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Sarkozy à Lisbonne : de l'OTAN à ... Karachi.

Publié le 22 novembre 2010 par Juan
Sarkozy à Lisbonne : de l'OTAN à ... Karachi.A Lisbonne, 28 chefs d'Etat et de gouvernement s'étaient rassemblés. La ville était bouclée. Au menu, le bouclier antimissile, l'Afghanistan et l'Iran. Nicolas Sarkozy y était, avec ses « nouveaux » ministres Juppé et Alliot-Marie. Il bouscula l'agenda officiel, samedi, en avançant sa conférence de presse. Il voulait rentrer plus tôt à Paris, retrouver Carla. Alors qu'il paraissait presque décontracté, le geste ample, la parole dynamique, un journaliste le questionna timidement sur le Karachigate. La mâchoire présidentielle se crispa.
L'OTAN se rénove... grâce à la France bien sûr !
Devant les journalistes juste après la photo de famille avec tous ses collègues présents au sommet, Nicolas Sarkozy a eu une réaction étrange. Alors que le président roumain s'approchait de lui pour dire quelque chose, le Monarque a refusé l'échange, pointé son doigt, dit quelques mots et s'est rapidement éloigné. « Je n'ai pas du tout refusé de lui parler », a démenti plus tard Nicolas Sarkozy, « j'ai parlé peut-être quinze fois avec le président roumain, qui est un homme de grande qualité, que j'apprécie beaucoup.» Sans rire ni gêne, Nicolas Sarkozy a ensuite ajouté qu'il était favorable à l'entrée de la Roumanie dans l'espace Schenghen, à condition que ses frontières soient stabilisées (la Roumanie ayant ouvert ses frontières à la Moldavie voisine) et étanches, et que « les problèmes de corruption » objet d'une procédure de surveillance par la Commission européenne soit résolue. Cette allusion aux prétendus problèmes de corruption de la Roumanie en pleine affaire du Karachigate a quelque chose de savoureux.
A Lisbonne, Nicolas Sarkozy avait décidé de s'exprimer plus tôt que prévu, d'avancer sa propre conférence de presse en parallèle de celle du secrétaire général de l'OTAN. C'était une bourde diplomatique de plus, d'une impolitesse rare. Mais qu'importe ! Sarkozy voulait que les journalistes, surtout Français, soient concentrés sur ses propres propos, et surtout, il voulait visiblement rentrer plus rapidement à Paris: « cela vous permettra de rentrer plus tôt dans vos familles respectives, et nous, nous essayerons de vous suivre » a-t-il justifié.
Il démarra par un rappel du contexte, évoquant le 11 septembre 2001, la montée du terrorisme, la fin de la guerre froide (sic !) : « Nous avions expliqué que nous souhaitions une Alliance qui se rénove et qui se réforme. La rénovation, c'est un nouveau concept stratégique. (...) Il faut une autre stratégie pour notre alliance.» Lisant un texte préparé par ses conseillers pendant une douzaine de minutes, il rappella que « les forces nucléaires françaises et britanniques, bien sûr, sont indépendantes, ont leur propre dissuasion, et contribuent à la sécurité de l'Alliance. Comme vous le savez c'était un point fondamental. S'agissant de la réforme de l'OTAN, la structure militaire va être réduite d'un tiers, le nombre des agences va passer de 14 à 3, et 60% des comités seront donc supprimés. On peut dire qu'il va être mis un terme à une forme de gabegie que la France avait dénoncé à d'innombrables occasions. » Il était temps que la France rejoigne le commandement militaire intégré de l'OTAN ! Sarkozy expliqua ainsi que 600 militaires français ont pris leurs fonctions dans les structures militaires de l'OTAN depuis 18 mois.
A Lisbonne, Sarkozy s'est félicité du ralliement russe au projet de l'OTAN de bouclier anti-missile : « nous avons toujours pensé qu'il fallait travailler avec la Russie sur ce projet.» . Il aurait pu se contenter de le justifier par des raisons pragmatiques et compréhensibles. Ce serait mal connaître Sarkozy. Il fallait qu'il donne des leçons d'histoire : « c'est une décision historique, elle ne va pas de soi, parce que... nos histoires ne sont pas les mêmes. Et l'histoire du XXème siècle a laissé des brûlures.» Le rapprochement avec la Russie serait une démarche moderne car il faudrait refermer les pages du passé. Sarkozy fait semblant d'ignorer que la Russie en Europe pose d'autres problèmes. Ce n'est pas une démocratie. Il n'y a pas de « communauté de valeurs » avec le couple Mevedev/Poutine. Là-bas, on emprisonne les opposants et on flingue les journalistes trop curieux.
Sarkozy fut aussi questionné, et notamment sur l'entrée éventuelle de la Géorgie dans l'OTAN : « on ne la laissera pas tomber (...) Nous souhaitons accueillir des membres qui ont régler leurs problèmes frontaliers.» Sarkozy botte en touche sur l'indépendance de deux provinces géorgiennes, l'Ossétie et l'Abkhazie. Le souvenir est douloureux. En août 2008, Sarkozy alors président de l'Europe pour 6 mois, avait fait croire qu'il avait résolu l'invasion russe de la Géorgie. On ne découvrit que 15 jours plus tard que la Russie avait décidé d'occuper durablement deux provinces qui déclarèrent aussitôt leur « indépendance ».
Nicolas Sarkozy, toujours bravache, a désigné l'Iran comme la principale menace de l'OTAN, et donc la cible du nouveau bouclier américain: « Aucun nom ne figure dans les documents publics de l'Otan, mais la France appelle un chat un chat. La menace des missiles aujourd'hui c'est l'Iran ». A Lisbonne, la France a approuvé l'établissement du bouclier antimissile américain : « Donc, si un jour l'Iran tire un missile vers l'Europe, il est certainement souhaitable qu'on puisse l'intercepter.»
Sarkozy s'est ensuite félicité des décisions relatives à l'Afghanistan. L'OTAN a programmé son retrait d'Afghanistan. Ce sera pour dans trois ans, en 2014. Barack Obama est apparu réticent. Sarkozy était inconstant. Le président américain rechigne à prévoir un retrait sans assurance que le pays ne redeviendra pas une base du terrorisme international. Il a temporisé. Sarkozy au contraire a envoyé deux signaux contradictoires : officiellement, le président français est pour le retrait : « La transition ne veut pas dire qu'on part immédiatement (...). Il va falloir continuer à les aider en termes de développement, en termes de formation de troupes, en termes d'encadrement de l'Etat. Mais ça progresse. Il n'y a pas d'autre stratégie possible. » Officieusement, un conseiller élyséen expliquait que le retrait d'ici 2014 « doit être fonction de l'évaluation des progrès réalisés sur le terrain, district par district, province par province. » Sarkozy répéta : « nous ne sommes pas une force d'occupation. Nous n'avons pas de projet de colonisation. » « Que diriez vous si nous n'avions pas comme objectif que de faire cette transition ? » s'exclama Sarkozy.
Le Karachigate s'invite à Lisbonne
Mais à Lisbonne, Nicolas Sarkozy a été rattrapé par l'affaire Karachi.  A la trente-troisième minutes de cette intervention, un journaliste de France 2 ose enfin, timidement, évoquer l'affaire Karachi et le communiqué de la veille signé par Claude Guéant : « Vous aviez parlé il y a quelques mois de "fable", est-ce qu'aujourd'hui vous employez le même terme ? »
Sarkozy change de ton, plus calme, plus bas. Il fronce ses sourcils. On sent le self-contrôle. Il ne regarde que rarement son interlocuteur, garde les yeux bas. Sa main fend l'air, à quelques reprises, pour appuyer certaines fins de phrases.
« Ecoutez ... le communiqué a été extrêmement précis. Je vous remercie d'ailleurs parce que vous l'avez repris dans les détails. Il dit tout ce qu'il y avait à dire. Il fait lit de toutes les calomnies. Il montre la réalité des choses. Et par ailleurs, le ministre de la Défense comme moi-même sommes décidés à ce que tous les documents qui seront demandés soient communiqués en temps et heure. A ma connaissance, aujourd'hui, pas un document n'a été refusé. Voilà.
Je n'entretiendrai pas une polémique qui n'a pas lieu d'être. La justice est saisie, qu'elle fasse son travail. Et qu'on n'essaye pas de coller dessus des commentaires politiciens qui ne sont vraiment pas à la hauteur de la douleur des familles qui ont perdu leurs proches. Voilà. 

C'est la seule chose qui compte. La seule ! 
Et le minimum de dignité, c'est de respecter la douleur de ces familles. Ces familles veulent la vérité. Pourquoi y-a-t-il eu cet attentat...  C'est ça qui compte.... Et que la justice fasse son travail... Et naturellement l'Etat aidera la justice en lui communiquant tous les documents dont elle aura besoin... Je n'ai pas d'autres commentaires à faire. Pour le reste, on voit bien que ce n'est rien d'autre que de la polémique. Malheureusement.»
L'homme est gonflé. Les familles, justement, sont celles qui insistent, qui se battent, qui accusent le gouvernement d'obstruction et le Président de mépris. Diverses révélations la semaine passée ont bousculé l'agenda politique, occultant le remaniement et autres diversions sarkozyennes. Dans cette affaire, Nicolas Sarkozy est  triplement gêné : d'abord, parce qu'il y a eut mort d'hommes. L'affaire est grave, très grave. Ensuite, parce qu'il s'agit de financement politique illégal, une accusation souvent mortelle politiquement. Enfin et surtout, parce que les attaques viennent d'abord des familles des victimes de l'attentat. Sarkozy a toujours adoré le rôle des victimes, tantôt pour en jouer, tantôt pour s'en servir.  Mais cette fois-ci, le jeu est compliqué. Les victimes ne sont pas de son côté. Quand Claude Guéant publie un communiqué officiel de réponse aux accusations, la première réplique vient ... des familles de victimes. Quand Sarkozy lui-même répond à Lisbonne, la première réaction émane encore une fois des familles de victimes.
Le lendemain, Alain Juppé était invité de Dimanche+. Anne-Sophie Lapix l'interrogea, évidemment, sur l'affaire. Juppé était ministre des Affaires Etrangères sous Balladur, puis premier ministre de Jacques Chirac après mai 1995. On imagine qu'il en sait des choses ! Et bien, non ! Juppé, devenu ministre sarkozyste, a tout oublié ! Il confirme tout juste l'arrêt du versement de commissions décidé par Jacques Chirac, que des commissions ont été versées (c'était légal à l'époque), mais sur les rétro-commissions, par d'information, ni même de soupçons à l'époque : « je n'ai pas eu ces preuves, je n'ai même pas eu connaissance de ses soupçons. ». Pour le reste, il nie :  « On est dans la rumeur et dans les allégations. Est ce qu'il y a un lien entre l'attentat de Karachi et l'arrêt du versement de commissions, on n'en sait rien.»  « je n'ai aujourd'hui aucune preuve qui permette de le penser. (...) Il faut des preuves. » Le même jour, Dominique de Villepin ne disait pas autre chose, le même jour, sur TV5 Monde : « A ma connaissance, il n'y a aucun lien. Nous sommes dans un cas en 1995, nous sommes dans l'autre cas en 2002, ce n'est pas le même gouvernement pakistanais, ce ne sont pas les mêmes circonstances au Pakistan
A Paris, la réaction des familles de victimes n'a pas tardé: Magali Drouet, fille de l'un des salariés tués dans l'attentat, a dénoncé les mensonges : Sarkozy « reconnaît qu'il existe des documents intéressant l'instruction qui n'ont pas encore été transmis. (...) On sent de la panique au plus haut niveau de l'Etat et on ne peut que se réjouir que Dominique de Villepin sollicite une audition du juge.»
Les familles de victimes ont d'ailleurs décidé de suspendre leur plainte contre Dominique de Villepin pour mise en danger de la vie d'autrui, après ses explications vendredi soir au journal télévisé de TF1. L'ancien secrétaire général de Jacques Chirac avait expliqué que les commissions suspendues par Chirac ne concernaient que des étrangers non pakistanais, suspectés d'en rétrocéder une partie à des personnalités françaises.


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