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À poil, le Nounours !

Par Ledinobleu

Couverture de l'édition française du comics À poil, le Nounours !La fin des années 80. D eux frères, James et Edward, abordent l’adolescence à peu de temps d’intervalle. Si le premier croit que la fin du monde est proche, le second se contente de suivre son aîné dans ses délires de savant fou amateur. Une nuit, après un autre cauchemar de James, ils partent vers une maison abandonnée où ils rencontrent une jeune artiste marginale, Joy : dans la cave de la bâtisse, une « porte » s’ouvre soudain qui les précipite tous trois dans un monde de bizarreries et de merveilles…

En se réclamant presque ouvertement d’œuvres telles qu’Alice au pays des merveilles (Lewis Carroll, 1865) ou Peter Pan (James M. Barrie, 1911), plus beaucoup d’autres qu’il serait bien trop long de nommer, pour autant que je les aies toutes repérées, À poil, le Nounours ! nous propose une plongée aux accents tout à fait fantasmagoriques dans les névroses d’une époque. Les reliquats de l’enfance s’y mêlent aux angoisses d’un temps encore bien proche à travers l’immense talent de John Bolton et la narration splendide d’Ann Nocenti en nous décrivant la brève aventure de trois personnages assez peu communs dans un univers bigarré de terreurs et de poncifs détournés avec un certain sens du sarcasme.

Planche intérieure du comics À poil, le Nounours !
Si à première vue, le récit peut sembler gratuit, et même prévisible, on y trouve assez vite une mosaïque des préoccupations d’une époque peu lointaine où la peur d’une guerre nucléaire et de l’effondrement des valeurs sociales menaient de jeunes esprits à la dérive. Ainsi, James se construit une fusée dans la cabane au fond du jardin pour fuir la Terre avec son jeune frère Edward car il croit celle-ci condamnée à brève échéance, alors que Joy a fui la maison familiale suite à un malentendu avec ses parents. C’est en explorant les inconscients de cette jeunesse en proie à des doutes insoupçonnés par ses géniteurs que Nocenti brosse un portrait assez corrosif d’un temps déjà bien essoufflé – même si le pire restait à venir…

Mais elle dresse aussi un inventaire des sujets les plus courants des genres de l’imaginaire à la sauce anglo-saxonne, ou du moins ceux de leurs expressions « populaires » : horreur, fantastique et super-héros s’y croisent et s’y entrecroisent en un savant mélange qui peut sembler décousu mais qui reflètent bien le maelstrom de sujets, de thèmes et de genres que représente cette culture moderne dont les diverses itérations s’entrechoquent dans les esprits des personnages. L’affection évidente qu’éprouve l’auteur pour ces stéréotypes s’y mêle d’ailleurs avec finesse à une certaine satire que les aficionados apprécieront.

Le tout servi à merveille par un John Bolton dont les expérimentations plastiques, ici, rappellent Bill Sienkiewicz sous bien des aspects : les aquarelles, les pastels et les crayonnés y forment un savant mélange hétéroclite dans la forme mais homogène sur le fond, qui reflète un sens artistique bien peu commun et tout à fait saisissant dans l’émotion induite sur le lecteur.

Très belle réussite, tant sur le plan narratif que pictural, À poil, le Nounours ! fait partie de ces œuvres aujourd’hui méconnues qui méritent très largement la redécouverte…

Quatrième de couverture de l'édition française du comics À poil, le Nounours !

À poil, le Nounours ! (Someplace Strange), John Bolton & Ann Nocenti, 1988
Glénat, collection Comics USA, 1990
64 pages, env. 15 € (occasions seulement)


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