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185ème semaine de Sarkofrance : le Karachigate remanie l'agenda sarkozyen

Publié le 20 novembre 2010 par Juan
185ème semaine de Sarkofrance : le Karachigate remanie l'agenda sarkozyenOn avait cru que Speedy Sarko était de retour. Après son voyage expresse à Séoul, il avait pris de court journalistes et UMPistes en remaniant son gouvernement dès le weekend. Quelle rupture ! François Fillon reconduit, une équipe à peine resserrée avec 19% de ministres en moins, la semaine pouvait débuter sur les chapeaux de roues.
Lundi, les centristes boudaient. Ils avaient re-découvert leur fibre sociale une fois évincés de leurs strapontins ministériels. Pendant quarante-huit heures, on pouvait voir se succéder les passations de pouvoir. Certaines étaient plus attendues que d'autres : Eric Woerth, déchu et déçu, et Xavier Bertrand, exfiltré de l'UMP au profit de Jean-François Copé, ont failli s'embrasser en pleurant d'émotion devant tant d'injustices. « J'ai payé le prix de cette réforme » a commenté un Eric Woerth amer, évoquant la loi sur les retraites. Rama Yade, orgueilleuse, s'est auto-félicitée de l'excellence de son bilan aux droits de l'homme (sic !) et aux Sports (re-sic!). Alain Juppé trépignait de bonheur en prenant les clés du ministère de la Défense. Jean-Louis Borloo, souriant, n'eut pas un mot pour les journalistes nombreux présents pour son départ.
François Fillon, lui, était célébré sur toutes les ondes, ovationné à l'Assemblée nationale par les députés UMP-RPR, comme le grand vainqueur de cette Star-Ac' sarkozyenne. Il était à la fois Benoît sortant gagnant de Secret Story 4 après des mois d'embûches et de coups bas, et Winston Churchill après la Bataille d'Angleterre. Il ne s'épargna aucune louange à son Monarque bienfaiteur, rappelant la « fidélité » de son engagement à ses côtés « en réponse à sa confiance », sa « profonde estime personnelle »,  son « adhésion à son action pour le pays.» La France s'en fichait royalement : le premier sondage post-remaniement était tout aussi mauvais que les précédents. Mais à l'UMP-RPR, on soufflait enfin. La campagne de 2012 pouvait enfin commencer !
Mardi, Nicolas Sarkozy parlait à la télévision. Comme il y a 50 ans, le Monarque avait convoqué 3 journalistes pour un exercice convenu et inégal. Huit caméras, une soixantaine de personnes, trois chaînes mobilisées, une curieuse table triangulaire ressortie des placards, l'image était belle, mais la symbolique parfois désastreuse : de temps à autre pendant le cours de l'émission, des plans de coupes nous montraient Sarkozy au-dessus de ces trois intervieweurs. Ces derniers tentèrent de se montrer plus pugnaces que d'habitude : s'est-il fait imposer François Fillon ? Pourquoi un gouvernement resserré sur le RPR d'antan ? Regrettait-il la polémique insécuritaire de l'été dernier ? Pourquoi supprimer le ministère de l'identité nationale ? Comment renouer le dialogue social après le passage en force sur les retraites ? La réforme des retraites est-elle suffisante  ? Que pense-t-il de son impopularité incroyable ?
Sarkozy se forçait au calme, au sérieux. Il devait paraître concerné par la gravité de sa tâche, au-dessus de la mêlée des affaires. Cette forme de constipation télévisuelle lui sied très mal. A fur et à mesure de la soirée, Sarkozy paraissait surtout agacé, consternant et méprisant. Il récusa les questions («ce n'est pas exact.»), accusa les journalistes présents d'être responsables des surenchères médiatiques, multiplia les mensonges (sur le financement des retraites, la séquence de l'été, la réaction européenne contre sa chasse aux Roms). Il occulta surtout les préoccupations majeures du pays. Trois minutes sur le chômage (il va baisser !!), rien sur la montée de la précarité (malgré deux nouveaux rapports de l'INSEE et de la Défenseure des Enfants), l'emploi des jeunes et des seniors, ou la progression des agressions aux personnes. Il évita aussi de parler conflits d'intérêt, et de toutes les accusations de financement illégal de sa campagne de 2007.
Le Monarque voulait parler de dépendance et réforme fiscale. Sarkozy a la trahison décomplexée. Pour se débarrasser de son bouclier fiscal devenu boulet électoral, le voici qu'il nous promet d'abandonner l'ISF et de revoir la taxation des revenus du patrimoine. Que n'a-t-il rien fait depuis mai 2007 ?
Mercredi, tandis que Nicolas Sarkozy recevait sa nouvelle/ancienne équipe gouvernementale à l'Elysée, puis les députés UMP pour un déjeuner de consolation, le climat avait déjà changé : les affaires Woerth/Bettencourt et de Karachi s'imposèrent à nouveau dans l'agenda médiatique.
Le spectacle fut étonnant. A l'Elysée, Nicolas Sarkozy fit comme si de rien était. Mercredi, il posait avec son nouveau gouvernement, publia un ou deux communiqués anecdotiques, reçut dans l'après-midi Dominique Strauss-Kahn directeur général du FMI. Le lendemain, il consolait Jean-Louis Borloo d'un long déjeuner à l'Elysée, juste après Eric Woerth et Fadela Amara. On nous confirma qu'il verra Hervé Morin, Christian Estrosi et même Jean-Marie Bockel prochainement. Sur Elysee.fr, on nous montrait les fameuses « coulisses » de l'intervention présidentielle à la télévision. Et vendredi, le monarque était parti pour Lisbonne, à un sommet de l'OTAN. Son nouveau ministre de la Défense, Alain Juppé, l'accompagnait. On se souvient de ses propos sur le bourbier afghan et ses critiques contre  la réintégration de la France au sein du commandement militaire intégré de l'Alliance atlantique. Une rencontre rapide, discrète, efficace ? C'est ainsi, à en croire un conseiller présidentiel, que se déroula le rendez-vous entre Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et le président d'Afghanistan, le tristement corrompu Armid Karzaï. Il y avait quand même quelques photographes pour immortaliser la scène, à Lisbonne, lors du sommet de l'OTAN. La France s'embourbe bel et bien aux côtés des Etats-Unis. L'OTAN s'est promis de sortir d'ici 2014. Mais Sarkozy ne semble pas vouloir en entendre parler : « Cela doit être fonction de l'évaluation des progrès réalisés sur le terrain, district par district, province par province » expliquait un proche du président français. En attendant, les Américains vont envoyer des chars lourds. Tout va bien, Madame la Marquise ! Tout est sous contrôle !
Mercredi, la Cour de Cassation déportait tous les volets de l'affaire Woerth/Bettencourt à Bordeaux. L'ancien ministre du travail était aussi rattrapé par son autorisation, quand il était au Budget, de la vente d'un terrain à Compiègne, sans appel d'offre et malgré un avis défavorable du ministère de l'agriculture deux ans plus tôt : la Cour de justice de la République va être saisie. Et des députés socialistes ont décidé de porter plainte. A l'Elysée, on ne dit rien. La veille, Sarkozy a expliqué qu'il avait dû se débarrasser de son fidèle Woerth pour éviter d'avoir à gérer ses « rendez-vous judiciaires .»
Mercredi toujours, on apprend aussi qu'un ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac, Charles Millon, a confié au juge Van Ruymbeke lundi dernier avoir eu l'intime conviction que des rétro-commissions avaient été versées en France en marge de deux contrats de ventes d'armements, l'un avec l'Arabie Saoudite, l'autre avec le Pakistan. Une petite bombe qui emballe la classe politique et les médias... sauf le gouvernement Sarkozy. Silence à l'Elysée. On envoie Michel Mercier, l'obscur ancien centriste débauché du Modem il y a deux ans, et promu Garde des Sceaux. Ce dernier explique que les juges font leur travail. Mais là n'est pas le problème : les juges se plaignent des obstacles à leurs investigations. Le Conseil Constitutionnel leur demande d'attendre 25 ans avant de pouvoir consulter le compte-rendu des délibérations de 1995 qui débouchèrent sur l'approbation des comptes de campagne de Balladur, malgré l'avis défavorable des rapporteurs de l'époque. Il n'y a que le gouvernement qui peut autoriser une levée de ce secret plus tôt. Bernard Accoyer refuse toujours de livrer les auditions parlementaires sur l'attentat de Karachi.
On parle de cette affaire depuis des lustres, surtout depuis ce moins de juin 2009 où, pour la première et dernière fois, Nicolas Sarkozy fut lui-même interpellé sur l'affaire. Un journaliste lui demanda ce qu'il pensait de la thèse, privilégiée par les juges en charge de l'enquête sur l'attentat de Karachi le 8 mai 2002 qui coûta la vie à 14 personnes dont 11 Français, selon laquelle l'interruption du versement de commissions occultes (mais licites) à des intermédiaires pakistanais dans le cadre de la vente de 3 sous-marins Agosta au Pakistan avait entraîné cet attentat comme représailles. Et pourquoi ces commissions auraient-elles été interrompues ? Parce que Jacques Chirac, devenu président en 1995, soupçonnait l'existence de rétro-commissions en faveur du camp balladurien dont Nicolas Sarkozy était le directeur de campagne. On a appris, selon divers témoignages, que Sarkozy, également ministre du budget, avait bien du donner son aval à ces commissions pakistanaises; qu'il avait aussi validé l'établissement d'une société offshore baptisée HEINE dont le directeur licencié des années plus tard se mit à faire des menaces écrites ; que deux intermédiaires étrangers non pakistanais avaient été imposés, sans utilité, par le gouvernement Balladur dans cette vente ; que la vente de ces sous-marins avait été réalisée à bas prix (826 millions d'euros, commissions comprises), et malgré un avis défavorable de l'administration fiscale ; qu'Edouard Balladur a bénéficié de 10 millions de francs pour sa campagne présidentielle, versés en liquide et sans justificatifs quelques jours après l'arrivée de ces deux intermédiaires dans le dispositif.
Bref, cette affaire sent mauvais. Et deux juges enquêtent, l'un sur l'attentat (Marc Trévidic), l'autre sur les soupçons de financement illégal de la campagne de Balladur (Renaud van Ruymbeke).
Lundi dernier, Charles Millon, ancien ministre de la défense de Jacques Chirac en 1995, a confirmé au juge van Ruymbeke l'existence des commissions, l'arrêt de leur versement après qu'il ait eu l'intime conviction, enquête des service secrets à l'appui, que ces commissions avaient rétribué des hommes politiques français. L'ancien patron de la Sofresa, une société chargée de la commercialisation d'armement au Moyen Orient, témoigna jeudi des plaintes d'un dignitaire saoudien, en 1995, contre d'autres rétro-commissions réclamées en France dans le cadre d'un autre contrat. Il confirme aussi les inquiétudes, à la DCN en 2002, sur la sécurité des personnels.
Et, autre révélation de la semaine, Gérard-Philippe Menayas, directeur financier et administratif de la Direction des constructions navales (DCN) entre 1992 et 2008 a expliqué que diverses sociétés écrans ont été créées pour faire transiter les commissions occultes ; que « le volume total des commissions était validé, contrat par contrat, par les deux ministres du budget et de la défense » donc, en l'occurrence, par Nicolas Sarkozy et François Léotard.
Il n'en faut pas plus pour que que les familles des victimes décident de porter plainte contre Chirac et Villepin pour mise en danger de la vie d'autrui. Dominique de Villepin déboule sur le plateau de TF1, vendredi soir, pour se défendre : Jacques Chirac a voulu moraliser les ventes d'armes (sic !), car il y avait, sur ces contrats pakistanais et saoudien, de forts soupçons de rétrocommissions en faveur d'hommes politiques français. Villepin ne dénonce personne, pour l'instant. Il se garde peut-être quelques cartouches pour le juge van Ruymbeke qu'il veut rencontrer. 
Vendredi soir, Nicolas Sarkozy est contraint de réagir. La pression est devenue trop forte. Nicolas Sarkozy s'affiche souriant à Lisbonne, au dîner de l'OTAN. Mais à Paris, Claude Guéant publie un communiqué officiel pour répondre aux accusations, une déclaration de défense qui stigmatise les « rumeurs malveillantes », proclame, sans plus d'enquêtes, l'innocence de Nicolas Sarkozy dans toute cette affaire, et allume quelques contre-feux : Sarkozy n'était pour rien dans la gestion de la campagne d'Edouard Balladur en 1995. C'est faux. Ministre du Budget, Sarkozy n'avait pas à donner d'agrément préalable aux ventes d'armes, d'après un arrêté du 2 octobre 1992. C'est partiellement faux : l'agrément, préalable ou pas, reste de mise pour les exportations d'armes avant la conclusion de la vente. Et un témoin a confirmé cette semaine que le ministre du budget devait agréer le montant des commissions.
Un remaniement pour rien, des affaires qui deviennent incontrôlables et enflamment la droite, un président « hors sol », la campagne pour 2012 démarre bien.
Très bien.
Ami sarkozyste, où es-tu ?


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