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Anthologie permanente : Alexandru Muşina

Par Florence Trocmé

 
Le kilomètre 0 
 
Rien que des sons et des couleurs, débris d'avant 
La Grande Suture. Ceux sur lesquels les tanks 
Sont passés ont été absorbés par l'asphalte: atome par atome 
Ils sont entrés dans nos maisons. Nous-mêmes, sans le vouloir, 
Nous les avons pris sous la semelle de nos chaussures 
En nous embrassant ou en nous dépêchant 
Pour prendre le métro. Là où il y a eu du sang 
Il y a des livres, là où il y a eu de la transpiration effrayée 
Il y a l'odeur de viande grillée et de kebab, ceux qui ont pleuré 
Sont devenus terre, os, caillots de sang, 
Ceux qui ont tué encrassent les télévisions, ceux qui ont vendu 
Et acheté montrent leurs dents dans les journaux. Un après-midi  
Chaud et limpide avec T. qui m'a dit: « Je pars! Je pars. 
C'est plus possible ici! Au moins là-bas je pourrai me promener 
D'un lieu à un autre. Au moins là-bas, 
Leurs déodorants sont meilleurs. » Je savais 
Que je ne le reverrai plus jamais, j'ai laissé  
Passé trois trolleybus, 
Puis je lui ai dit: « C'est comme ça, mon vieux. Bonne chance! Moi, je reste. » 
                                     Des débris et des sons 
Et des couleurs, des milliards de caillots de sang 
Rassemblés sur le cerveau, là 
Où la transpiration de la peur a été, il y a maintenant la fumée de saucisses et de kebab, 
Là où le sang a été, il y a des livres et des fleurs et des cartes postales, 
Là, à la place des fleuves de Babylone, il y a une simple bande d'asphalte, 
Sur laquelle passent en vitesse des voitures, des trolleybus  
Là où mes amis sont morts il y a une simple porte en l'air 
Par laquelle nous passons sans le savoir, soir après soir. 
 
• 
 
Le roi du matin 
 
Ici, je suis seulement moi, un petit roi matinal. 
Un empereur aux yeux embrumés. 
 
Ici, c'est moi qui commande. Je fais ce que je veux: 
Je peux me lever du lit. Me laver 
Le visage, les dents. Ou pas. 
 
Ici, un animal démesurément grand 
N'obéit qu'à moi. Je fais ce que je veux: 
Je peux fermer les yeux, le laisser partir. Ou pas.  
 
Ici, je suis seulement moi. Un roi transparent du matin. 
Un empereur aux yeux de brume.  
 
• 
 
L'Archipel 
 
Un rouge archipel a encore poussé 
Sur ma peau. Seraient-ce les archanges  
Des cellules? Mécontents. Seraient-ce les daïmons 
Du foie, de la rate? Seraient-ce les petits dieux 
Des vaisseaux sanguins? 
 
Je porte avec moi un animal géant, 
Un continent, une galaxie. Personne ne sait véritablement 
Ce qu'il s'y passe. De temps en temps, 
Je reçois des signes: une dent trouée, un bleu, 
Un rouge archipel sur ma main gauche. 
 
Personne ne sait véritablement qui 
En est le maître. Je prie, les uns après les autres : les archanges, 
les daïmons, les petits dieux, les grands dieux des méninges... 
M'écoutent-ils? Personne ne le sait.  
 
J'avance, j'avance, les yeux ouverts. Rêvant 
D'un animal géant, d'un continent, 
D'une galaxie. J'avance, j'avance. De temps en temps 
Je m'arrête. Je regarde le rouge archipel, 
Je ferme les yeux. J'entends les oiseaux dehors. 
J'entends les voitures passant au loin.  
 
J'entends mon coeur battant. Le coeur 
D'un animal géant, d'un continent, 
Le coeur d'une galaxie en gélatine.  
 
 
Alexandru Muşina, traductions inédites du roumain de Fanny Chartres 
 
(Fanny Chartres) 
 
 
bio-bibliographie de Alexandru Muşina 
 
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Kilometrul 0 
 
Doar sunete şi culori, cioburi de dinaintea 
Marii Suturi. Cei peste care-au trecut 
Tancurile s-au impregnat în asfalt: atom de atom 
Au intrat în casele noastre. Noi înşine, fără să vrem,  
I-am luat pe talpa pantofului 
În timp ce ne sărutam, sau grăbiţi 
Să prindem metroul. Acolo unde-a fost sînge 
Sînt cărţi, acolo unde-a fost transpiraţie înfricoşată-i 
Miros de mititei şi kebab, cei care-au plîns 
Sînt pămînt, sînt oase, sînt cheaguri de sînge, 
Cei care-au ucis îmbîcsesc televizoarele, cei care-au vîndut 
Şi au cumpărat rînjesc în ziare. O după-amiază 
Caldă şi limpede cu T., care mi-a spus: „Plec! Plec. 
Nu se mai poate aici! Măcar acolo am să mă plimb 
Dintr-o parte în alta. Măcar acolo 
Au deodorante mai bune.” Ştiam 
Că n-o să-l mai văd niciodată, am lăsat  
Să treacă vreo trei troleibuze, 
Apoi i-am spus: „Asta-i, bătrîne. Noroc! Eu rămîn.” Cioburi şi sunete  
Şi culori, miliarde de cheaguri de sînge 
Adunate pe creier, acolo 
Unde-a fost transpiraţia fricii acum e fum de mici şi kebab, 
Acolo unde-a fost sînge sînt cărţi şi flori şi ilustrate, 
Acolo unde-am stat şi am plîns e o simplă bandă de-asfalt, 
Pe care trec în viteză maşini, troleibuze, 
Acolo unde prietenii mei au murit e o uşă în aer 
Prin care trecem fără să ştim seară de seară. 
 
 
 
Regele dimineţii 
 
Aici sînt eu, un rege mic, de dimineaţă. 
Un împărat cu ochii înceţoşaţi. 
 
Aici eu comand. Fac ce vreau: 
Pot să mă scol din pat. Să mă spăl 
Pe faţă, pe dinţi. Sau nu. 
 
Aici, un animal nemăsurat de mare 
Ascultă numai de mine. Fac ce vreau: 
Pot să-nchid ochii, să-l las să plece. Sau nu. 
 
Aici sînt eu. Un rege transparent al dimineţii. 
Un împărat cu ochii de ceaţă. 


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