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Protectionnisme commercial et protectionnisme monétaire

Publié le 24 novembre 2010 par Copeau @Contrepoints

Protectionnisme commercial, protectionnisme monétaireTous les économistes reconnaissent le rôle central du commerce mondial dans le progrès économique : facteur de croissance (voir l’Allemagne), moteur du développement (voir la Chine, l’Inde et les pays émergents), facteur de stabilité des prix (voir la corrélation entre mondialisation et recul de l’inflation).

Mais le développement du commerce international passe par le libre échange, donc par un indispensable retrait des Etats du jeu économique. Les étatistes ont compris le danger de la liberté des échanges, et voici aujourd’hui mobilisé le corps des « enrayeurs » dont parlait Bastiat. Les enrayeurs utilisent l’arme commerciale et l’arme monétaire.

A la veille du G 20, Angela Merkel avait lancé un avertissement solennel : le protectionnisme pourrait déclancher une crise encore plus grave que celle qui nous frappe aujourd’hui.

Le mercantilisme n’est pas mort

La lutte entre protectionnisme et libre échange est engagée depuis des siècles. La doctrine mercantiliste a été flamboyante au XVIème siècle, elle a créé inflation et pauvreté. A cette époque les Etats (à commencer par l’Espagne) ont mis en place obstacles voire interdictions à la libre circulation des marchandises. Il s‘agissait de limiter par n’importe quel moyen les importations : contingentements, droits de douane, normes techniques imposées arbitrairement. Le mercantilisme appliqué à la France donne le colbertisme, qui intervient non pas seulement sur les échanges extérieurs, mais aussi à l’intérieur des frontières nationales, où l’Etat va contrôler la production et se faire entrepreneur. L’Etat distribue privilèges, subventions et monopoles aux uns, et pénalise les autres par des impôts et des réglementations.

Dans les années qui suivent la première guerre mondiale, le mercantilisme fait un retour qui s’avèrera funeste. Pendant la grande crise de 1929, pour « éviter la contagion » on ferme les frontières : résultat, on a aggravé la crise, se privant des produits dont on avait besoin et des débouchés pour nos entreprises. Autre conséquence, politique celle-ci : on voit dans l’étranger un ennemi économique, puis un ennemi tout court, et le nationalisme exacerbé est un des facteurs ayant entraîné le deuxième conflit mondial.

Sommes-nous débarrassés de ce fléau protectionniste ? Contrairement à ce qu’aurait pu faire espérer l’évolution mondiale depuis la dernière guerre, le mercantilisme n’est pas mort, et le dernier G20 n’y a rien changé. C’est bien ce qui a inquiété la chancelière allemande. Certains pays sont aujourd’hui tentés de croire qu’on sortira de la crise en fermant les frontières, puisque l’importation de produits étrangers viendrait « détruire nos emplois ». On ne peut que leur opposer la réalité : sans le soutien des échanges, la récession actuelle aurait tourné à la dépression et sans la liberté des échanges, on mourrait encore de faim en Chine ou en Inde. La Corée du Nord illustre bien les méfaits d’un protectionnisme poussé jusqu’à la caricature.

La bataille est incertaine

Les craintes d’une poussée protectionniste ont été évoquées par les observateurs des échanges extérieurs que sont l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), la CNUCED (Commission des Nations Unies pour le Commerce et le Développement) et l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique). Pour sa part, Bruxelles confirme que les engagements du G20 en matière de lutte contre le protectionnisme ont été « bafoués ». L’OMC souligne que, même si globalement les gouvernements ont « continué à résister aux pressions protectionnistes », il est nécessaire de faire preuve « d’une vigilance accrue ». Il n’y a par exemple que 15% des mesures commerciales restrictives introduites depuis la crise qui aient été supprimées ! Il y a un « danger majeur » dans « l’accumulation constante dans le temps de mesures qui restreignent ou créent des distorsions pour le commerce et les investissements ». Les plans de « sauvetage » mis en place pendant la crise constituent une autre distorsion de concurrence, ils constituent donc des mesures aux effets protectionnistes.

Il faut cependant reconnaître que pour l’instant on en est plus à la guérilla et aux tentations protectionnistes qu’à la fermeture radicale des frontières. La preuve, c’est que le commerce mondial en 2010 devrait progresser de 13,5% (il y a deux mois en pensait à 10% « seulement »), effaçant largement le recul de 2009 (- 12,2%).

En dépit de cette évolution, le contentieux sur le protectionnisme continue à inquiéter, et le G20 ne semble pas s’être intéressé à une relance du cycle de Doha, pourtant bien nécessaire pour en finir avec les guerres commerciales. On sait que les pays émergents ont refusé d’envisager un accord si l’Europe, le Japon et les Etats-Unis ne renonçaient pas à leur protectionnisme agricole. Il faudra bien un jour comprendre qu’un secteur ne s’adapte qu’au vent du grand large, fût-ce l’agriculture, et la liberté, qui est bonne pour l’industrie, le sera pour l’agriculture. Quant à l’exception culturelle, dont la France est le porte-drapeau, elle est tout aussi absurde et affaiblit en réalité notre production culturelle.

La guerre des monnaies, nouvel épisode de la guerre économique

Mais l’OMC souligne aussi la forme plus subtile du protectionnisme : la manipulation monétaire, aussi nuisible au libre échange que les droits de douane ou les discriminations. Pour éviter les manipulations des taux de change, il faut avoir des taux de change flottants, sans aucune intervention des banques centrales, le prix de chaque devise variant avec l’offre et la demande pour cette devise sur un libre marché des changes. Sinon, on a ce que Jacques Rueff appelait de « faux prix » des monnaies, qui induisent de fausses décisions et donc de mauvais résultats, avec les mêmes effets que le protectionnisme.

Aujourd’hui deux monnaies sont accusées de manipulation de taux de change, le Yuan et le dollar. Elles ne sont pas les seules, mais ces deux pays sont en pointe dans ce domaine. La Chine n’a pas encore rendu sa monnaie convertible. Le taux de change est donc largement artificiel, fixé arbitrairement par les gouvernants, comme un simple prix administré. Si c’était une monnaie convertible, librement achetée par les partenaires commerciaux de la Chine, et librement vendue par la Banque de Chine, on assisterait à une hausse spectaculaire du yuan, et acheter à des Chinois coûterait beaucoup plus cher. Quant au dollar, sa dépréciation est voulue par la FED et le gouvernement américain, car celui-ci a besoin de crédit pour réinjecter de l’argent dans l’économie américaine, espérant par là une sortie de crise plus rapide et une réduction du chômage. C’est toujours la vieille lune keynésienne : des taux d’intérêt bas, le crédit facile (« easy money »). Comme le disait Jacques Rueff c’est « un plan d’irrigation en période d’inondation ».

Les fondamentaux de l’économie réelle

Ben Bernanke a repris l’image friedmanienne de l’hélicoptère survolant la ville en jetant des billets par la fenêtre, sauf que Friedman la prenait pour critiquer cette politique et Bernanke pour s’en féliciter. Injecter 600 milliards de liquidités, comme le souhaite Obama, ne relancera qu’une chose aux Etats Unis : l’inflation. Mais dès maintenant la confiance dans le dollar, est entamée et son cours ne cessera de baisser, il baisserait encore davantage si l’euro n’était pas lui-même plombé par les dettes publiques.

En fait, les partisans du protectionnisme monétaire se font des illusions quand ils pensent que les manipulations artificielles peuvent sauver leurs économies. Même si le yuan était réévalué – ce qui serait assez naturel si les transactions sur la devise chinoise étaient libérées – la Chine demeurerait un formidable exportateur, car la productivité y est l’une des plus fortes du monde. En sens inverse, ce ne sont pas les milliards injectés dans l’économie qui feront des Etats Unis un pays structurellement excédentaire. Bien au contraire, l’argent facile est une prime à l’improductivité, et l’économie américaine ne cesse de s’affaiblir.

Derrière les positions créditrices ou débitrices, derrière la valeur des monnaies, il y a l’économie réelle : l’aptitude des entreprises d’un pays donné à satisfaire le marché mondial face à des concurrents performants.

En conclusion, le protectionnisme est dangereux, inefficace à terme, et crée un climat de tension internationale détestable. Il n’y a pas de guerre économique quand l’Etat n’est pas là pour la provoquer. Sur un marché libre, il n’y a pas de guerre des monnaies, puisque les taux de change reflètent les réalités économiques, les décisions libres des opérateurs et la confiance que chacun met dans une monnaie par rapport à une autre. L’Etat est le seul fauteur de guerre. Le « doux commerce », comme disait Montesquieu, et la liberté des changes, comme de la création de monnaie, sont des facteurs de paix.

Article repris deLibres.org avec l’aimable autorisation de Jacques Garello.


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