Des livres ? j’ai lu du court, de la nouvelle conclue avant de s’endormir ou dans la vapeur d’un thé.
Des nouvelles grappillées de Maupassant. Je me suis rendue compte que je n’avais jamais lu Boule de suif, cette nouvelle hautement savoureuse où l’on partage des victuailles dans une diligence retardée par la neige (puis par les ordres d’un Prussien qui veut que la courtisane Boule de Suif lui cède, et-c’est-comme-ça). Un peu trop primairement anti-bourgeois (quels personnages détestables, les voyageurs qui se pourlèchent les babines des provisions de la cocotte avant de la jeter en pâture au Prussien), mais bien quand même.
Des articles de Robert Desnos sur Jacques l’Eventreur (publiés par les éditions de L’Herne, merci Babélio !) : le poète y raconte dans une prose pleine de suspense et de pittoresque les crimes monstrueux avant d’appâter le lecteur avec un témoin qui a joint le journal : il a connu Jacques l’Eventreur… Le poète joue au reporter et se plaît à laisser imaginer qu’il a peut-être côtoyé là quelques heures l’insaisissable assassin. Lu pour voir aborder le crime d’une autre façon que dans From Hell, que j’ai adoré, ce petit opuscule est savoureux par son atmosphère noire et poétique, et pour le rôle que se donne le narrateur, journaliste en quête d’un improbable scoop… Le meurtrier, à la façon surréaliste, tue pour le geste, par défi contre les timorés. Une variation intéressante.
Des nouvelles de madame de La Fayette, dont les héroïnes sont les esquisses de la vertueuse Mme de Clèves, s’élevant par un effort surhumain au-dessus des passions humaines. Si La Comtesse de Tende est encore un peu fade (malgré les grands sentiments, et parce que la nouvelle est tout entière habitée par l’orgueil plus que par l’amour ou la vertu), La Princesse de Montpensier offre quelques scènes magnifiques (dont l’apparition féérique de l’héroïne sur l’eau devant son amant et celui qui deviendra son rival) ; les plus fidèles sont les plus châtiés, dans une conclusion cruelle qui condamne encore la passion et n’offre aucune échappatoire aux héros.
Un court « roman » d’Annie Ernaux, La Honte, cherchant à retrouver la source de ce sentiment d’indignité (cette exclusion du paradis de l’enfance) qui l’habita après qu’un dimanche elle comprit que son père avait voulu tuer sa mère, dans une crise de rage.
Et vous savez ce que j’ai trouvé, me reposant d’une longue marche chez mon bouquiniste ? une nouvelle de Kazuo Ishiguro, Un village à la tombée de la nuit (elle devait être offerte avec je ne sais quel journal). Ecrite semble-t-il après les Vestiges du jour, son écriture est beaucoup plus abstraite que celle des romans, et la nouvelle (inspirée dit la post-face de la chute du mur de Berlin) reste opaque, résiste : un homme revient dans un village où il fut jadis influent. Il n’est pas reçu avec l’admiration qu’il suscitait jadis, sauf par la jeunesse, fascinée (mais qu’il n’arrive pas à suivre). Ses retrouvailles avec un ami d’enfance nous le montrent sous un jour assez négatif. Assez kafkaïenne, la nouvelle m’a intéressée sans totalement me séduire, déroutée par des zones d’ombre qui ne me rebutent pas mais me laissent un peu sur ma faim… C’est sur cette rareté ishigurienne que je vous laisse…