Drôle de journée au cinéma. Lorsque je me suis réveillé samedi matin, le seul plan du jour était d’aller voir le nouvel Harry Potter avec des amis à la séance de midi, histoire d’éviter la foule. J’étais loin de penser que j’allais m’embarquer pour un petit marathon de trois films qui auraient tous pour point commun d’être projetés dans une salle agitée de soubresauts qui en énerveraient plus d’un. Mais depuis que je tiens ce blog, j’arrive à prendre les désagréments avec le sourire en me disant « Au moins, ça fera un billet marrant à écrire sur l’IBC ». Samedi je me suis trouvé dans trois salles où le spectacle était autant dans la salle qu’à l’écran. Et je vais me faire un plaisir de vous raconter ce qui s’est passé.
La journée cinéma a donc commencé avec le 7ème film adapté de la saga littéraire écrite par J.K. Rowling, Harry Potter et les reliques de la mort, 1ère partie, réalisé par le même David Yates qui avait signé les deux précédents opus. Je ne suis pas un fan inconditionnel des Harry Potter, et y vais avec plaisir sans l’impatience excitée des toqués du sorcier à la cicatrice. Mais je sais bien qu’en se rendant aux nouvelles aventures d'Harry Potter en première semaine d’exploitation, on se retrouve avec une salle risquant de rassembler beaucoup d’ados. Hors en faisant fi de ce facteur, je sais que je m’expose aux spectateurs que j’abhorre le plus en ce bas monde. Il n’y a pas de pires spectateurs que ces boutonneux évoluant en meutes pour lesquelles les sorties ciné sont une occasion pour les garçons de faire les kékés devant les filles, pour les filles de s’éclater entre copines, et tant d’autres combinaisons que c’en est flippant. Pire que les vieux qui parlent ou les gamins qui posent des questions, les ados.
Et ceux-ci étaient bien au rendez-vous samedi midi à l’UGC Ciné Cité Bercy. En quelques instants, mes amis et moi étions encerclés. Devant nous, cinq ou six copines partageant un seau de pop corn qui ne sera définitivement vidé qu’à 20 minutes de la fin du film. A ma droite, un couple d’ados avec un autre seau de pop corn. Et derrière ? Encore cinq ou six adolescentes, celles-ci sans pop corn mais avec un gros potentiel pour se faire remarquer comme j’allais le constater au cours du film. En même temps il faut bien avouer que si ce septième Harry Potter avait fait partie des bons crus, j’aurais moins entendu les filles de derrière.
Mais voilà, la première partie des Reliques de la mort est un tout petit Potter, au scénario bâclé et mal rythmé qui ne laisse aucune chance au film. Les ellipses servant à tourner plus rapidement les pages du bouquin évitent ce qui pourrait être de vraies bonnes séquences (une bataille aérienne de sorciers !!) pour se concentrer sur un mollasson triangle Harry/Hermione/Ron courant seul pendant les deux tiers du film, sans personnages secondaires forts qui caractérisent habituellement les films Harry Potter. La galerie de personnages n’est pas exploitée, préférant balader le trio de jeunes sorciers de forêts en forêts avec une intrigue bien mince (alors il faut trouver un médaillon, une fois celui-ci trouvé il faut trouver un moyen de le détruire, et une fois le moyen trouvé il faut trouver l’instrument qui permettra cette destruction… pfff). Il semblerait qu’avoir scindé la dernière adaptation en deux films n’était qu’un prétexte à ramasser plus de fric et à ne pas tuer tout de suite la poule Potter aux œufs d’or, car le doute n’est pas permis : il n’y avait pas de quoi faire un épisode de 2h25 avec ce film. Ce qui déçoit cruellement après la qualité étonnante du sixième volet.
On tombe même bien bas avec une scène de danse absolument ridicule entre Harry et Hermione, sous une tente, dans la forêt. Une scène si ridicule que la salle en a ri aux éclats (ou était-ce parce que les autres la trouvaient véritablement drôle ??), et que l’adolescente placée derrière moi s’est tout à coup crue dans son salon et s’est mise à commenter la séquence pour ses copines. « Ah nan mais ils sont trop ridicules là ! Ils dansent pas en rythme c’est n’importe quoi ! Nan mais ils dansent trop vite ! ». Un petit quart d’heure plus tard (ou était-ce une heure ? j’ai perdu la notion du temps dans ce film…), Harry doit plonger dans un lac gelé pour récupérer une épée. Et allez, on enlève le froc et le haut, et voilà notre Harry en caleçon devant une salle médusée et grondant d’excitation (souvenez-vous, majorité d’adolescentes). Un mec à poil dans la forêt pour des gamines excitées, non nous ne sommes pas dans Twilight, mais on s’y croirait presque. Ma voisine de derrière s’est pour l’occasion de nouveau lancée dans une série de commentaires de salon : « Naaaan, il va pas y aller ! Il est fou moi j’irais pas ça doit être glacé ce truc ! [Harry plong dans l’eau] Naaaaaan il le fait !!!!! ». Au moment où je m’apprête à lui lancer un petit « Ta gueule » bien placé, elle se tait, me coupant dans mon élan.
Lorsque le générique surgit à la fin et que les lumières se rallument, ma petite voisine de derrière n’attend pas une seconde pour balancer « J’ai trop kiffé. Je les kiffe tous de toute façon. Je crois que je kifferais tous les films jusqu’à la fin ». Moi ce que je retiendrai surtout de cette spectatrice c’est une chose qui n’a pas semblé gêner ses copines qui n’ont jamais moufté à ma grande surprise. Car moi, pendant tout le film, je n’ai pas arrêté de l’entendre roter. Oui, vous avez bien lu. Oh bien sûr, pas à gorge déployée. C’étaient des éructations contrôlées, bouche scellée avec échos caverneux. Un son inimitable et parfaitement reconnaissable, que la jeune fille n’a cessé d’essayer de retenir tout au long du film. Toutes les 8 ou 9 minutes, ce bruit si étonnant résonnait dans mon dos. Ce serait ça, l’effet Harry Potter sur les adolescentes ?
Sorti de la salle, séparé de mes amis partis voguer vers d’autres eaux, et avec deux heures libres devant moi, j’ai regardé s’il n’y avait pas un film commençant dans le quart d’heure qui pourrait m’intéresser. J’ai décroché le gros lot avec Date Limite, que je n’avais toujours pas vu et qui me promettait une bonne tranche de rire après la déception Potter. La projection de la nouvelle comédie de Todd Phillips, qui a connu un succès inattendu l’an passé avec le délirant Very Bad Trip, fut surtout émaillée de mes rires. Quiconque est déjà allé au cinéma avec moi sait que lorsque l’humour est à mon goût, je peux être… comment dire… très expressif. Et comme j’ai le chic pour rire de choses qui ne font pas forcément rire tout le monde… il arrive que les autres spectateurs soient surpris. Mes voisines de devant en ont fait le constat devant Date Limite. Phillips réussit un nouveau road movie débridé qui reprend parfois un peu trop facilement des ficelles de Very Bad Trip pour le récit et les gags mais s’avère tout de même franchement hilarant à plusieurs reprises. Et j’imagine très bien que les deux ados devant m’ont vite catalogué dans la catégorie « Mec bizarre » lorsqu’elles se sont tournées vers moi alors que j’étais pris de spasmes assez incontrôlables de rire et que je me tapais la tête contre mon siège (non je ne suis pas un monstre).
Mais ce qui m’a fait rire aussi à cette séance de Date Limite, c’est une fuite d’eau qui avait lieu dans la salle. Non non, pas une fuite d’eau inopinée, mais une fuite d’eau qui était déjà en cours avant que la séance ne commence. Un goutte-à-goutte tombait du haut plafond sur un petit groupe de sièges au fond de la salle. Sur le coup, en entrant je n’avais pas remarqué. J’ai tendance à descendre directement vers le 5ème ou 6ème rang, et ce qui se passe au 12ème rang m’importe peu. Mais là, je me suis à un moment tourné pour voir s’il y avait du monde, et j’ai alors vu dans le reflet des lumières des gouttes tomber du plafond sur des sièges couverts de sacs plastiques. Ahurissant. Avec autour, des spectateurs qui s’apprêtaient à passer tout le film avec le bruit du goutte-à-goutte et pour certains, ceux qui se trouvaient derrière la fuite, l’eau traversant l’écran dans leur champ de vision. Si la salle avait été pleine, je les aurais peut-être plaints, mais là, il y avait largement assez de places libres pour qu’ils se redéployent ailleurs, où l’herbe était plus sèche.
Après un repas pour me remettre de ces deux premiers films et une tentative improvisée (et avortée, devant le monde) de voir le Raiponce de Disney au Grand Rex en VO, j’ai terminé ma journée ciné à 22h, devant l’Espace Saint-Michel, à attendre dans le froid que les portes s’ouvrent pour la séance de Destination Himalaya de Jeon Soo-il, réalisateur de La petite fille de la terre noire. A cette heure-là, dans cette salle-là, les spectateurs sont épars. Trois coréens quinquas ayant l’air un peu éméchés s’arrêtent pour regarder l’affiche, s’amusant de voir à l’affiche à Paris ce petit film coréen qu’ils ne connaissent peut-être pas (mais reprennent leur chemin pour remonter le Boulevard Saint-Michel.
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin. Mieux que les ados parlant et rotant, mieux que la fuite d’eau pendant le film, j’ai rencontré pour vous, samedi soir, une cinémaniaque vivant un grand moment de solitude. Elle était placée juste devant moi et mon amie. Nous attendons tous que le film commence. Juste derrière nous, un couple de sexagénaires discute en anglais, elle avec un accent new-yorkais, lui un accent français. Tout à coup la lumière s’éteint, le générique de début commence, le couple de derrière continue à parler. Ma cinémaniaque, plus toute jeune elle non plus, décolorée rousse, lance un « CHUT » puissant leur étant clairement destiné. Effet de silence immédiat. Mais quelques instants plus tard, c’est un couple de trentenaires qui entre en salle en parlant (l’entrée se fait juste à côté de l’écran), et à peine ont-ils le temps de mettre un pied dans la salle et de constater que le film commence que notre cinémaniaque qui a clairement pris le contrôle de la salle leur crie « Vous pouvez vous taire s’il-vous-plait ! ». Les deux ne mouftent pas et se calent le rang devant elle, sur la droite.
Le film se déroule alors tranquillement. Un premier acte calme, zen, une déambulation d’un coréen à travers monts et vallées rocailleuses d’Himalaya, en silence. Ca y est, très vite, mon couple de sexagénaire, dans mon dos, perd pied. J’entends monsieur sombrer dans une série de ronflements peu discrets qui me fait me retourner, ce qui le réveille aussitôt. Le film trouve son rythme en confrontant notre héros coréen à une népalaise à laquelle il n’arrive pas à avouer qu’elle est veuve, que ce mari qu’elle attend ne reviendra pas de Seoul où il est mort en tentant d’échapper à la police. C’est Choi Min-Sik, l’acteur de Oldboy, qui incarne ce coréen qui s’installe alors tel un vacancier chez la veuve en attendant de trouver les mots pour lui avouer la vraie raison de sa présence. J’ai beau me plonger sans peine dans cette belle rencontre, mon sexagénaire replonge lui dans les ronflements, ce qui amuse d’autres spectateurs mais m’agacent d’autant plus que je constate que sa compagne est elle aussi en plein sommeil. Mais heureusement, mes protestations le réveillent, et il ne sombrera plus.
Le spectacle aura finalement lieu devant moi, avec ma fausse rousse de cinémaniaque. La scène, je la vois venir, mais elle est tellement énorme que je n’y crois pas. A l’écran, Choi Min-Sik se repose dans un lit, la caméra est fixe sur lui. Un bruit d’instrument se met alors à résonner sur notre droite. A l’évidence, le son provient de l’enceinte perchée sur le mur droit, mais notre cinémaniaque rousse, absorbée par le sommeil de Choi Min-Sik, et ne voyant aucun instrument de musique à l’écran, remue sur son siège. Je la vois au bout de quelques secondes se pencher en avant et regarder du côté des trentenaires retardataires, qu’elle a à l’œil depuis le début du film car ils ont une nette tendance à se murmurer des choses à l’oreille pendant le film. C’est énorme, elle ne va pas le faire !? Mais si, elle le dit. La cinémaniaque balance sèchement à ces voisins de devant « Vous pouvez arrêter avec votre bruit là ?! », à quoi le mec lui répond, évidemment, tout aussi sèchement « C’est dans le film ! ». Je ne peux résister, j’ai un petit pouffement de rire. Le plan fixe se fait alors mouvant, et la caméra se tourne vers la droite, révélant un vieil homme jouant d’un instrument qui émet ce son si particulier. J’aurais voulu voir la tête de ma cinémaniaque lorsqu’elle comprend son erreur. Je l’entends simplement émettre un léger « Oh… ». Toute la salle l’avait entendu balancer sa remarque, et toute la salle émet alors un petit ricanement.
La passion l’aura aveuglée, difficile de lui en vouloir. Mais nul doute que cette scène l’aura plongée dans un grand embarras : on ne l’a alors plus entendue de tout le film. Il n’est jamais trop tard pour rencontrer une nouvelle cinémaniaque que la maladresse rend touchante, et avec elle s’est achevée cette longue et presque folle journée dans les salles, que les mésaventures ont rendue encore plus savoureuse. Les rencontres sont infinies dans les salles de cinéma parisiennes.