Il y a près de 5 ans, Katrina rendait visite à nos amis les louisians et laissait un bordel considérable derrière elle. Manque de bol pour l’État qui est souvent répertorié comme le vilain petit canard des Etats-Unis. « Thank God There’s HBO ! » : une fois de plus, le maître du divertissement intelligent jette un pavé dans la mare et nous délivre deux pures bombes qui viendront à coup sûr marquer les esprits : True Blood et Treme. Mettons donc de côté New-York et Los Angeles, théâtres habituels de la plupart des séries actuelles pour s’imprégner de la chaleur moite des bords du Mississippi.
Aussi sobre qu’une inscription sur une pierre tombale, le carton « New Orleans. Trois mois après » donne le coup d’envoi du marathon musical qu’est Treme. La ville est encore sous le choc du passage de Katrina et c’est dans le quartier de Treme (à prononcer Tré-may), berceau historique de la tradition des brass-bands que la vie entend reprendre ses droits. D’ailleurs, tendez l’oreille : un trombone ne tarde pas à résonner dans le lointain…
Le générique de Treme donne d’ailleurs le ton dès les premiers plans, mêlant clichés de maisons marquées par l’inondation provoquée par Katrina et reflets de l’esprit festif de la Nouvelle-Orléans incarné par des images du typique Mardi Gras. On peut alors fermer les yeux et se laisser guider par les mains de maître du créateur de la série, David Simon, l’une des pointures de la télévision américaine, le créateur du polar culte The Wire, œuvre tentaculaire qui a souvent été décrite comme « le Grand roman américain ». Ce dernier revient donc le couteau entre les dents, épaulé par une petite armée de scénaristes pour faire de Treme « son Grand disque américain ». Le résultat d’une densité folle, est une chronique lorgnant du côté du Nashville de Robert Altman qui nous présente le quotidien d’une dizaine de personnages –souvent artistes– qui tentent de recoller peu à peu les pièces d’une vie post-Katrina. Le casting est sans surprise à la hauteur de l’ambition de la série et les talents que l’on nous présente –particulièrement ceux de John Goodman, Khandi Alexander et des anciens deThe Wire, Pierce et Peters- sont tels que les regarder lire l’annuaire serait supérieur à la majorité de ce qu’on trouve à la télé. Les guests sont également de la partie avec notamment les présences d’Elvis Costello et de Dr. John.
À quelques kilomètres de là, c’est un tout autre décor qu’on nous présente dans True blood : terrains marécageux, allées de cyprès, poupées vaudous, Rednecks… Pas de doute possible, on a mis les pieds au fin fond du Bayou louisian. C’est dans ce cadre inédit et intriguant que le mythe qui a fait les beaux jours de Hollywood–celui des vampires modernes– va être resservi à la sauce cajun.
Ici encore, une grosse pointure est aux manettes en la personne d’Alan Ball, créateur de la fascinante Six FeetUnder et dont la place au panthéon des séries TV ne saurait être remise en question. La « cohabitation » des morts avec les vivants ce n’est donc pas nouveau pour ce dernier et True Blood va lui permettre de pousser le fantasme beaucoup plus loin : basée sur la suite de romans « Southern vampires mysteries » de Charlaine Harris, True Blood (titre doublement ironique certes, déjà car le True Blood du titre n’en n’est pas, mais aussi car la condition raciale du « vrai » sang américain se pose régulièrement au fil des épisodes) détaille les rapports entretenus entre humains et vampires dans la petite ville de Bon Temps en Louisiane. Si l’évocation d’une romance vampire fait fuir la plupart d’entre nous de peur du « gnian-gnian » qui en découle souvent (on ne citera aucun film !), dans True Blood, cet aspect est largement atténué par les déviances malsaines qui découlent de la présence des vampires. True Blood a recours a une vaste blague pour développer son intrigue : les japonais ont mis au point une boisson synthétique appelée Tru Blood à l’attention des vampires. Ils peuvent désormais vivre –tout du moins exister– sans se nourrir sur les hommes. Si certains tentent de s’intégrer, d’autres refusent ce substitut et continuent de faire couler le sang humain. Chez les humains, le racisme anti-vampires s’accroit au fur et à mesure que les meurtres se succèdent. C’est donc au cœur de ce conflit que se développe l’histoire d’amour entre Sookie Stackhouse, serveuse et télépathe (interprétée par la sulfureuse Anna Paquin) et Bill Compton, le vampire à l’accent sudiste prononcé et au très haut sens moral.
Si Treme aura à coup sûr le mérite de faire grincer les dents de l’ex-administration Bush, True Blood nous offre les plus beaux spécimens de Rednecks et le « coming out » des vampires dans leur chère ville n’en est que plus délicieux : Le cadre qu’Alan Ball a choisi pour y faire cohabiter ses vampires, métamorphes, loups-garous et autres créatures fantastiques avec ses humains ordinaires, est donc une petite ville du Sud des Etats-Unis comme bien d’autres. Le générique de True Blood en décrit l’atmosphère et nous introduit à l’histoire. Sur le rythme country de Bad Things de Jace Everett, il alterne images de vie rurale, animaux sauvages, rites baptistes, sexe, photos du Ku Klux Klan et d’émeutes raciales en créant un portrait de Bon Temps « réaliste » puisque parfaitement localisé dans l’espace et le temps. Le traitement réservé par certains aux descendants de Nosferatu dans True Blood rappellera à plusieurs égards une période pas si ancienne où la chasse aux noirs était le sport national. L’Association Américaine pour les Droits des Vampires, fonctionne exactement comme tout groupe politique dans la tradition américaine des mouvements de droits civiques. Le racisme, latent ou exprimé, ravage encore les conditions de vie des gens aussi bien que l’alcool, la drogue et la pauvreté. Mélangés à des doses excessives de religion et de sexe, cela donne un cocktail détonnant. Et de ce point de vue True Bloodest un portrait du Sud des Etats-Unis aussi efficace que de Treme l’est de la Nouvelle-Orléans.
Cette dernière fait office de véritable brûlot politique et dépeint avec acuité de nombreuses réalités du système US. On n’en attendait pas moins de la part du créateur de The Wire. Le réalisme est frappant et on est projetés au plus proche de la galère quotidienne vécue par les personnages. L’attention au détail dans Treme est admirable, la passion vécue par les personnages et notamment pour la ville et sa musique, c’est ce lui insuffle ses moments les plus touchants et les plus mémorables. S’il est vrai que le pittoresque touristique n’est pas toujours évité (on kiffe tout de même les nombreux noms français prononcés « à la ricaine »), ces petites réticences sont vites balayées lorsque la série se consacre à son véritable projet : faire vibrer à l’écran la culture musicale séculaire de la ville. Le résultat est un récit poignant sur la musique comme ciment de la communauté des hommes.
Si on laisse de côté les rimes de Lil Wayne (« My whole city undewater, some people still floatin’ and they wonder why black people still voting ») ou la victoire des Saints lors du dernier Super bowl, True Blood et Tremeont le mérite d’attirer l’attention sur la Louisiane et sur sa richesse culturelle. En effet, les deux séries jouissent d’un succès considérable et tout particulièrement True Blood –les vampires étant sans doute plus attractifs que le jazz- qui est la série d’HBO la plus regardée depuis Les Sopranos, comptant chaque semaine plus de 12 millions de téléspectateurs sans compter de nombreux fans familiers d’internet et de ses possibilités… Dans les deux cas, on regrettera le peu d’échos en France où les bonnes séries sont hélas bien trop peu consacrées.