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Triste tropisme : le jour où j’ai rejoint le Club Nespresso

Publié le 14 novembre 2010 par Plumard

Triste tropisme : le jour où j’ai rejoint le Club Nespresso

Posée au beau milieu du plan de travail, la bête rayonne ; c’est un bijou d’ergonomie, une prouesse de designer. Si elle n’avait pas vocation à faire du café, peut-être aurait-elle sa place au musée des Arts Décoratifs. Mais posséder une cafetière Nespresso ne suffit pas à faire de vous un membre à part entière de la communauté des buveurs de café subtil. L’intronisation officielle nécessite une visite au « Club Nespresso» de la ville, passage obligé pour garnir et regarnir son stock de dosettes colorées.

Un samedi après-midi, sous une pluie abondante, nous nous pressons donc au « Club » pour passer notre 1re commande. Stupéfaction : l’endroit ressemble à une boutique parmi tant d’autres, à mille lieues de la loge maçonnique que je m’étais imaginée. La vitrine est embuée et l’atmosphère chargée d’une odeur inhabituelle, mariage d’effluves précieuses et de sécrétions corporelles mal absorbées par les tissus délicats, cachemire et autres fourrures inhumaines portées par la clientèle.

Ca grouille de gens importants, devant lesquels des employés en costume gris s’activent et font des ronds de jambe. Ici, l’élite, la bourgeoisie locale et les notables de toute la région s’entremêlent, se reniflent et pestent sans conviction contre l’exiguïté des lieux. Carte du Club dans une main, carte bleue Premium dans l’autre, la rombière attend sagement son tour, pressée entre le cadre sup’ et le sous-préfet en goguette.

Autant de gens qui se font habituellement livrer leurs courses, délèguent sans remord leurs tâches ménagères et la garde de leurs juvéniles héritiers, mais qui, visiblement, ne manqueraient pour rien au monde leur visite hebdomadaire au Club Nespresso. Le marketing déplace des montagnes.

Autour de nous, les teints sont blafards, les regards vides, les bouches pâteuses. Les mains tremblent. Et les discussions superficielles dissimulent mal l’addiction honteuse qui affecte tous ces petits corps.

Alors que, mêlé au troupeau, je patiente pour accéder au comptoir, j’ai une vision. Je me trouve dans une salle de shoot, implantée au nez et à la barbe des autorités. Un lieu de perdition qui a pignon sur rue, dans lequel bureaucrates et banquiers accourent pour se procurer leur dope. Ici, tout le monde vient cherche son shoot, son petit noir bien serré, son petit pic de tachycardie qui mène tout droit vers le paradis.

Notre tour arrive : la vendeuse, après un accueil poli, est pressée de nous refourguer sa came. La vieille qui nous succède dans la file est parcourue de spasmes inquiétants ; sa dose matinale ne fait plus effet. À notre droite, un jeune notable crispé en complet-veston compose son code de carte bleue pour finaliser une transaction d’un montant dépassant les 150 euros. On lui propose de « passer au salon » pour une « dégustation ». J’y vois clair dans leur jeu. Je panique, je jette ma carte du Club au visage de l’employée, interdite, et j’entraîne mon amie vers la sortie en bousculant les drogués hagards qui barrent le passage. Un agent de sécurité tente de nous retenir, je lui expédie une machine Latissima Premium encore chaude en travers du visage et je parviens à nous extraire de ce traquenard. Le vent nous fouette le visage. La pluie dégouline sur nos tempes. Nous sommes libres.


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