Lorsque le FFCF s’étalait sur deux semaines, enchaîner trois ou quatre films dans la même journée n’était pas nécessaire. Cette année, c’est mission impossible de tout voir si l’on refuse de faire journée pleine sur journée pleine. On bouffe de la pellicule (bon en l’occurrence, plutôt de la betacam, mais l’idée est la même) du début d’après-midi à l’entame de la nuit, et malgré la fatigue, malgré la future nostalgie d’un festival qui aura filé trop vite, malgré la malbouffe ingurgitée, c’est du bonheur.
Mais il y a des soirs - surtout les dimanches lorsqu’il faut se lever tôt le lendemain pour aller bosser - il y a des soirs - c’est ça de faire son fier à tenir son blog seul quand tant d’autres sont rédigés à plusieurs mains (un gros clin d'oeil) - il y a des soirs (mais je vais y arriver bon sang !) où multiplier les billets pour rendre compte de tout ce qui a été vu dans la journée est totalement déraisonnable. Et ce dimanche fut une de ces journées dantesques qu’il serait trop dommage de ne pas décrire dans son intégralité. Alors voilà, tout le monde se met en place, on éteint sa clope, on colle le biberon à bébé pour être tranquille, on vérifie que le boss est pas dans le coin si on est au boulot... c’est bon, tout est prêt ? Allez c’est partie pour le récit d’une dimanche au Festival Franco-Coréen du Film 2010.
12h55. Les portes (de bois ?) de l'Action Christine ne sont pas encore ouvertes, mais le duo de Made in Asie est lui aussi prêt pour faire son marathon FFCF en ma compagnie. Le premier film au programme est Taebaek, Land of Embers. J’ai entendu le directeur artistique du festival, Yoo Dong-Suk, dire le plus grand bien de ce documentaire s’attachant à une petite ville minière dont l’énergie due à l’activité charbonnière n’est qu’un souvenir chancelant de plus en plus lointain. Après un premier quart d’heure à deux doigts de me mortifier, se contentant de filmer en silence les tunnels et les paysages miniers, le film de Kim Young-Jo s’éveille enfin, se penchant sur l’histoire de Taebaek, sur les gens qui peuplent la région, sur les souvenirs, les doutes, les craintes. Un regard sans fioriture, osant parfois de longues séquences silencieuses où l’on suit un homme marchant à travers la ville, ou une vieille femme faisant de même. Dans ces moments-là, mes lourdes paupières n’ont pu résister à se fermer pour recharger les batteries. A noter que l’année dernière, le précédent documentaire de Kim Young-Jo, le très intime Portrait de famille, faisait partie de la sélection 2009 du FFCF.
14h20. Sortis de la salle 1, plus d’1h30 nous sépare de la Masterclass de Ryoo Seung-Wan inscrite dans mon planning. Du coup, je me glisse à la suite des amis de MIA dans la salle 2 pour attraper en cours de route le programme 1 de Courts-métrages, commencé à 14h. Il reste trois courts-métrages, ce qui justifie amplement de s’installer en salle plutôt que d’aller glander dans la rue. Après la gentille histoire d’une fillette de cm2 tombant amoureuse d’une petite danseuse du même âge, Feel so Good, deux courts pour le moins étranges se succèdent. L’éthéré At 3pm de Kim Ji-Gon, balade soporifique dans différents quartiers urbains, et particulièrement dans la cabine de projection d'un cinéma. Retirez la mention « étrange » pour celui-là, il était juste gonflant. En revanche, Tongro mérite assurément la mention. Le film semble d’abord nous emmener vers du fantastique inquiétant, avec trois jeunes gens mettant la main sur des bébêtes mystérieuses, mais finalement l’attente suscitée s’évanouit, le réalisateur Lee Tae-an n’exploitant finalement aucune des possibilités posées par son idée de départ. Au lieu d’aller nous titiller, le film vient juste nous décevoir. Bouh.
15h35. A la sortie du programme de courts, un type qui était déjà présent à la séance précédente pour Taebaek m’alpague en révélant qu’il m’a grillé en train de m'endormir devant le documentaire ouvrier. J’avoue, « Oui, je fermais les yeux, mais je ne dormais pas ! ». L’anecdote va me poursuivre tout l’après-midi.
16h et des poussières. Quelques dizaines de spectateurs s’installent pour la Masterclass dispensée par Ryoo Seung-Wan, dont j’ai vu deux films dans les jours précédents au FFCF. Charles Tesson joue au chef d’orchestre et Yoo Dong-Suk au traducteur pour l’occasion. Les classiques questions d’un Tesson que l’on découvre totalement unaware de la carrière du cinéaste coréen lancent Ryoo dans de longues tirades où il nous révèle ses premiers souvenirs de cinéma (Bruce Lee et Jackie Chan en force !), ses premiers émois cinéphiles (John Ford), et ses débuts professionnels au côté de Park Chan-Wook après avoir dévoré les critiques écrites par ce dernier, critiques qui ont forgé son goût pour la série B. Parsemée de quelques bugs techniques, la Masterclass s’est ponctuée d’extraits de films commentés (No blood no tears, Arahan et Crying Fist). Sympa le Ryoo Seung-Wan.
18h. A peine sortis qu’on retourne dans la salle 1 ! De nouveau pour un documentaire donnant dans le social. Après la mine, direction Before the full moon et son usine de Ssangyong Motors où, à l’été 2009, les employés se sont dressés 77 jours durant contre leur direction pour tenter d’empêcher des licenciements en masse. Le film a beau être parcouru d’une voix-off didactique un peu trop lénifiante et journalistique, le sujet est explosif, et les images des assauts policiers pour tenter d’enrayer la grève sont édifiantes. L’émotion est palpable dans la salle. Avant la projection, des ouvriers coréens sont venus faire un discours. Ceux-ci luttent également à leur manière contre leur (ex) employeur, le français Valéo. Depuis des mois, ils viennent régulièrement en France manifester devant le siège social de l’entreprise française, dans le 17ème arrondissement parisien, pour tenter de se faire entendre et ne pas se laisser mettre à la porte sans l’égard économique et financier qui leur est dû. Courage les gars, on est avec vous !
19h30. Avant d’aller voir Vegetarian à 21h30, un rendez-vous à 20h30 avec des amis qui eux sont allés voir Ha Ha Ha à 18h30 m’empêche d’aller voir le programme 2 de courts-métrages dans son intégralité. Mais rien ne m’empêche d’aller voir les deux premiers courts et de sortir discrètement après. Il y a du monde dans la salle, étonnant pour un programme de courts. Lorsqu’il est annoncé que le réalisateur français (Yann Kerloc’h) du film Ballad of a thin man est présent pour la projection de son court avec toute l’équipe de son film, tout s’explique. Dommage, son court sera le dernier projeté, et je ne serai plus en salle lorsqu’il passera. D’autant que les deux courts vus, Shall we take a walk et Indra’s net, sont peu mémorables.
20h30. En attendant que mes amis sortent de Ha Ha Ha, je discute avec un membre du staff du festival, qui me reconnaît de la soirée d’ouverture, lorsque je ne l’avais pas lâché pour savoir si mon amie pourrait finalement acheter une place pour entrer en salle elle aussi. Ce dimanche, on discute des films que j’ai vus dans la journée, et lorsque je lui dit que j’ai vu Taebaek, il me révèle qu’il habitait là-bas lorsqu’il était jeune enfant. « Dans une autre vie » me dit-il avec le sourire. Puis la conversation dérive vers Hong Sang-Soo. Oui j’ai vu ses films lui dis-je. Non je ne savais pas que Hong y disait tout haut ce que les hommes coréens pensent tout bas. « Je peux pas voir un de ses films avec mon père ou ma mère, ça me fait rougir » me révèle-t-il. J’adore le staff du FFCF.
21h30. Les premiers spectateurs de la salle 1 sortent enfin, ceux qui ont pu voir les courts métrages 2 dans leur ensemble. Mes camarades de Made in Asie sont parmi les premiers à sortir. « Alors ! Ils étaient comment les courts que j’ai ratés ? ». Rien qu’à leur tête, les mots étaient inutiles. Et chaque spectateur que je connais sortant de la salle me fait bien comprendre que je n’ai rien raté en zappant Ballad of a thin man, qui semble avoir fait l’unanimité dans le mauvais sens. Mais celui-là, je laisserai ceux qui l’ont vu en parler.
22h. C’est avec près de trente minutes de retard que l’on s’engage enfin dans Vegetarian, le premier long-métrage de Im Woo-Seong. Dans les escaliers menant à la salle, je tombe sur celui qui m’avait surpris les yeux fermés devant Taebaek plusieurs heures plus tôt, qui ne peut s’empêcher de ressortir une petite blague, profitant de l’heure tardive pour laisser entendre que je vais m’écrouler. Je lui assure pourtant du contraire. Et s’il s’avère effectivement que non, je n’ai pas eu besoin de recharger les batteries devant le dernier film de la journée, je n’en suis pas pour autant sorti conquis. Malgré quelques beaux passages, ce récit d’une femme persuadée qu’elle peut devenir plante et exerçant une puissante fascination sur son beau-frère appuie parfois trop lourdement sur ses effets (mes oreilles souffrent encore de la musique grandiloquente…). Sundance a peut-être été conquis, je suis plus sceptique.
Minuit. Notre long dimanche à l’Action Christine s’achève. Il avait commencé avec les portes du cinéma qui s’ouvraient, il se conclue avec ces mêmes portes refermant pour quelques heures les deux salles du 6ème arrondissement parisien. Que je retrouverai dès le lendemain.