Née à Addis-Abeba d'un père éthiopien et d'une mère française, Myriam Tadessé, titulaire d'une maîtrise en philosophie, est commédienne et metteur en scène. L'instant d'un regard est son premier livre.C'est cette une présentation sommaire de l'auteure qui est ainsi faite sur le quatrième de couverture. La narratrice nous raconte son enfance sur cette terre africaine d'Ethiopie. Mais pour que le portrait soit parfait et que tous les éléments de la peinture apparaissent sur la toile, elle prend soin de nous décrire différents personnages en les plaçant dans le contexte de la grande histoire de ce pays. Apparait ainsi et tout d'abord, cette grand-mère paternelle altière, femme blessée par la vie, mais digne. Femme arrachée à sa famille par le rapt de son futur mari. Femme dont le mari émancipé, vouant ses compétences au service du Négus, va connaître d'une détention pendant l'occupation italienne. Mari qui va disparaitre... Ses soeurs. Grandes tantes de la narratrice. Habitant toutes une même rue de pierre. Oui, c'est d'abord par des portraits de femmes que la narratrice nous raconte Addis Abeba de ces époques lointaines. Les hommes interviennent progressivement sous la plume de Myriam Tadessé pour faire parler la Grande Histoire, dont ils sont des acteurs majeurs. Proches de l'Empereur Hailé Sélassié, le grand-père, le grand-oncle et le père de la narratrice, sans faire partie de l'aristocratie ancestrale proche de l'église d'Ethiopie, mais plutôt de cette élite formée par l'église catholique, ils subissent de plein fouet les retournements de situations politiques avec l'occupation italienne ou le coup d'état de Menghistu Hailé Mariam, le Négus rouge, despote sanguinaire.
La narratrice introduit ensuite sa mère. Française, elle. Son itinéraire et cette vie qui l'ont conduites en Ethiopie...
Ce texte porté par une écriture magnifique, très agréable à lire mais également chargée d'émotion, fait cohabiter les petites frustations du quotidien avec les grands déchirures des illusions perdues de ceux qui se sont battus pour faire avancer l'Afrique au détriment d'une épouse, d'une famille. Le regard que porte cette narratrice sur les choix de ses parents n'est partisan. Il est fait de nuances touchantes qui ne font que souligner sa profonde solitude.
Myriam Tadessé réussit là un remarquable texte, bouleversant et surtout qui trouve un écho chez le lecteur que je suis.
Ecoutez Addis-Abeba :
En contrebas, reléguées aux limites du mercato, les ruelles cahoteuses, assourdissantes des ferrailleurs au visage exsangue qui martelaient, sciaient, peignaient, soudaient, recyclaient, du petit matin au crépuscule, toutes sortes d'objets dont l'amoncellement formait des sculpures insolites. Les multiples sonorités des métaux battus en cadence se mêlaient aux klaxons des taxis et minibus du carrefour voisin, rythmaient le crissement des roues des carrioles et s'arrêtaient au claquement de sabots des chèvres s'en allant brouter la paille de la section des potiers dans le déicat cliquetis des vaisselles en terre cuite. Puis de nouveau la cohue, les vitrines scintillantes des bijoutiers, les comptoirs aux ombrelles en satin chamarré d'or et d'argent pour les fêtes religieuses, les troupeaux de moutons, les porteurs de volailles, les paniers vert, rouge et jaune, les collines des marchands de chance, les mendiants, les brocanteurs de souvenirs, les voleurs et les éternels soûlards vomissant leur désespoir enragé au hasard dans la foule.Page 14, Edition L'Harmattan
Bonne lecture,
Myriam Tadessé, L'instant d'un regardEditions L'Harmattan, paru en 2009, 100 pages.
Myriam Tadessé présentera et dédicacera ce roman lors de la prochaine rencontre Afriqua Paris du 25 Novembre 2010, à L'Albarino Passy, Paris 16è.