parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. Et ce perfectionnement pourrait aller jusqu’à rendre automatique l’appel des documents sur l’écran, automatique aussi la projection consécutive… ». Tiens, tiens, et que faites-vous en ce moment, cher lecteur ?
Dès 1920, Le Mundaneum expose de manière permanente ses collections dans l’esprit des expositions universelles. A cette époque, Paul Otlet prend connaissance du projet de Cité Mondiale initié par Andersen. Il se réapproprie alors l’idée et propose à Le Corbusier d’en être l’architecte. L’objectif de la Cité était de rassembler, à un degré mondial, les grandes institutions du travail intellectuel : bibliothèque, musée et université. A partir de 1934, les collections du Mundaneum vont vivre des heures difficiles. Utopie par excellence, la Cité ne sera finalement jamais réalisée.
Ajourd’hui, le Mundaneum - autrement connu sous l'appellation « Internet de papier » comporte des fonds et des vastes collections comme le Musée International de la Presse, le Répertoire Iconographique Universel (affiches, cartes postales, plaques de verres, photographies), le Répertoire Universel de Documentation, les papiers d'Henri La Fontaine et de Paul Otlet et les archives des Amis du Palais Mondial,. L'originalité du Mundaneum réside aussi dans la conservation de fonds d'archives liés à des mouvements d'idées pacifistes, socialistes pour mener notre société à une réelle pratique démocratique. Au tournant du XXème siècle, ces idées évoluent vers le féminisme, l'anarchie, l'objection de conscience, c’est pourquoi le Mundaneum renferme les collections féminisme et anarchisme. Il représente au total quelques 6 km de documents amassés
Aujourd’hui encore, Le Mundaneum comporte le Mundaweb qui est composé d'un espace internet convival et d'un espace de formation à l'Internet, la création de pages Web, l'initiation à l'ordinateur et à l'environnement Windows. Construit dans les années trente par l'architecte Vleugels, le bâtiment a été conçu dans un style art Déco (ce dernier a été remanié en fonction de la nouvelle vocation du lieu en 1998. Initialement, on trouvait une coopérative et sa boulangerie, appelée l'Indépendance, en lieu et place de l'actuel Mundaneum).
Ce n’est qu’en 1998 que le Mundaneum va à nouveau bénéficier d’une salle d’exposition dont la scénographie a été réalisée par François Schuiten et Benoît Peeters. Dans cet espace d’exposition sont organisés, dans un souci de filiation, des expositions temporaires, des conférences, des colloques, des visites guidées et des formations en informatique et en classement d’archives.
Aussi, la prochaine fois – c’est à dire maintenant – que vous prendrez place devant votre clavier, ayez une pensée pour cet homme sage et inspiré qui voulait « classer le monde ».
MUNDANEUM
Mundaneum - Centre d'Archives de la Communauté française
Rue de Nimy, 76
7000 Mons
Province du Hainaut, Wallonie, Belgique
http://www.mundaneum.be (Portrait de Paul Otlet au Mundaneum, Mon )

Lecture recommandée :
L'homme qui voulait classer le monde, Françoise Levie, éditions, Les Impressions Nouvelles, Bruxelles.
Dans cette passionnante biographie de Paul Otlet, Françoise Levie retrace l'histoire du Mundaneum, cette utopie qui aurait pu réussir. Elle raconte l’histoire d’une grande aventure intellectuelle, d'une grande intuition qui finit par se changer en obsession, d'un rêve de Paix universelle qui bascula dans le délire. L'histoire d'un apparent échec, et d'une victoire posthume pour le moins inattendue... Un livre étonnant, labyrinthique qui célèbre l'esprit de la connaissance.

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