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Communication environnementale et de développement durable : le risque juridique

Publié le 27 novembre 2010 par Arnaudgossement

1709752740.jpgMouvement de fond, la communication environnementale des entreprises et des collectivités ne peut plus être pensée, élaborée et mise en œuvre sans une prise en compte continue du risque juridique. Son étude s’insère au cœur des stratégies de développement durable et bouleverse les conditions d’exercice de la communication environnementale. Quelques réflexions.


Les entreprises sont de plus en plus confrontées à l’impact grandissant du droit de l’environnement pour leurs activités. En tant qu’avocat en droit de l’environnement et ancien responsable de la communication d’une grande ONG, le sujet ne peut que me passionner et je me permets de vous soumettre ces quelques réflexions.

Une tentative de définition

La communication environnementale ne se limite pas aux actions spécifiquement conçues pour elle. Nombre de responsables ne sont pas encore tout à fait conscients que la communication environnementale d’une entreprise ne saurait se limiter à la rédaction des instruments spécifiquement conçus pour elle : rapports de développement durable, dossiers de lobbying à destination des élus, chartes éthiques, chartes de bonnes pratiques, actions de mécénats, prises de parole dans les médias, conférences ou points presse, affichages publicitaires, publicité radiotélévisée, affichage produit, bilan carbone…….

En réalité, l’expression « communication environnementale » correspond à l’ensemble des décisions et messages diffusés en interne et en externe par une entreprise ou une collectivité et qui sont susceptibles, directement ou indirectement, d’avoir une incidence, immédiate ou non, pour la protection de l’environnement. Nombre de responsables que je croise sont parfois étonnés de l’attention portée, soit par des salariés soit par des associations, à des propos ou à des décisions qu’ils ne pensaient pas spécialement présenter un lien direct avec l’écologie ou le développement durable. L’erreur est bien ici de penser que les associations de défense de l’environnement, des consommateurs ou des usagers ne s’intéresseront qu’aux supports spécialement dédiés à la communication environnementale d’une entreprise sans se préoccuper du reste. Or, c’est dans la pratique tout le contraire qui se produit. Ce n’est pas le discours spécifiquement conçu et maîtrisé pour alimenter la stratégie de développement durable d’une société qui va intéresser au premier chef ses opposants ou ses critiques. Le discours institutionnalisé sur le développement durable n’est pas toujours une source première d’informations utiles sur la réalité de l’engagement de l’entreprise.

C’est davantage ce qui est secret ou tout du moins un peu camouflé qui va susciter l’intérêt. A une époque où la transparence est de principe et où le secret est de plus en plus restreint, le risque qu’une décision ou une position susceptible d’être écocide soit connue du grand public est immense. Il vaut donc mieux prévenir que guérir et évaluer la portée de tout acte au regard de son impact environnemental avec – notamment - l’idée que tout acte peut avoir une incidence environnementale et que tout acte peut être un jour ou l’autre diffusé sur internet ou dans un journal. Dans ce contexte, une stratégie qui consiste à ramener l’attention vers les supports dédiés au développement durable doit également être mise en place. Cela suppose que lesdits supports présentent un intérêt et ne se limitent pas au « greenwashing » ou « écoblanchiment » habituels. Le « greenwashing » va au contraire susciter la méfiance. A l’inverse, la sincérité d’une communication environnementale va permettre à une entreprise de mieux maîtriser son discours et son image et d’éviter que ses actionnaires, analystes, concurrents, détracteurs ou journalistes n’aillent plus encore fouiller dans les tiroirs pour savoir ce qui se cache derrière un discours trop lisse et policé, constellé de bons sentiments et de belles photographies de campagnes verdoyantes au soleil.

Autre volet de la définition de la communication environnementale : celle-ci ne peut être réalisée de la même manière selon le contexte dans lequel elle s’inscrit. Ainsi, la préparation et la conduite de procédures de concertations suppose un discours adapté : réunions publiques, débats publics, enquêtes publiques…. Ce discours diffèrera de celui relatif à la promotion d’un produit au moyen d’une grande campagne de spots télévisés. Dans le premier cas, il est certain que les prises de position d’un maître d’ouvrage lors d’une enquête publique auront des incidences pour la suite, en cas de recours tendant à l’annulation par le Juge administratif de l’autorisation administrative délivrée. Les propos et écrits de l’opérateur en réponse aux autorités administratives en charge de son dossier, au public participant à l’enquête publique, aux questions du commissaire enquêteur, sont des pièces qui pourront être portées à la connaissance du Juge, ce qu’il faut anticiper.

Une communication environnementale pour qui ?

Le juriste ne va pas analyser les cibles d’une communication environnementale de la même manière qu’un professionnel de la communication, un publicitaire ou un responsable du département développement durable d’un grand groupe. Il les analysera aussi en termes de risques juridiques et aura à cœur de s’assurer de la conformité des décisions et discours d’une entreprise au regard, non seulement des règles de droit internationale, européenne et nationale en vigueur mais aussi au regard des règles en devenir, en cours d’élaboration, ainsi qu’au regard de la jurisprudence. Le  but est ici de prévenir le risque que l’entreprise ne soit « accusée » par ses salariés, ses actionnaires, ses partenaires, ses investisseurs, ses fournisseurs ou sur la place publique d’avoir manqué à ses obligations. Lorsque cela arrive, la trace dans l’opinion publique et sur internet est presque indélébile… Le juriste aura également à cœur de prévenir le risque contentieux c'est-à-dire de penser que chaque « cible » d’une communication environnementale voulue ou non, peut un jour saisir soit un Juge, soit une institution chargée de rendre une décision quasi juridictionnelle. Cela suppose une veille permanente mais aussi de systématiquement imaginer comment un propos ou une décision pourraient être interprétés pour être dénoncés. Précautionneux et adepte de l’hypothèse pessimiste, le juriste doit également endosser une certaine « impopularité ». Mais, redondance, le conseil juridique vise à conseiller, pas à décider : il s’agit bien d’un avis destiné à éclairer celui qui va décider, agir ou parler.

Le risque juridique « non contentieux ».

Le premier risque lié à la violation d’une règle du droit de l’environnement tient à ce que celle soit mise en exergue à l’occasion d’une communication environnementale dirigée…. contre l’entreprise. Le délégué syndical, un salarié lanceur d’alerte, un proche d’un salarié exposé, un ancien salarié sont autant de personnes qui pourront souligner les incohérences, les contradictions ou les erreurs d’une entreprise au regard notamment de ses obligations juridiques. Pourtant, il existe encore des entreprises qui n’ont pas mis en place une véritable stratégie de prévention et de réponse à ces « crises » : inventaire « point zéro » des obligations juridiques environnementales de l’entreprise, identification et suivi des non conformités et des actions de réponse ; identification des risques juridiques et de leurs conséquences ; anticipation des nouvelles règles, veille législative et réglementaire, système d’archivage qui permette de mobiliser sans délai une information relative au respect de ses obligations il y a dix ans par l’entreprise aujourd’hui accusée….autant d’actions indispensables.

Toutefois, l’action la plus indispensable est de tout simplement se renseigner sur la nature et l’étendue de ses obligations. Les entreprises violent parfois le droit de l’environnement sans le savoir parce qu’elles n’ont tout simplement aucune connaissance de leurs obligations. Les PME sont de ce point de vue assez démunies lorsqu’elles n’ont les moyens d’accueillir en leur sein ni direction juridique, ni direction du développement durable.

Le risque juridique contentieux.

L’audit juridique doit permettre d’identifier les risques contentieux. Rappelons que la Cour d’appel de Versailles a, par arrêt du 4 février 2009, opposé les termes d’une charte de bonnes pratiques à un opérateur de téléphonie mobile pour motiver sa décision d’ordonner le retrait d’une antenne relais. En conséquence, le contenu de ces documents – chartes, plans de développement durable.. – sont susceptibles de contenir, soit des engagements qui seront opposés à leurs auteurs, soit des informations qui pourront permettre d’interpréter les actes et décisions d’une entreprise et, peut-être, de déceler une violation du droit de l’environnement ou des règles spécifiques à la communication environnementale. C’est ainsi qu’une association de défense de l’environnement a obtenu la condamnation de la société Monsanto en raison d’une campagne publicitaire vantant le caractère naturel d’un désherbant tristement célèbre. Les supports de la communication environnementale peuvent être discutés tant dans le cadre d’une expertise judiciaire que lors du procès. Leur contenu affaiblira ou au contraire renforcera la défense d’une entreprise dont la responsabilité est recherchée en cas de pollution par exemple. Le risque contentieux est sans doute le plus craint et représente un préjudice d’image important. Des développements plus longs et spécifiques à ce risque seraient nécessaires.

L’audit juridique de communication environnementale.

L’audit juridique se formalise de plusieurs manières. En premier lieu, la consultation juridique peut être ponctuelle, par exemple pour relire un plan de développement durable, une charte, un visuel publicitaire ou même une circulaire interne. En second lieu, la consultation peut être organisée sous la forme d’une mission d’assistance juridique sur le long terme. Le propos n’est pas ici de présenter dans le détail toutes les étapes d’une mission de conseil juridique mais d’en souligner quelques grands traits.  Il est tout d’abord indispensable de réaliser un état « point zéro » des obligations juridiques de l’entreprise pour les différents marchés sur lesquels elle intervient.  Passé ce point zéro, il conviendra d’appliquer la grille de lecture ainsi réalisée aux différents services de l’entreprise de manière à identifier des « non conformités ». Cette grille de non conformités étant ainsi réalisée, il conviendra de la faire vivre. Pour ce faire une veille législative et réglementaire mensuelle est utile pour faire évoluer en permanence la grille de lecture. Toutefois, cette veille doit être vraiment utile. Il ne suffit pas de la commander, encore faut-il la lire et la faire lire, définir des canaux de diffusion, réfléchir à la pédagogie des informations qu’elle comporte. Outre cette veille, l’inventaire des non conformités doit à son tour être renseigné, soit pour y porter de nouvelles difficultés, soit pour en retrancher. Toute la difficulté de l’opération est de ne pas la réduire à une grande production de papiers.

Les compétences requises

Une nouvelle activité des juristes en droit de l’environnement tient donc au régime juridique de la communication environnementale. Avis aux étudiants et à leurs professeurs : voici un secteur qui correspond à un besoin réel des entreprises. Le professionnel du droit qui va procéder aux audits de communication environnemental doit sans doute posséder plusieurs compétences, qu’il aura acquises à l’université et dans son activité. Il doit bien entendu et avant toute chose avoir une connaissance approfondie et « panoramique » du droit de l’environnement dans tous ses volets : de l’énergie aux installations classées, en passant par les déchets, les produits chimiques… Il doit également maîtriser les règles spécifiques à la communication environnementale : « jurisprudence » en cours de formation de l’ARPP (autorité de régulation professionnelle de la publicité) ; règles applicables aux panneaux d’affichages, enseignes et pré enseignes ; règles applicables aux rapports « Loi NRE », responsabilité des sociétés mères à raison de l’activité de leurs filiales, risques liés au défaut d’information pré contractuelle, etc….

Une connaissance fine du droit ne suffit cependant pas à « l’intelligence juridique ». Il est en outre indispensable de constamment suivre l’actualité et de comprendre les circuits de l’information, savoir ce qu’est une agence de presse, comment travaille une rédaction, ce que sont les centres d’intérêts des différents médias et journalistes, connaître le paysage des agences de communication, savoir quand et comment s’élabore et se diffuse un communiqué, comment s’organise une conférence de presse, comment s’élabore une campagne d’opinion au sein d’une ONG, quels sont les relais d’opinions du territoire à l’internet sur tel et tel sujet. Bref, le juriste ne peut intervenir en matière de communication environnementale….sans rien savoir des métiers de la communication et de l’information ! Il est toujours fascinant d’écouter des experts parler doctement des actions des ONG sans les connaître ou sans jamais les avoir fréquentées… Là aussi le dialogue environnemental devrait permettre au secteur associatif et économique de mieux se comprendre. N’oublions pas que nombre de salariés d’une entreprise accusée de greenwashing peuvent être eux-mêmes … militants associatifs et vice versa.

L’impact du Grenelle

Une fois de plus, voici un secteur, celui de la communication environnementale, qui aura considérablement évolué au lendemain du Grenelle de l’environnement et ce, de plusieurs manières. En premier lieu, les textes issus du Grenelle, dont les lois « Grenelle 1 » du 3 août 2009 et « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 comportent de nombreuses dispositions qui intéressent la communication verte : affichage environnemental, bilans carbone, étiquetage énergétique, affichage publicitaire, rapports Loi NRE, entre autres.

En second lieu, l’avènement de la gouvernance à 5, du dialogue environnemental a modifié les rapports entre ONG et entreprises. Des politiques de partenariats et non plus simplement de mécénat se sont conclues, des instances d’échange comme les panels de parties prenantes se sont multipliées. En conséquence, la communication des uns et des autres a évolué. Son contenu par exemple. Une communication environnementale n’a de sens que si l’environnement est, non pas l’objet d’une campagne spécifique, mais au cœur de toutes les autres communications de l’entreprise. Preuve est faite que toutes les branches des politiques de protection de l’environnement sont liées et que celles-ci – conformément au principe d’intégration – sont au fondement des autres politiques. Il serait bien sûr trop long de développer ce point ici.

Je formule donc l’hypothèse – sans doute optimiste - selon laquelle la prise en compte du risque juridique permette à la communication environnementale de n’être pas simplement qu’un strict exercice publicitaire mais un levier – parmi d’autres - qui permette de transformer dans le bon sens l’activité des entreprises.


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