Magazine Culture

Monsieur Le Comte au pied de la lettre, de Philippe Annocque, par Pascale Petit

Par Florence Trocmé

Annocque Voilà le livre d’un auteur en quête d’identité  – d’écriture – ou en quête d’écriture tout court – entre l’envie de reprendre tout depuis le début et l’envie de finir ou d’en finir. Comment finir. Comment en finir. Comment commencer. Re-commencer ? Entre les deux : écrire. Pour commencer, pour l’écrivain – quoi de plus simple finalement que de prendre les mots au pied de la lettre – c’est-à-dire dans leur sens littéral et étroit – et aussi très au sérieux. On souligne finalement car en réalité, ce livre (cette « calembredaine héroïque » ainsi désignée par son sous-titre) ne commence pas au pied de la lettre ni même avant l’ascension (littéralement – premier degré) de la première lettre (par le personnage inventé du livre, Monsieur Le Comte) mais bien après, longtemps après tous les livres – d’un point de vue littéraire panoramique et extravagant. Mais cette ascension initiale du A au début du livre se révèle être le plus évident et le plus court chemin vers les jeux métatextuels. L’absence de ressemblance avec la réalité ou une exagération grotesque de celle-ci dans ce qu’elle a de plus banal et une relation spéciale à la fiction (littéraire ou autre) sont à souligner. On pense à un conte en lisant Monsieur Le Comte au pied de la lettre et on pense à Philémon, le personnage d’Avant la lettre de Fred qui se promène entre notre monde réel et les îles que forment les lettres de l’océan Atlantique. Philippe Annocque a lu beaucoup de livres (tandis que Monsieur Le Comte apparaît à présent à bicyclette) et le sien est traversé de références nombreuses et d’une érudition certaine, pas seulement littéraire. Le lecteur averti – par la quatrième de couverture –  (le « scoliaste astucieux », l’« exégète extralucide », le « suréminent herméneute » tel que le dessine l’auteur pour délimiter l’aire de jeu littéraire et établir ainsi le pacte avec lui) repérera (ou croira repérer) des allusions majeures à la littérature – la substantifique moelle de Rabelais, la naissance de Tristram Shandy, le chevalier à la triste figure de Cervantès, Le vicomte pourfendu ou Le chevalier inexistant de Calvino, L’innommable de Beckett, la cafetière de Robbe-Grillet jusqu’à une sorte d’OuLiPo pour les nuls frisant les contrepèteries d’un Almanach Vermot raffiné pourléché… Le tout traversé de savoirs divers aussi bien zoologiques, que mycologiques, cinématographiques, darwinesques, antédiluviens, eschatologiques ou plus simplement scatologiques – en 2 ou 3D – l’auteur interrogeant inlassablement la fiction et son fonctionnement, l’argument, la vraisemblance, les coïncidences. On l’aura saisi : le conteur sans imagination  –  c’est lui qui le dit  –  de cette histoire s’est laissé dicter son intrigue par le sens propre des mots. Ainsi en est-il du traitement du texte où un rebondissement est un rebondissement véritable, où le début est une ascension et un déluge, le monde du silence, où la question de l’identité du personnage (ou de l’auteur ?) se double d’un double sans visage, où la perception par le point de vue du personnage (ce Monsieur Le Comte) nous conduit dans une ambiance de film similo-fantastique genre Yeux sans visage de Franju. Mais où vont le personnage, l’auteur, et leur double dans cette histoire ? Les problèmes d’assimilation que révèle ce trop-plein de mots, de phrases et de références posent des problèmes d’évacuation clairement identifiés par l’auteur. Qui entraînent, c’est fatal, la question du pourrissement. Des champignons. Heureusement, Monsieur Le Comte est employé à la Soverse, une entreprise spécialisée dans les travaux de plomberie. Heureusement, Philippe Annocque tire les fils blancs de cette fausse intrigue jusqu’au bout du dessein d’écrivain qu’il s’est fixé – la délivrance – et s’en tire : « Mais voilà, se dit le lecteur averti, le « scoliaste astucieux », l’« exégète extralucide », le « suréminent herméneute » de tous les livres de Philippe Annocque, l’auteur nous a encore échappé. Dans quel genre de livre le retrouvera-t-on la prochaine fois ? 
 
Pascale Petit 
 
Philippe Annocque 
Monsieur Le Comte au pied de la lettre 
Quidam Editeur 
Collection Made in Europe 
98 p.,  12,00 euros 
 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines