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Ciné : "Pieds nus sur les limaces" de Fabienne Berthaud

Par Jango


La semaine dernière, plusieurs blogs (dont Cineshow) ont été invités à une rencontre bien sympathique avec Fabienne Berthaud et Ludivine Sagnier, respectivement réalisatrice et actrice de Pieds nus sur les limaces, en salles ce mercredi (critique -très positive- à venir dans les jours prochains)
Échange de bons procédés, le compte-rendu est de Thomas (Rob Gordon) - un grand merci à lui ; tandis que les photos, de moi (ne vous étonnez donc pas de retrouver les mêmes réponses sur son blog )
Les questions posées ne sont pas nominatives pour nos confrères (l'intérêt n'étant pas là) mais sont selon tout vraisemblance complètes, témoignant avec fidélité de cette table ronde des plus conviviale.

Synopsis :

Lily, drôle, exubérante et insaisissable, vit dans un univers fantaisiste en harmonie avec la nature, à la campagne, chez sa mère.
Sa grande soeur, Clara, mariée et citadine, a quitté la maison familiale.
A la mort de leur mère, Clara doit bouleverser ses priorités pour s’occuper de Lily.
Les deux sœurs vont alors se révéler l'une à l'autre…
Clara sous l’influence de Lily va remettre sa vie en question et goûter a une certaine liberté...
Ludivine Sagnier et Diane Kruger. Haut et Court
Au fond, Clara et Lily ne constitueraient pas les deux facettes d'une même femme ?
Fabienne Berthaud - C'est exactement ça. Quand j'écrivais le scénario, je passais mon temps à me dire qu'elles n'étaient qu'une. C'est comme un jeu de miroirs à tel point que pendant l'écriture j'ai fini par me demander si les deux personnages ne devaient pas être interprétés par la même actrice.
Comment s'est passé le choix des actrices ?
F.B. J'avais laissé le choix à Diane d'interpréter l'un ou l'autre des rôles, même si elle était évidemment plus faite pour le rôle de Clara. Puis Mademoiselle [elle désigne Ludivine] est arrivée et elle s'est imposée toute seule.
Le film est très librement adapté de votre propre roman, beaucoup plus noir et torturé. Vous n'en avez gardé que les personnages principaux, quelques idées et quelques lieux...
F.B. La littérature et le cinéma n'ont absolument rien à voir. Ça ne m'intéressait pas du tout d'adapter mon roman tel quel. En revanche, il y avait plein d'ingrédients que j'avais envie de fouiller davantage. Je voulais partir d'un matériau sombre pour aller vers quelque chose qui fait du bien. Peut-être que c'était un peu égoïste, que moi aussi j'avais envie de me faire du bien en allant explorer ces pistes.
Dans la vie il y a des bons et des mauvais moments, et c'est sur ces derniers que j'insistais dans le livre. D'autant que tout y était raconté du point de vue de Clara, personnage apparemment plus grave que Lily. Dans le film, en mélangeant les points de vue des deux soeurs, je voulais rendre l'ensemble plus équilibré. Et puis je voulais m'amuser un peu plus avec le personnage de Lily en y intégrant toute la liberté nécessaire pour me permettre de lui faire dire ces choses qu'on tait par habitude. Le roman est une sorte de tunnel qui tourne très régulièrement autour des pulsions meurtrières de Clara ;  je voulais en tirer un film plus fantaisiste, moins torturé.

Comment avez-vous écrit le personnage de Lily ?
F.B. J'ai rencontré une jeune femme ressemblant à Lily, affectée d'un mal plus profond encore, qui s'accompagnait d'une incroyable liberté. Une liberté de vivre l'instant et de ne pas s'embarrasser du carcan de notre éducation, des convenances. La fascination du personnage pour la nature et les animaux morts est un ajout de ma part. En revanche, la personne dont je me suis inspirée peignait beaucoup.
Ludivine Sagnier - Je disposais de pas mal de matière pour travailler Lily, puisque le scénario était extrêmement précis. Quand j'ai demandé à Fabienne si je devais m'inspirer de personnes présentant des difficultés psychologiques, elle m'a dit « Non, surtout pas. ». Ce qui nous a réunies, c'est notre envie de voir en quoi Lily était normale et humaine, pas en quoi elle était marginale. Ce sont les situations vécues qui la mettent d'emblée en décalage, et il ne me restait alors qu'à trouver la part de pureté du personnage.
J'ai cherché à la rendre complètement normale : cela la rend d'autant plus attachante et permet de s'interroger sur la notion de normalité. Pour cela, il fallait qu'on ne sache jamais vraiment si Lily est dérangée ou non. Tout ce que l'on sait, c'est qu'il est impossible de la ranger dans une case, et c'est bien suffisant.
Se crée aussi un processus d'inversion qui fait qu'au départ Lily semble anormale alors qu'elle n'agit que comme un révélateur de certains maux et hypocrisies d'une société pas si normale...

F.B.
Lily est faite d'excès, mais ce sont des excès sains : elle se révolte contre des injustices du quotidien, n'occulte pas la notion de la mort...
L.S. Il n'y a que dans notre société européenne que la mort est vue de manière aussi tragique. Ailleurs, la mort peut aussi être vue comme une fête. Lily a une façon très saine de réagir face à la mort. Même sa pratique de la taxidermie est joyeuse, pas du tout morbide. Elle répond à ses angoisses par la joie de vivre.
Lily a aussi un rapport très simple avec les choses de l'amour...
F.B. Il lui arrive de coucher « pour rendre service ». Elle affirme d'ailleurs que « si on a un corps, c'est pour s'en servir ». Ça peut se discuter, certes, mais elle a le mérite de ne pas s'embourber dans de vieilles convenances.

Il y a une grande liberté de ton et de mouvement dans le film. Le tournage en vidéo a-t-il facilité les choses ?
F.B. Bien entendu. Mon parti pris était de filmer caméra à l'épaule, sans lumière, avec une équipe technique réduite au minimum. J'ai choisi la HD non pas parce que je ne peux pas tourner en 35mm ou autre, mais parce que je m'y refuse. J'ai besoin d'avoir la caméra avec moi, comme une caméra-stylo. La chef op en avait également une. Même si tout est écrit, j'ai besoin d'avoir l'impression de tourner un documentaire. Je n'aime pas trop fixer les choses avec les acteurs, le but est de les déstabiliser pour en obtenir le meilleur.
L.S. Souvent, avec Fabienne, c'était : « tu commences là, ton objectif dans cette scène est le suivant ». Certaines scènes qui faisaient quatre lignes dans le scénario ont donné des plans-séquences de 22 minutes. Il y avait beaucoup d'improvisation dirigée.
F.B. C'est ce que j'appelle des scènes de feeling : elles ne sont pas fixées à l'écriture, car je sais que c'est sur le tournage que je dois aller trouver les intentions et les objectifs des personnages de manière spontanée. Je mets un point d'honneur à ne pas les préparer.

Vous êtes-vous appuyée sur des références pour tourner ce film ?
F.B. Pas vraiment. Étant donné que le film s'inspire de mon propre livre...
L.S. [la coupe] Tu avais quand même tes propres références, même si elles n'étaient pas cinématographiques... Raconte-leur.
F.B. En fait, avant de tourner, je remplis un énorme cahier où chaque page correspond à une séquence avec des cadrages, des couleurs, des attitudes, des positions, des matières. Le matin, quand je tourne, je n'ai plus qu'à m'y référer.
L.S. C'est une sorte de storyboard sensoriel. J'ai beaucoup aimé travailler comme ça : ce sont des indications ni psychologiques ni visuelles, mais ce sont des étapes non figées nous permettant d'avancer en confiance. C'est la première fois que je travaillais comme ça et c'était absolument génial.

Comment s'est passé le travail avec la chef op ?
F.B. Ça a démarré par une rencontre avec une femme, Nathalie Durand, qui aborde son métier de façon magnifique : elle n'impose pas la lumière qu'elle fait, mais se met toute entière au service d'un film. Ce n'est pas si fréquent. Elle a accepté que je prenne également une caméra et que je filme tout comme elle. Quand je l'ai rencontrée, je lui ai dit : « je cherche un chef op qui ne fasse pas de lumière ». Je déteste la lumière. Elle a commencé par me regarder bizarrement, et puis elle a compris. Le vrai chef opérateur, c'était le soleil, et on choisissait nos heures de tournage en fonction de ce qu'on recherchait. C'est l'avantage de tourner dans peu de décors différents : si tout à coup la lumière devient belle, idéale, on peut remettre des choses à plus tard et aller tourner un autre plan à la place.
Pour les intérieurs, elle a travaillé de façon très discrète, en intégrant la lumière dans le décor. On a choisi ensemble les lampes idéales, les bonnes ampoules, et le tour était joué.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur le scénario avec Pascal Arnold, excellent coauteur de Jean-Marc Barr notamment ?
F.B. Pascal est mon meilleur ami, on se connaît depuis qu'on est petits. Comme je n'aime travailler qu'avec les gens que je connais bien, je l'ai appelé à la rescousse après avoir écrit la deuxième version du script. On s'est beaucoup amusés. Contrairement à moi, il est très clair sur la façon de structurer un récit. C'était une belle collaboration.
Après Frankie, vous retrouviez Diane Kruger, devenue star en France et à Hollywood. N'avez-vous pas eu peur qu'elle ne colle plus à votre univers ?
F.B. Non, car je la vois régulièrement depuis que je la connais et je sais que Diane est toujours la même. On a beaucoup discuté du film, elle a lu plusieurs versions, on se parlait sans arrêt... Et puis j'aime emmener les gens là où ils ne vont pas. Diane a une carrière dont certaines facettes ne me parlent absolument pas, mais je ne m'arrête pas là : ce qui m'intéresse avant tout, c'est la Diane que je connais. Beaucoup de gens pensent qu'elle est une star glamour, froide...
L.S. [la coupe] ...alors qu'elle est très très chaude. (rires)
Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en mai dernier. Quel est votre souvenir de cette expérience ?
F.B. C'était un rêve. Personne n'avait encore vu le film, le mixage était à peine terminé, c'était déjà décrocher la lune que d'être à Cannes... Alors recevoir un prix, c'était la consécration. Mais c'est surtout l'accueil qui m'a enchantée : on était plutôt satisfaits du film, mais comment être sûrs qu'il allait faire rire ou toucher les gens ? Sentir cette salle pleine qui réagissait au contact des personnages, puis assister à une standing ovation de dix minutes, on ne peut pas y être insensible. Je ne revivrai peut-être plus jamais ça de toute ma vie, mais ce n'est pas grave.
Vous avez tourné Frankie sur 3 ans, avec une caméra et zéro budget. Quelle expérience en avez-vous tiré pour tourner Pieds nus sur les limaces ?
F.B. Aucune. On recommence toujours à zéro. C'est mon deuxième premier film. Disons qu'au lieu de faire un film à deux, j'ai fait un film à quinze. Ça change quand même beaucoup de choses.

L.S.
Sauf que pour Diane et moi, c'était le tournage le plus dépouillé que nous avons vécu depuis des années. On se sentait tellement libres... On dormait réellement dans la maison du film, on mangeait dans la cuisine... J'ai même fait de la couture comme Lily. Le slip en peau du film c'est moi qui l'ai vraiment fait.

La bande originale colle idéalement aux envies de nature de Lily...
F.B. Il m'est arrivé une histoire incroyable. Un soir, dans un bar, on m'a présenté Michael Stevens, le compositeur des derniers films de Clint Eastwood, qui m'a demandé de lui montrer des images de mon film. J'ai d'abord refusé en lui faisant comprendre que nous n'avions pas les mêmes valeurs, en clair qu'il était trop cher pour moi. Mais il a tellement insisté que j'ai fini par céder, et il est venu s'installer devant le film avec ses instruments pour improviser des choses. Il a fini par s'installer dans la cave de la production, et il a fait sa musique tout seul, comme dans un petit atelier musical. Il a ensuite fait venir ses amis, dont un musicien néo-zélandais qui a apporté le côté années 70 de certaines séquences.
La musique de fin, c'est le norvégien Thomas Dybdahl, un type génial que je vais bientôt voir en concert à la Maroquinerie.
Imaginez-vus continuer à tourner avec des équipes réduites ou pensez-vous vous tourner vers autre chose ?
F.B. Je n'ai aucun plan de carrière. Chaque film a sa grammaire. Là, j'hésite actuellement entre deux sujets qui me plaisent bien. Je vais aller me balader. Partir toute seule, aller voir un peu du pays avec mon petit sac à dos. On verra ce qu'il en sort.


Sortie officielle française : 1er décembre 2010
 


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