Au bout de la calle de mezo...

La grande lumière effleure à peine les canaux par quelques éclats de biais, sans en entamer le vert froid. Mais il y a des campi très vastes - le Campo San Polo, le Campo Santa Margherita, ce Campo Santa Marta où l'herbe pousse dans les fissures du vieux pavé - tout étalés au soleil comme des aires de campagne dont on viendrait de retirer le blé. Et ce Campo San Giacommo dell'Orio aux innombrables embouchures. Il est si largement déployé autour de sa petite église, et si irrégulièrement prolongé de tous les côtés, contournant un canal, avançant vers une salizzada, gagnant encore du soleil entre l'abside et de petites maisons aux crépissages dorés. Du côté où ses arbres abritent, l'hiver, des manèges bariolés, il résonne de voix et, de temps en temps, du roulement de patins sur les dalles, tandis que devant la façade de l'église, autour de la vigne d'une trattoria où quelques vieux du quartier boivent leur verre, le pavé nu mûrit paisiblement au soleil. L'église, basse, simple comme une grange, paraît offrir une entrée à chacune des petites places incluses dans la grande si vivante. À chaque fois, je m'y perds, charmée par l'aisance de ces détours qui gagnent le plus possible de lumière sur l'ombre des quartiers environnants, et sans jamais comprendre par où j'y suis entrée, ni de quel côté j'en vais ressortir - vers la fraîcheur de quel sotoportego, ou de quelle calle plongeant au bout de ses marches luisantes dans un canal vert de plomb.Liliana Magrini, Carnet Vénitien. AU BOUT DE LA CALLE DE MEZO...