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Le Nom des Gens. Sous la loupe!

Par Michcine

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Le Nom Des Gens le second film de Michel leclerc, sortira sur vos écrans ce 24 novembre.

Sélectionné en ouverture de la Semaine de la Critique lors du dernier Festival de Cannes, cette comédie tout en finesse a séduit de nombreux spectateurs lors de la tournée Province en France, après avoir obtenu le Prix du Public du Festival du Film Romantique de Cabourg et le Prix de la mise en scène et du public au Festival du Film francophone d'Angoulême. Cette comédie atypique et originale met en scène Jacques Gamblin et Sara Forestier.

Synopsis
Bahia Benmahmoud, jeune femme extravertie, se fait une haute idée de l'engagement politique puisqu'elle n'hésite pas à coucher avec ses ennemis pour les convertir à sa cause - ce qui peut faire beaucoup de monde vu qu'en gros, tous les gens de droite sont ses ennemis.
En règle générale, elle obtient de bons résultats. Jusqu'au jour où elle rencontre Arthur Martin - comme celui des cuisines - quadragénaire discret, adepte du risque zéro. Elle se dit qu'avec un nom pareil, il est forcément un peu facho.
Mais les noms sont fourbes et les apparences trompeuses...

 

Clip 1. Tabou

Clip 2. Déjanté

Entretien avec Michel Leclerc et Baya Kasmi
Comme J’INVENTE RIEN, votre premier film, LE NOM DES GENS est une comédie. Pourquoi avez-vous choisi ce genre ?

Michel Leclerc : Quand on parle de soi, ou du moins que l'on désire partir d'une matière autobiographique, l'humour permet de mettre la distance nécessaire pour éviter de verser dans la complaisance narcissique. Parler de soi, certes, mais en s'en moquant pour laisser les autres entrer dans l'histoire. C'est la raison fondamentale pour laquelle je fais de la comédie : cela me semble la seule manière élégante de parler de son nombril en évitant de tomber dedans.....
Quelles sont vos références en la matière ?
MC : Dans une récente interview, Woody Allen se désolait du fait que les jeunes cinéastes s’inspirent plutôt de Scorsese et de Tarantino que de lui. Or, depuis des années, j’essaye désespérément de m’inspirer de lui – et notamment d’ANNIE HALL et de RADIO DAYS pour LE NOM DES GENS –, mais personne ne le remarque. Mon but ultime serait de copier tous ses films un par un, mais j’ai bien peur que ma vie n’y suffise pas : je rêve en secret qu’il finisse par me faire un procès pour plagiat, ce qui peut-être me permettrait de le croiser !
Comment a commencé l'aventure du NOM DES GENS ?
MC : Quand j'ai rencontré Baya, il y a près de dix ans, elle m'a dit comment elle s'appelait et je lui ai répondu, "C'est brésilien ?", et elle m'a répondu, "Non, c'est algérien." Ensuite, elle m'a demandé mon nom et quand je le lui ai donné, elle m'a dit, "Au moins, on sait d'où ça vient !" Le point de départ du film se confond donc aussi avec le point de départ de notre histoire personnelle.

Baya Kasmi : On avait envie de réagir à tout un discours déterministe autour de l'identité et des communautés que l'on trouve insupportable et dans lequel on ne se reconnaît pas. Les injonctions de la société sont simplistes et imposent un certain type de comportement en fonction de ses origines. Or, on peut très bien ne pas s'y conformer !
MC : En France, la question des origines est à la fois complexe et obsessionnelle. Comment rester fidèle à ses racines sans être communautariste ? Comment être athée sans renier ses origines ? Ces questionnements-là nous passionnent.
La part autobiographique est donc importante ?

MC : Oui, puisque c'est en se racontant l'un l'autre les histoires respectives de nos familles que l'on s'est rendu compte, malgré nos différences, de convergences par rapport à certaines névroses et obsessions chez nos parents. Fondamentalement, la rencontre amoureuse dépend beaucoup plus de ce terrain familial commun que d'une appartenance supposée à une communauté.
Comment la dramaturgie s'est-elle mise en place à partir de cette matière ?

BK : Cela a été un long processus. Au départ, quand nous avons rencontré notre producteur, nous avions une soixantaine de pages de situations très diverses. Nous avions aussi une idée précise du potentiel comique des personnages car, dès le début, il était clair que l'on voulait faire une comédie.

ML :
Cela a mis du temps à se mettre en place parce que nous sommes partis de situations et de personnages plutôt que d'une narration. C'est ainsi que Bahia qui couche avec ses ennemis politiques pour les convertir à sa cause a également enrichi notre dramaturgie.

Vos personnages tentent d'échapper aux catégorisations dans lesquelles on voudrait les enfermer.
ML : Comme nous, ils sont déjà eux-mêmes fruits d'un mélange et ne s'identifient donc plus aux problématiques des immigrés de "deuxième" ou "troisième" génération. Ils n'y pensent même plus. Par exemple, Arthur Martin dit clairement qu'il n'est pas juif, bien que sa mère le soit. En conséquence, le nom d'une personne n'est plus forcément révélateur de ce qu'elle est ou censé être – on peut s’appeler Goldenberg et ne pas être juif par exemple si on n'a pas envie de l’être. Depuis quelques décennies, on fait de plus en plus sa vie hors de sa communauté d'origine et, du coup, le patronyme perd de sa signification identitaire. Aujourd’hui, dans un pays où les gens se mélangent, c’est à chacun de définir sa propre identité, pas aux autres.
BK : Pour autant, on voulait assumer une contradiction entre notre refus d'être identifié à un certain type de comportement, en fonction de nos origines, et notre volonté de ne pas oublier nos racines et l’histoire de nos familles : ce n'est pas parce que l'on se mélange que l'on va nécessairement disparaître – bien au contraire. Pour nous, l'idée forte que l'on voulait défendre dans le film, c'est que les "bâtards" sont l'avenir de l'humanité !
Arthur Martin se définit comme "de meilleure qualité que les autres, mais sans emporter le marché."

ML : J'aime beaucoup ces personnages qui sont un peu trop rigoureux pour être aimables, et dont l'intransigeance finit par rendre asociaux. Arthur Martin est de ces hommes qui ont une certaine rectitude morale – voire rigidité – qui les empêche de faire des concessions. C'est ce que l'on reprochait à Lionel Jospin et ce n'est donc pas un hasard si Arthur se déclare "jospiniste." L'idée d'avoir, dans une comédie, un personnage très sérieux qui n'a pas le sens de l'humour nous plaisait.
Comment avez-vous eu l'idée de faire d'Arthur un ornithologue travaillant pour l’Office français des épizooties ?

ML : Pour Arthur, nous avons cherché un métier qui soit l'émanation de ses obsessions. La question du principe de précaution, consistant à éviter au maximum les risques, correspond à sa propre philosophie de la vie – à tel point qu'il en a fait son métier.
BK : En menant nos recherches sur ce métier-là, nous avons réalisé qu’il pouvait y avoir beaucoup d’échos avec la typologie du personnage. Par exemple, on s’est aperçu qu’en cas de risque de grippe aviaire, son métier consistait à ordonner l’abattage de masse des poulets, que l’on gaze à cet effet. Il y avait évidemment là un écho avec la problématique d’Arthur.
Bahia incarne une forme d'engagement total.

ML : Bahia est un personnage courageux. Elle estime en effet qu'il vaut toujours mieux agir – même mal – que de ne pas agir du tout. C'est une militante qui pense que par son action, elle peut changer le monde. Mais ce qui fait sa particularité, c'est qu'elle ne met aucune distance entre son engagement politique et son engagement personnel, puisqu'elle couche avec ses ennemis politiques ! C'est donc un personnage entier.
BK : Du coup, c'est aussi quelqu'un qui simplifie les choses par nécessité. Car le monde d’aujourd’hui est tellement complexe que pour s'engager, il faut avoir une grille de lecture précise et s'y tenir. C'est ce qui la pousse à dire parfois n'importe quoi, du genre, "le quad, c’est super facho, la gauche, c'est bien et la droite, ils sont tous fachos", sans jamais avoir honte ! Cela peut paraître primaire, mais chez elle c'est un choix affirmé : elle s'oblige à suivre cette ligne de pensée pour ne pas perdre l'énergie de l'action, c’est un pari.
Arthur et Bahia souffrent également d'être des "planqués"…

ML : C'est un de leurs points communs. Ils ont l'impression que leur identité ne correspond pas à l'image que les autres se font d'eux. C'est ce qui génère de la culpabilité chez l'un comme chez l'autre : contrairement à leurs parents ou grands-parents qui ont souffert à cause de leurs origines, eux n’en n’ont pas souffert, et ils en sont conscients. Ils ne supportent pas que certains utilisent même la souffrance des générations précédentes pour se mettre en valeur. Alors que les victimes directes de traumatismes historiques – comme la colonisation, la Shoah ou l’esclavage – ont des droits, les descendants de victimes n’ont que le devoir de faire en sorte que des catastrophes du même genre ne se reproduisent pas.
BK : Arthur réagit en se cachant et en dissimulant ses origines juives, et Bahia réagit en revendiquant ses racines arabes qui ne se voient pas sur son visage. D'où sa décision, à un moment, de porter le voile, qui lui permet d'être perçue comme une Arabe et de sentir les regards hostiles sur elle. Elle vit enfin ce que son père a vécu.
La scène où Arthur rhabille Bahia est pleine de poésie.

ML : Pour Bahia, la nudité n'a aucune importance : elle se comporte nue de la même façon qu'habillée, sans y mettre de sexualité. Du coup, il fallait rendre sa nudité banale et faire en sorte que le désir naisse quand elle se rhabille. C'était un vrai défi en termes de mise en scène.
Comment avez-vous imaginé les parents ?

ML : Les parents d'Arthur se sont construits sur l'idée qu'il fallait panser les plaies de leur propre passé en passant sous silence la période de l'Occupation. Comme ils ont grandi dans les années 50, ils sont fascinés par le progrès et croient vraiment que le monde va devenir meilleur grâce au développement du lave-vaisselle et du grille-pain ! C'est un bonheur qui peut sembler dérisoire, mais c'est un bonheur quand même.
BK : Les parents de Bahia, eux, sont marqués par les années 70. Bien qu'elle soit française, la mère n'aime pas son pays. Pour elle, la France véhicule une image d'un pays colonisateur, collabo et pollueur. Elle rejoint en cela l'auto-détestation et l'autodénigrement qui sont typiquement français. Ne pas aimer la France, c’est souvent être très français, ce qui évidemment n’est pas raccord avec la politique menée sur ce thème. Etre français, c’est aussi couper la tête des rois, se révolter, et détester le nationalisme.
ML : Le père de Bahia fait partie de cette génération d'immigrés qui ne sont pas du tout dans la revendication identitaire, alors que c’est elle qui a le plus souffert. Il a cela en commun avec la mère d'Arthur d'avoir été victime de la guerre – la Seconde Guerre Mondiale ou la guerre d'Algérie –, mais d'avoir décidé d'aimer la France.
Comment avez-vous choisi Jacques Gamblin ?
ML : Nous avons très vite pensé à lui. Je trouvais qu'il s'imposait dans le rôle parce qu'il campe remarquablement le type contenu et fermé, mais qui dégage une humanité comprimée. Il a aussi un corps dont il arrive à tirer un potentiel comique très fort et qui a assez peu été exploité jusque-là.
Et Sara Forestier ?
ML : Nous avions écrit le personnage de Bahia comme un genre de Marilyn arabe. Au départ, on cherchait donc une comédienne d'origine maghrébine. Mais on n'a trouvé personne qui fasse passer toutes les dimensions du rôle : l'humour, la vivacité, la fraîcheur et l'absence de pudeur. Nous avons alors élargi le casting à des comédiennes non-maghrébines : quand on a rencontré Sara Forestier, bien qu'elle ne corresponde pas au personnage tel qu’on l'avait imaginé, nous avons compris immédiatement que c'était elle. Car elle a la drôlerie et la gouaille – sans la vulgarité – que l'on recherchait. A partir de là, on a réécrit le personnage pour Sara, en lui donnant ce côté "planqué" dont on parlait tout à l'heure.
BK : Grâce à Sara, on est revenu, sans le chercher, à la complexité d'un personnage qui souffre de ne pas ressembler à une Arabe, alors que son père est d'origine algérienne.
Les acteurs sont étonnants de naturel…

ML : J'ai pris énormément de plaisir dans la direction d'acteur parce que j'ai eu le sentiment d'être en face de comédiens très investis dans le film. Du coup, ils étaient ouverts à l'improvisation : c'est fondamental, pour moi, de préserver un espace de liberté par rapport à un scénario très écrit. Par exemple, je me suis servi de la nature militante de Carole Franck, qui joue la mère de Bahia : dans les scènes où elle s'énerve contre le nucléaire et où elle insiste pour qu'Arthur fasse un mariage blanc, elle a improvisé.

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