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« La divinisation de l’humain », Luc Ferry

Par Bgn9000

« La divinisation de l’humain », Luc Ferry dans « Apprendre à vivre », page 279, vient de terminer sa brillante synthèse des trois grandes périodes de la philosophie et notamment des trois grandes theoria qui ont fortement influencé notre conception de la quête du salut, comme je disais dans ma note précédente, dans un rapport binaire. La morale est l’objet du chapitre que je viens de commencer. Elle se positionne en quelque sorte comme le Mana Bouddhiste, à la frontière entre theoria et quête de salut, avec une épaisseur plus ou moins importante qui est signe d’une capacité à filtrer les échanges entre les deux autres composantes de la pensée philosophique. Je considère, grâce à cette image du mana, que l’on peut affirmer que l’épaisseur de la morale du temps des Grecs était notablement plus fine ou plus souple que pour les philosophes modernes, mais aussi que pour les post modernes dont Nietzsche est le plus illustre représentant. Cela semble illogique à première vue, mais seulement en apparence : « la problématique morale… fait son apparition dès l’instant où un être humain pose des valeurs sacrificielles, des valeurs ‘supérieures’ à la vie. Il y a morale lorsque des principes nous semblent, à tort ou à raison – aux yeux de Nietzsche, c’est évidemment à tort, mais peu importe ici – si élevés, si ‘sacrés’ que nous en venons à estimer qu’il vaudrait la peine de risquer, voire de sacrifier sa vie pour les défendre ».

Une constante humaine est de critiquer chez les autres nos propres défauts que l’on croit y voir ou bien de conseiller aux autres ce que l’on n’arrive pas à mettre en application. On porte très souvent sur nos épaules (l’âne de Nietzsche) des souffrances, des exigences qui ne nous appartiennent pas. Elles peuvent nous toucher, nous concerner, mais il faudrait les prendre pour ce qu’elles sont : extérieures à nous bien qu’en nous sinon on n’en prendrait pas la charge. Il s’agit moins de lutter que d’accepter et embrasser. La religion juive est pleine de ces exigences et elles ont filtré dans le christianisme malgré le message d’amour de Jésus. Les penseurs Grecs, qui avaient une éthique très développée et qui nous ont transmis cet art de vivre, avait une morale plus souple. Luc Ferry a bien précisé que l’origine étymologique était la même (je me méfie toujours de ce dogme à l’instar d’un instituteur qui donne des coups de règle sur le bout des doigts). Toutefois, je pense trouver dans la différence d’approche de l’éthique grecque et de la morale chrétienne la distinction de ces deux mots. En suivant donc mon raisonnement, j’estime que Nietzsche, en prenant connaissance de la pensée Grecque, a pris conscience de l’épaisseur de la morale que l’on lui avait inculquée et qui menait l’humanité moderne à nier d’un côté ce qu’elle avait permis de l’autre : c’est-à-dire une theoria permettant une science indépendante et des valeurs supérieures à la vie comme réponses à la quête du salut. Tout est imbriqué, à l’image des cercles, cycles du temps. La liberté rendue possible par Jésus a permis l’émergence d’un modèle de pensée scientifique plus librement affirmé. J’aime me rappeler que les contraires s’attirent. Cela explique souvent les contradictions que l’on pense être des erreurs de jugement. Vous voyez, j’emploie le mot ‘jugement’ à cet escient, car il symbolise le refus du raisonnement de l’autre parce que l’on croit d’abord qu’il fait l’erreur de juger et à plus forte raison, qu’il juge mal. Échec et mat.

Pour résumer, l’éthique Grecque était très développée, avec une certaine rigueur qui exigeait de la souplesse pour permettre une compréhension du monde sans les moyens scientifiques très avancés que nous avons développés depuis. La frontière entre theoria et quête de salut était très fine permettant une influence réciproque. La morale chrétienne était plus restrictive, car obsédée par l’erreur humaine, le péché, la mauvaise voie, mais contrebalancée dans sa rigueur par l’amour de Jésus. La theoria et la quête de salut étant plus séparées, l’une et l’autre se développaient en bon voisinage, non sans veiller à son pré carré,  jusqu’à ce que Nietzsche s’en prenne à la morale, l’objet de cette séparation dans un mouvement de déconstruction du haut vers le bas, des valeurs supérieures à la vie jusqu’aux connaissances naïves ou d’origine métaphysique. La déstabilisation de la quête du salut a permis le développement d’une quête matérialiste, jusqu’à ce que les limites soient atteintes en ne pouvant pas répondre aux questions sur l’existence que se pose l’être humain depuis la nuit des temps. C’est ce que nous propose de découvrir Luc Ferry comme conclusion à son livre, justifiant le titre un peu péremptoire.

Revenons maintenant à l’objet de cette note, la sacralisation de l’humain comme guide de cette nouvelle éthique explorée par le nouvel humanisme alors que Nietzsche et ses successeurs se sont attaqués à toute forme de morale, aussi bonne soit telle, car recelant des éléments dogmatiques sur la vie elle-même. Pourquoi réintroduire du sacré ? Attention, ici sacré se décline en général en sacrifice, il n’est pas nécessaire d’y voir strictement un sens religieux, simplement quelque chose de supérieur qui est une forme de croyance mais non déiste, qui est au-delà de toute atteinte, car au final, on ne pourrait réellement s’en détourner. Luc Ferry prend l’exemple du lynchage, qui nous semble barbare et insupportable. Même si on n’avait pas le courage d’intervenir, si on devait assister à cet acte odieux sur la place publique, notre révolte serait là en nous et il existe un seuil au-delà duquel où nous serions obligés d’intervenir, de prendre des risques inconsidérés. Autrui nous concerne bien plus que l’on pourrait le croire, englués que nous sommes dans la mélasse de notre quotidien matérialiste et individualiste : « nous continuons, matérialistes ou non, d’estimer que certaines valeurs pourraient, le cas échéant, nous amener à prendre le risque de la mort ». Et pour compléter sa vue,  page 281 : « aux transcendances de jadis – celles de Dieu, de la patrie ou de la révolution – nous n’avons nullement substitué l’immanence radicale chère au matérialisme, le renoncement au sacré en même temps qu’au sacrifice, mais bien plutôt des formes nouvelles de transcendances ‘horizontales’ et non plus verticales, si l’on veut : enracinées dans l’humain, donc des êtres qui sont sur le même plan que nous ».

C’est un thème qui intéresse particulièrement Luc Ferry, les limitations de la vision matérialiste, le besoin de retrouver des valeurs transcendantales pour nous conforter dans un monde pas si harmonieux comme les Grecs le croyaient, bien au contraire avec la force de l’entropie. De toute manière, si les positions tranchées sont signe de force de caractère – et il en faut -, ce sont aussi des carcans de la pensée qui mènent aux oubliettes. J’aime bien l’image de la poigne d’acier dans un gant de velours, mais je préfère l’image de la bulle d’air qui ne s’oppose pas mais propose la réconciliation et une transformation mutuelle. C’est une sorte de non-violence intellectuelle, mais revisitée en transformant la volonté de sacrifice par une volonté de souplesse.

Luc Ferry, pages 282 et 283, nous donne un exemple frappant de la sacralisation de l’humain : « Un souvenir de Solférino » d’Henri Dunant, originator de la Croix-Rouge, où il est question du statut du soldat une fois qu’il est blessé ou mourant, donc plus en mesure de se battre. De même, Luc Ferry fait état du changement de définition du mot patrie qui prend une place de plus en plus prépondérante dans notre esprit : « on peut rester patriote, mais la patrie elle-même a changé de sens : elle désigne moins le territoire que les hommes qui vivent en lui, moins le nationalisme que l’humanisme ». C’est d’ailleurs l’amalgame qui existe entre le fait d’être nationaliste et d’être raciste. L’humain a pris la place de ces valeurs supérieures. Immanence et transcendance font un. Tout cela est bien beau, mais en quoi cela répond à ma quête de salut ? Et n’est-ce pas mettre l’Homme au-dessus des hommes et reproduire des schémas hiérarchiques ? Il n’en reste pas moins que le message de Jésus, l’amour du prochain, est encore et toujours extrêmement actuel. Toutefois, au regard de la désaffection dans les églises catholiques et la recherche d’autres spiritualités comme le bouddhisme, dont le message est de se recentrer sur soi afin de transformer ensembles autrui et soi-même, je suis tenté de penser que cette sacralisation de l’humain est en train de s’équilibrer. Quelque part, l’homme semble gagner en maturité.

22 septembre 2010

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