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« L’Hôtel du Bon Plaisir » de Raphaël Confiant paru en poche

Par Sumba

Bons plaisirs de Martinique

Baroque, postmoderne, carnavalesque… Les qualificatifs, souvent contradictoires, ne manquent pas pour décrire l’écriture de Raphaël Confiant. C’est que les cortèges de personnages qu’il dépeint, avec toute la démesure des existences martiniquaises, ont de quoi dérouter un lecteur non averti. D’autant plus que de roman en roman, il affine le savant alliage de français et de créole qui depuis l’écriture de L’Eloge de la créolité est devenu sa marque de fabrique ainsi que celle de Patrick Chamoiseau. L’Hôtel du Bon Plaisir, son avant-dernier roman qui vient de paraître en poche, ne déroge pas aux préceptes définis par le manifeste : à travers l’histoire d’un édifice au nom aguicheur, il nous offre une immersion complète dans l’âme créole.

« L’Hôtel du Bon Plaisir » de Raphaël Confiant paru en poche

Contes, légendes, films d’horreur : nombreuses sont les production populaires qui prennent une habitation pour sujet principal, et qui la chargent de pouvoirs magiques ou maléfiques. Car la maison, tout comme n’importe quel monument, est un repère collectif autant qu’individuel, apte à fédérer l’imaginaire d’une communauté. Aussi, quand Raphaël Confiant décide de raconter l’histoire d’un logement, on se doute bien que cela sera prétexte à évoquer les destins de quelques « bougres », « djobeurs » et autres pauvres hères du « pays de Martinique ».

En effet, à travers les locataires improbables de l’Hôtel du Bon Plaisir, c’est l’essence de Fort-de-France, « haut-lieu de la fripouille et des rêves incendiés », qui est dévoilée. Man Florine la charbonnière, maître Dorimont l’avocat déchu et Romuald Beausivoir « l’entrepreneur en travaux divers » forment, avec tous leurs voisins, un canevas romanesque à même de représenter le grand métissage qui caractérise la Martinique. Tous d’origines, de parcours et de personnalités différentes, ils se retrouvent sous le même toit, victimes de l’histoire heurtée du pays.

Alors leurs vies se croisent, se rencontrent et donnent lieu au tissu d’intrigues et d’anecdotes qui composent un récit à la structure aussi décousue que la vie. Le narrateur, que l’on peine toujours à identifier, passe d’un personnage à l’autre, sans se soucier des répétitions ni des contradictions qui jalonnent le roman. Car c’est là, avec la créolisation du français, un des traits marquants de la poétique créole dont Raphaël Confiant est un maître illustre. La parole du conteur, autre élément central de la créolité, se fait aussi entendre, bien que plus discrètement que dans certains autres romans du même auteur.

Et ce conteur caché, à travers sa narration fragmentée, il vient nous révéler, tout doucement, les secrets de chaque figure de l’Hôtel du Bon Plaisir. Car si certaines choses persistent à la misère, ce sont les rêves enfouis dans les têtes meurtries. La nécessité de la parole s’impose alors, contre le silence et l’oubli qui freinent tout progrès social. L’histoire du bâtiment, qui interrompt souvent le récit principal, va aussi dans le sens de cet appel à la mémoire. Car passant d’hôtel des pauvres à « boxon » sordide au gré des désirs de son propriétaire corrompu, l’édifice est aussi le témoin privilégié d’une histoire riche en guerres et en injustices. Et contre toute cette absurdité, un seul remède : une écriture « enflée, extravagante », capable d’exprimer l’humanité martiniquaise, « cette immense cacophonie de révolte, de rires, de sang, de sueur, de délires, de folie ».

Raphaël Confiant, L’Hôtel du Bon Plaisir, folio, sept. 2010, 307 p., 6,60 €.
Article paru dans Témoignage chrétien le 02/12/10


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