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Patrick Lapeyre, acte 2

Publié le 04 novembre 2010 par Irigoyen
Patrick Lapeyre, acte 2

Patrick Lapeyre, acte 2

Si La vie est brève et le désir sans fin est l'histoire d'un trio, La lenteur de l'avenir – quel titre encore ! - est celle d'un duo. Muriel est secrétaire, Alex boxeur. Patrick Lapeyre a le chic pour faire cohabiter des personnages que tout oppose, a priori.

« Cohabitation » oui. Excluons d’emblée le mot « liaison ». Tout est ici à sens unique. Alex impose, Muriel suit. C'est flagrant dès les premières pages qui nous plongent dans le quotidien de ce « couple ».

Très vite, les questions affluent. Patrick Lapeyre s'arrête sur une photo du père de Muriel, prise en Algérie. L’homme a disparu du jour au lendemain sans laisser de trace. La jeune femme se cherche-t-elle, depuis, une figure tutélaire ? Sans doute. Cherche-t-elle à reconstruire une famille ? Oui. Alex la demande en mariage. Il sait très bien exploiter une situation.

Qu'il envisage de l'épouser parce qu'il a gagné un combat est typiquement le genre de raisonnement qu'il est le seul à pouvoir tenir. Depuis cinq ans, elle partage la vie d'un mutant, de quelqu'un dont le régime d'émotion n'existe pas encore. Alors que par ailleurs il a toutes les faiblesses, toutes les frayeurs humaines, surtout celle de manquer d'argent. Mais elle lui a trouvé de l'argent, elle a vidé son compte courant et Édith a accepté de lui prêter trois mille francs remboursables à tempérament.

Là encore, les contours des personnages sont flous. Cela tient peut-être au fait qu’ils s’expriment peu, qu'ils ne disent même pas l'essentiel et que les silences sont innombrables. Les zones d’ombre grossissent.

Parfois les choses sont dites de façon fugace. Ainsi apprend-t-on qu'Edith, une amie de Muriel porte un pansement au poignet droit après une tentative de suicide due au départ de « son Haïtien ». Au détour d'une phrase, l'auteur nous parle du goût d'Alex pour les livres sur le bouddhisme, ce qui pourrait changer notre perception du bonhomme. Mais est-il seulement capable d’éprouver autre chose que de la simple compassion pour ses semblables ? Là encore, la question reste ouverte.

Alex ne parle pas. Il agit. Il a une liaison avec une autre fille. Son entraîneur vit en Suisse et semble entretenir avec lui une relation des plus étranges. Muriel doit vivre avec tout ce silence qui renforce encore son isolement. Elle ne comprend pas et s’installe dans ce flou.

Tout juste arrive-t-elle à sortir de sa torpeur quand elle écoute la femme de l’entraîneur, chiromancienne à ses heures perdues, lui annoncer qu'Alex se mariera bien mais qu'il aura une relation extraconjugale avec une orientale.

Quand elle ne peut avoir de réponse, Muriel regarde. Et nous regardons avec elle le spectacle parfois angoissant.

Elle observe ses mains qui pendent aux accoudoirs. Ce sont de longues mains cireuses, auxquelles des ongles démesurées, et la pierre rouge qu'il porte à l'auriculaire, donnent des allures de mains de cardinal. Elle ne se le représentait pas du tout ainsi.

La lenteur de l'avenir me donne le sentiment d'être le roman de l'attente. Une attente que Muriel semble condamnée à subir. Et quand elle retrouve Alex, d’autres questions se posent. Pourquoi vient-il l'accueillir à Bâle tuméfié ? S'est-il battu sur un ring, ailleurs ?

Patrick Lapeyre entraîne ici son lecteur dans le brouillard. L’incompréhension de Muriel est communicative. Elle rejaillit sur le lecteur. Chaque événement semble avoir une conséquence inverse de celle que l’on imaginerait. Le couple va-t-il se séparer une fois en Suisse ? Non, Alex décide d'épouser Muriel :

C'est un pari sur l'avenir, tu comprends ?

Muriel est un être balloté, tout juste vivant. Encore n’a-t-elle conscience d’exister que grâce au temps qui passe.

Et à chaque jour qui passe, une vie sans mémoire s'engouffre en elle, en la séparant un peu plus d'elle-même. Elle est en train de s'éteindre.

S’éteindre, oui, à tout petit feu.


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