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Memory Lane de Mikhaël Hers

Publié le 19 novembre 2010 par Stéphane Kahn

C'est peut-être le plus beau film français de l'année. L'un des plus sensibles assurément. Un film  discret, tout en creux, dans lequel on aurait pu vivre, dans lequel on aurait pu respirer. Un film qui nous habite autant qu'on l'habite. Un film important. Un film intime. Un film à soi, comme on le dirait volontiers d'un disque. Ses protagonistes pourraient être nos proches. Son humeur, douce et mélancolique, fait écho à celle qui parfois (je l'espère) se glisse en ces pages.

Surtout, Memory Lane, qui n'est pas le moins du monde un film musical (quoique...), sait mettre en scène cette passion qui nous habite, celle des disques, de la musique, de la pop telle qu'on la vit au quotidien. La pop anglo-saxonne à travers laquelle vivent et s'oxygènent ces personnages (musiciens parfois), à travers laquelle, aussi, passe ici très délicatement, très finement, l'expression du sentiment amoureux (une jeune femme y offre même un disque de Sparklehorse à celui qu'elle aime peut-être, c'est dire...).

Memory Lane sort en salles mercredi prochain, le 24 novembre. Une sortie discrète sans doute. Raison de plus pour en parler déjà et pour que vous ne le ratiez pas.

memory lane 4
Tout d’abord producteur (de beaux films de Darielle Tillon ou de Martin Rit), c’est par trois moyens métrages que Mikhaël Hers s’est d’emblée fait connaître. Avant Memory Lane, déjà trois heures de cinéma et, plus qu’une promesse, une œuvre solide. On a ainsi envie d’appréhender ces quatre films comme un tout, de ne pas considérer les courts comme des prémices. Car si c’est une litote d’écrire que Memory Lane figurait dans les marges de Montparnasse ou de Primrose Hill, ce serait mal le comprendre que de reprocher à Hers de ressasser.

On revient certes en terrain connu (géographiquement, formellement, thématiquement), mais c’est bel et bien comme si on mettait sur une platine le nouveau disque d’un groupe aimé, un peu différent chaque fois mais au fond toujours le même. Les films dialoguent non seulement au gré de correspondances de casting, mais aussi au hasard de rimes visuelles, de décors et de situations ; les plans urbains qui servaient de transition entre les trois parties de Montparnasse rythment désormais la narration, revenant, tel le beau thème au piano de David Sztanke, comme un refrain.

Ce cinéma infusé de pop anglaise cultive le spleen gagnant des jeunes gens déjà bien ancrés dans l’âge adulte. On repense aux beaux moments, on essaye de comprendre où ça a basculé, on écoute inlassablement des disques raccrochant à l’insouciance qui s’éloigne. Qu’il s’agisse de Charell et de ses quadras se retrouvant vingt-cinq ans après, ou de Primrose Hill, qui, comme Memory Lane, fait de l’adresse à l’autre son mode liminaire d’énonciation, tous saisissent des êtres confrontés à la fuite du temps, à l’obsolescence du groupe, à la mort, à la disparition, à la difficulté de vivre tout simplement. Car “memory lane”, c’est aussi une expression désignant le cheminement de la mémoire, cœur du cinéma de celui qui, dès son premier film, adaptait Patrick Modiano, et qui partage ici avec le romancier du souvenir un beau titre anglophone. Mélancolique, ce cinéma l’est assurément, scrutant nos quotidiens avec une grande douceur, une parfaite attention.

Ici donc, sept amis de longue date saisis quelques jours dans la banlieue ouest de Paris. Un mois d’août appréhendé comme un sas, une banlieue envisagée comme un bout du monde, pas tout à fait la ville ni vraiment la campagne, des scènes entre chiens et loups, quand tombe la nuit ou quand se lève le jour. Deux sœurs reviennent de province visiter leur père malade, un garçon fragile retape une maison gagnée par la végétation, d’autres font de la musique. Chaque partition intime se fond dans une trame générale ménageant le mystère de personnages pris à un moment donné, sur un mode certes hyperréaliste (la banalité de certaines répliques, la frontalité quotidienne des lieux: piscine, marché couvert, médiathèque, Fnac) mais préservant volontiers des zones de flou.

Ce flou qui, dans un plan saisissant, isole Raphaël. Toujours en retrait, le personnage interprété par Thomas Blanchard ne joue pas de musique, lui ; on ne lui voit pas, contrairement aux autres, d’attaches sentimentales, familiales. Son cheminement est solitaire, déconnecté. Son histoire, effleurée, résonne avec une chanson du regretté Elliott Smith intitulée “Memory Lane” et ayant trait au séjour du chanteur américain en hôpital psychiatrique. S’il apparaît à la traîne, souvent perdu dans un cadre trop grand pour lui, Raphaël est par défaut un personnage central : c’est à lui que s’adresse, l’automne venu, le narrateur, comme c’est au groupe de quatre amis que s’adressait la jeune femme disparue de Primrose Hill. Ces personnages, au bord de la folie, de la disparition (comme Charell, comme l’absente du second segment de Montparnasse) sont des déclencheurs, des révélateurs, ceux dont le destin froissé éclaire des personnages aux contours plus banals (Thibault Vinçon ici, Jean-Michel Fête dans Charell). Discrètement, ils nous tendent une clé, nous aidant peut-être à pénétrer le mystère envoûtant du cinéma de Mikhaël Hers.

Stéphane Kahn

Texte précédemment publié dans le n°95 de Bref, le magazine du court métrage, actuellement disponible en librairies.

Sortie le 24 novembre



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