La critique
Impitoyable portrait d'un homme
détruit par l'argent et la société individualiste
L'argent c'est ce qui fait tourner le monde ou bien ce qui contribue à détruire nos vies ? Le jeune Norbert (Marc-Ernest Fourneau) demande à son père un peu plus d'argent de poche, celui-ci refuse. Alors Norbert se laisse trainer par un ami à refourguer de faux billets. Leur première tentative s'effectue dans la petite boutique d'un couple de photographes. Ca marche et la patronne se fait avoir. Enervés de s'être fait roulés, les patrons comptent bien se débarasser de cet argent inutilisable. C'est ainsi que le photographe paie , sous les yeux de son assistant Lucien(Vincent Risterucci), un ouvrier en faux billets. L'ouvrier s'appelle Yvon (Christian Patey) et c'est un homme droit. Il est très surpris de découvrir qu'il a été arnaqué et n'hésite pas à trainer le couple de photographes en justice. Lors du procès, les patrons parviennent à faire faire à leur assistant Lucien un faux témoignage. Ce qui vaut à Yvon de ne pas bouvoir bénéficier de son salaire et d'être gentiment accusé. Ne pouvant régler son loyer et permettre à sa petite amie enceinte de mener une vie descente, Yvon finit par se fourrer dans des magouilles trop compliquées pour lui. Il se fait prendre et finit en prison, sa femme l'abandonne, il n'y a plus d'espoir. En ville, Lucien s'en veut pour son faux témoignage et est bien conscient qu'il a surement brisé la vie d'un homme par ce geste. Il se retrouve à voler ses patrons et à effectuer de nombreuses combines d'argent. Sorte de Robin des bois moderne, il redistribue ce qu'il vole aux plus démunis et se garde un peu de sous de côté pour se payer de beaux costumes. Le destin va amener Yvon et Lucien à se recroiser, mais il sera trop tard pour les excuses : la vie d'Yvon est brisée et est en passe de le guider vers de sombres crimes...
0 dollar, baby
C'était un homme simple, une innocente victime. Bresson filme la descente aux enfers d'un Monsieur tout le monde qui sans n'y rien comprendre se retrouve bandit et assassin. Le fautif ? On serait tenté de dire l'argent, ces billets qui se passent de mains en mains et qui nous font rêver de puissance. Car pour vivre il faut payer. La société de consommation nous amène parfois à nous perdre dans des envies toujours plus fortes de pouvoir, d'argent. On veut toujours avoir plus. C'est bien le cas du jeune Norbert au départ. C'est de lui que tout part et sa malhonnêteté pour avoir plus de sous va se propager. Comme si ces faux billets avaient une puissance maléfique et ramenaient leurs détenteurs à agir de bien vilaine façon. Ce que Bresson montre c'est le pouvoir de l'argent sur les hommes, jusqu'où nous serions prêt à aller pour en avoir encore et encore. Les personnages sont égoistes et se fichent d'escroquer leur voisin, il n'y a plus vraiment de morale. C'est ce qu'a bien compris le jeune Lucien qui ironise lors de son procès. Replié sur lui, plongé dans une accumulation de malentendus et de coups du sort, le personnage d'Yvon va peu à peu perdre son humanité. Si au départ il est triste et prêt à se battre pour la vérité, par la suite il ne bronchera même plus, condamné avant l'heure. Comment respecter les autres quand on nous oblige à ne plus nous respecter nous-mêmes ? Yvon finira tel un monstre dénué de toute empathie (il sera ainsi en totale opposition avec la petite dame de la fin qui , elle, est généreuse et prête à tout pardonner- une autre génération).
L'argent est un film cruel, froid. Les personnages apparaissent comme déssechés, comme si on leur avait volé leur joie de vivre, leur âme. Ils parlent peu, ils agissent mal. On pourra y décerner un humour très très noir. Robert Bresson passe d'un personnage à l'autre pour servir son propos, filme toutes ces solitudes désespérées. Son dernier film n'a pas pris une ride et est toujours aussi actuel, et ça fait bien froid dans le dos !