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MEMOIRES DE NOS PERES : l’austère intelligence d’Eastwood

Publié le 24 novembre 2010 par Vance @Great_Wenceslas

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Une chronique de TWIN


Ce film du grand Clint Eastwood - tout auréolé de la gloire critique et publique, opportuniste mais néanmoins amplement méritée, de Million dollar baby et Mystic river - a de quoi dérouter.


En effet, alors que l'on a de cesse de penser tout le long du film à Il faut sauver le soldat Ryan et à Band of brothers de Steven Spielberg et que l'on pouvait légitimement, vu le sujet, s'imaginer un film de cette trempe (la position du réalisateur cité comme producteur n'y étant pas étrangère), Mémoires de nos pères s'éloigne de Spielberg aussi bien dans le ton, le traitement que dans sa faculté à représenter la guerre.
Au niveau de la mise en scène, Eastwood ne déroge pas de son carcan : sa caméra fait preuve d'un sens extrême voire maladif du classicisme. Les images transpirent l'esthétique humble et le soin d'un homme qui ne cherche plus la suprise tape-à-l'oeil dans son appréhension de l'appareil, mais plutôt une façon posée et sereine, construite sur des dizaines d'années d'expérience de réalisation et l'héritage d'une certaine école formelle et esthétique classique (le maître d'Eastwood reste Don Siegel).
D'aucuns trouveront que les images sont grabataires, peu expressives, noyées dans la masse, pas aussi percutantes que celles de Spielberg. D'autres comprendront la démarche d'Eastwood qui - loin de l'approche documentariste de l'horreur et du gore, aux premières loges, du Soldat Ryan, et loin de la vision lyrique d'un Coppola (Apocalypse now ou la fantasmagorie guerrière) ou d'un Leone (Il était une fois la révolution ou la cruauté d'une fable morale) - observe avec minimalisme la banalité des corps qui tombent et se déchiquètent.


Sans vouloir euphémiser, Eastwood constate amèrement, avec froideur, la rengaine d'une folie où des soldats, canardés, sont obligés d'abattre leurs compagnons qui les ont pris pour l'ennemi afin de survivre. En un sens, Eastwood est assez proche de Malick, via La Ligne rouge, et préfère filmer l'île, un paysage entier, au grand angle, la terre foulée, quelques errances humaines, des caractères qui s'affirment. Il n'y a qu'à voir la scène dont est issue l'image qui fait office d'affiche (elle prend tout son sens après coup) pour se rendre compte à quel point Eastwood innonde le champ de représentations serrées et travaillées, et use du hors champ avec grâce.
Le cinéaste ne cherche pas vraiment de cohérence, il n'a pas monté ces affrontements en séquences, depuis le débarquement jusqu'au plantage du drapeau. Non, ce sont des instantanés, des fragments, désordonnés, presque hasardeux, qui surgissent dans le champ, à différents moments de l'oeuvre, renvoyant par leurs contenus au point de vue principal qui a motivé Eastwood pour son oeuvre : LA photo.


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Cette fameuse photo d'Iwo Jima, Eastwood en démontre la futilité du contexte qui a mené à sa création. C'est une mauvaise image, mal cadrée, à la composition assez pauvre. D'ailleurs, le fond qui l'habite, le plantage du drapeau, porte une symbolique anecdotique. Eastwood profite de cet ancrage pour disserter sur l'instrumentalisation de l'image, comme objet de communication en faveur de l'aide à la guerre, et des soldats (dont le flou artistique qu'impose leur participation sur la photo est particulièrement troublant), promus stars d'un showbiz de l'héroïsme que leurs épaules ne veulent et ne peuvent porter.


L'intelligence de l'oeuvre en fait plus un objet réflexif qu'une vulgaire bande d'émotions. Mémoires de nos pères est d'ailleurs assez difficile à appréhender : c'est dense, lent (j'avoue m'être un poil ennuyé pendant la première heure), le montage est hyper complexe (parfois incompréhensible), plusieurs transitions ou astuces cinématographiques manquent de finesse, le propos est sporadiquement sabotté par une venue lourdaude, et l'approche est tout sauf divertissante ou spectaculaire.
C'est malgré tout une oeuvre difficile, qui mérite plusieurs visions (et, surtout, en VO, parce que la VF remporte facilement la palme du pire doublage de ces dix dernières années : une honte !). Cela pourrait être ironique, cynique, facilement démonstratif. Mais ça ne l'est pas. C'est grave, touchant et, cette froideur, qui parcourt toute l'oeuvre, s'effondre dans un dernier acte absolument bouleversant, dans lequel un fils retrouve son père, véritable déclaration d'amour universel, et où les mémoires d'un homme s'effacent, du public et de sa propre conscience, pour enterrer définitivement et avec peine ce concept étriqué et malvenu de héros.

Ma note : 8/10


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