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La vie dans la plus dangereuse prison d’Afrique

Publié le 02 décembre 2010 par Africahit

De décembre 2007 à mai 2009, soit pendant 497 jours, le reporter Jean-Paul Ney  a été retenu en otage par le président ivoirien Laurent Gbagbo. Le reporter était parti sur place pour couvrir un probable coup d’état qui pesait sur le régime ivoirien. Pour les besoins de son investigation, il avait suivi une équipe de mercenaires français chargés de liquider Laurent Gbagbo et de placer au pouvoir l’opposant politique Ibrahim Coulibaly. Alors qu’il devait rejoindre les unités de la rébellion dans le nord du pays, Jean-Paul Ney et son guide ont été enlevés par les escadrons de la mort de Laurent Gbagbo. Ces derniers ont été portés disparus pendant plusieurs heures. Après avoir été torturés et menacés d’exécution, ils ont été envoyés dans les géoles de la DST ivoirienne puis, un mois après, à la MACA, la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, l’une des pires prisons d’Afrique, ils y connaitront la faim, la peur, les exécutions sommaires mais aussi une très grande solidarité. Jean-Paul Ney (grand reporter et fondateur du site lesgrandesoreilles.com) a décidé de publier son enquête extraite de l’ouvrage qu’il est en train d’écrire.

Témoignage et photos exclusives: Il a pu se procurer un carnet et un appareil photographique, exerçant alors son métier au cœur même de l’enfer et au péril de sa vie à chaque photo, à chaque mot noté sur le carnet…

La vie dans la plus dangereuse prison d’Afrique
J’ai mal, j’ai très mal. Je ne sais pas par quel miracle je tiens debout, mon nez me fait encore souffrir et je pense avoir une côte cassée. Je fixe fortement mes mains sur une barre en métal, des grands yeux par dizaine me fixent comme on scruterait un gros poisson rapporté à terre. Je suis le seul blanc à bord de la « bétaillère », un gros camion jaunâtre dans lequel nous sommes entassés, compressés comme des animaux, il y a des gars partout, même au plafond, allongés entre les barres de fer. La majorité tient debout, ceux qui ont été passés à tabac sont allongés à même le sol. La chaleur, l’odeur nauséabonde et le manque d’air frais me portent à la limite du malaise, envie de vomir en prime. Nous devons être une bonne soixantaine dans ce « camion-poubelle » de l’administration pénitentiaire ivoirienne, qui devrait logiquement n’en contenir qu’une dizaine tout au plus.

Cette nuit sent mauvais, j’ai le sentiment d’aller tout droit en enfer, des gémissements se font entendre dans la bétaillère, ils souffrent au sol, sans un frère pour les secourir : chacun a déjà ses propres problèmes…

La vie dans la plus dangereuse prison d’Afrique
Ca fume, si on rajoute à ça l’odeur du gazole et de la circulation – qu’on devine grâce aux sons et aux à-coups du chauffeur – la nausée est vite arrivée. Je suis trempé de sueur, je sens très mauvais, je le sais, c’est insupportable. Un type à ma droite me regarde fixement depuis quelques minutes, il s’approche de moi et me dit « on va te bouffer là-bas, puis on va te faire le cul, prépares toi petit blanc »…

La MACA, maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, l’une des plus dangereuses et l’une des pires d’Afrique est un véritable mouroir où la justice ivoirienne entasse les combattants rebelles – à majorité musulmans – ainsi que les bandits de grands chemins et autres assassins. Pourtant dans ce grand village, où tout s’achète, se retrouvent aussi des homosexuels, pédophiles, drogués, petits voyous à l’arrache et surtout, une grande majorité de pauvres, dont le seul recours pour survivre a été de voler un fruit ou un morceau de pain.

La première chose qui marque c’est l’odeur, une odeur qui imprègne les murs, les vêtements et s’incruste dans la peau, une odeur d’humidité, de pisse et d’excréments, se mélange aussi chaque jour à cette odeur l’effluve du riz pénal et de sa sauce, un mélange immonde cuisiné dans des conditions d’hygiène déplorables, que mangent pourtant quelques 1500 personnes pour vivre, mais ce riz tue à petit feu…

Le reporter Jean-Paul Ney dans sa cellule à la prison d'Abidjan
Nous sommes « officiellement » 5800 prisonniers – sans compter les oubliés – pour 1500 places, la surpopulation est la première cause de maladies, de violences et d’agressions sexuelles. Dès les premiers jours j’ai décidé de faire ce reportage à mes risques et périls. Bien qu’interdit de quitter le bâtiment des « assimilés », sorte de carré VIP qui n’a de VIP que son nom, j’ai pu très vite disposer d’une relative liberté pour aller visiter les malades et surtout enquêter dans la plus grande discrétion au cœur de la prison. Face à moi, le bâtiment B, celui des prévenus, c’est-à-dire des personnes dont la détention provisoire s’avère nécessaire à la manifestation de la vérité pendant la durée de l’investigation, hors, j’ai croisé des détenus dont la détention, dite provisoire, dépasse les 5 ans et peut aller jusqu’à 10 ans, comme le dit Armand « nous sommes les oubliés, moi-même la justice ne sait plus que je suis ici, mon dossier a disparu et je n’ai pas d’argent pour prendre un avocat, je suis ici pour une affaire de vol, tous les jours pour survivre je vends des légumes et des condiments, sinon je serais obligé de manger le riz pénal qui rend malade ».

Armand n’est pas seul, Moussa est un chauffeur malheureux qui a embouti une voiture a un carrefour, cela fait cinq ans qu’il attend un jugement… Les exemples sont nombreux, les injustices se comptent par milliers, tout comme l’affaire de Bamba, un jeune « majeur-mineur » c’est-à-dire plus assez mineur pour être logé dans le bâtiment des mineurs, mais assez grand pour affronter le monde sans pitié de la vraie prison. Bamba se prostitue depuis quelques mois, il est logé au 4e étage, là où sont parqués tous les jeunes de son âge. « moi et mes amis avons été raflés par les gendarmes, on nous a dit que nous étions des rebelles et que nous préparions un coup d’Etat, depuis, je suis là, et le greffier demande 300.000 Francs CFA (458€) à ma famille pour que je sorte… ». Bamba est rentré dans le système du pire pédophile de la Maca : Django. Ce « chef-pédophile » comme le nomment les pasteurs évangéliques est chez lui ici depuis plus de dix ans. Multi condamné, Django accueille les jeunes majeurs dès leur arrivée : « il m’a proposé sa protection, un matelas, de l’eau pour me laver, de la véritable nourriture et non pas le riz pénal. En échange, je devais coucher avec lui et être ‘sa femme’. Lors de la mutinerie de décembre 2008, Django sera battu à mort par cinq gendarmes devant une centaine de témoins, dont « ses femmes ».

Jean-Paul Ney



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