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**** Koffi Kwahulé, Village Fou ou Les déconnards.

Par Ferrandh

koffikwahulvillagefououlesdconnards.jpgKoffi Kwahulè fait parti des grands écrivains africains. Babyface est indubitablement un chef d’œuvre et son second roman, Monsieur Ki, Rhapsodie parisienne à sourire pour caresser le temps, un bijou rythmé par un jazz tour à tour angoissé - anxiété de la solitude du co-narrateur délivré par le suicide – et capharnaüm frénétique - la folie d’un village où les clefs musicales se font anarchie ubuesque et nihiliste. Cette œuvre trouve sa source originelle dans une pièce de théâtre, Village fou ou Les déconnards , écrite par Kwahulé quelques années plus tôt : s’y retrouvent d’une part le co-narrateur suicidaire et visionnaire cloîtré dans une chambre de bonne à Paris ayant pour interlocuteur un magnétophone et d’autre part, ce village de fous, pardon de déconnards, Afrique indomptable aux origines fantasques. Cette pièce a probablement été reprise afin de donner au nouvel écrit un plus fort échos dramatique et irrationnel, une  claustrophobie insupportable : en l’occurrence, dans le roman, les confessions d’une platitude désespérante de la concierge de l’hôtel particulier sur ses maux juridiques avec son voisin sont d’une efficacité désarmante. Dans la pièce, Koffi Kwahulé insiste sur les rapports des africains partis en Europe avec une Afrique originelle isntinctive (fantasmée ?) qui se dérobe progressivement à leur raison et plus généralement à toute rationalité, du moins celle occidentale. C’est ainsi que le narrateur perdu, déraciné dans sa chambrette, s’adressant dans un soliloque aux soubassements fragiles au future locataire – l’autre co-narrateur -, livre ses dernières confessions sur une Afrique qui dorénavant lui échappe, coupé qu’il est de celle-ci ; sa seule compagne étant sa « pute » d’asthme qui par ses tortures lui assène les dernières aspérités d’une existence dérisoire et asphyxiante.  

« Je suis descendu (La chambre était au sixième étage) pour m’informer à son sujet auprès de la concierge. Elle me parla de Monsieur (c’est le mot qu’elle avait employé), en termes plutôt flatteurs. « Il était étudiant ». Elle insista sur sa gentillesse, la propreté « comme une jeune fille », crut-elle bon de préciser, et la discrétion de Monsieur. Sur sa solitude aussi. « Il pouvait rester des semaines entières là-haut sans descendre ». Voilà pourquoi lorsque Monsieur ne s’était pas montré pendant plus de deux semaines elle ne s’était pas inquiétée, « jusqu’à ce que le téléphone sonne et qu’on m’annonce que Monsieur ne rentrera plus ; ça faisait treize jours qu’il s’était jeté sous le métro une nuit. C’était le dernier métro. La télévision l’avait annoncé, mais je ne pensais pas que s’était Monsieur… Il a pris soin de tout ranger avant de partir. C’était quelqu’un de bien vous savez », p. 15 et 16.

Quel contraste stupéfiant avec les habitants de ce village africain, Djimi : à la solitude, au désespoir, à la complainte, à la souffrance, à la sobriété résignée, aux échos mortifères, la vie des villageois est bouillonnante, déraisonnable, rebelle à tout ordre établi ; une violence à la destruction étrangement régénératrice ; un identitaire qui fait fi des bonnes manières des soi-disant civilisés :

 « Tout se passe au pays, dans un village appelé Djimi, un village non loin de mon propre village. Un village qui fait peur à tout le monde, même au gouvernement. Un village de déconnards. Le village-fou, tel est l’autre nom de Djimi. Ah Djimi ! Si vous allez jouer au football chez eux et que vous gagnez le match ils vous frappent, si vous faites match nul il vous frappent, et même s’ils le gagnent ils vous frappent quand même. Du coup plus personne n’ose jouer chez eux. Même la sous-préfecture et au tribunal du chef-lieu, on refuse désormais d’avoir affaire à eux ; l’administration a tiré un trait sur eux et ne juge plus leurs palabres. Il y en a trop ! Je suis même sûr qu’à l’heure où je te parle, ils sont en train de se casser la gueule au pays », p. 17.

Djimi, irrespectueux, permissif, ne serait-il pas cette Afrique d’antan avant les compromissions, avant les convenances de toutes bonnes gouvernances dites civilisées que lui ont imposées les colons et reprises par les élites africaines ? Djimi semble bien être ce dernier village, pôle de résistance par les contorsions de ses corps qui ignore la soumission. Rien n’y fait, quelque soit les manœuvres de sape l’Afrique connaîtra toujours ce noyau essentiel, son essence originelle qui se dérobera à toutes contingences soi-disant raisonnables. Djimi est le mouvement perpétuel du corporel endiablé ! Et pour les Africains qui choisissent un autre chemin, celui de la seule raison ignorante de toute émotion à la manière de ceux partis en occident, la schizophrénie les guette. La solitude les emprisonne et les tue. Devenus étrangers chez les leurs en Afrique, dépersonnalisés, leur mort n’est qu’un fait divers parmi les autres, rien de plus. La vie au pays continue sans aucuns états d’âme.

« Ca doit être terrible de mourir à l’étranger. C’est comme si on n’avait jamais vécu. Parce que un étranger c’est quelqu’un qui accroche sa vie comme on accroche son manteau à l’entrée d’une maison ; c’est quelqu’un qui attend de vivre… », p. 42.

« Village fou ou Les déconnards » est un magnifique texte percutant, intriguant. Quelle pertinence ! Voilà une tragi-comédie dans laquelle l’auteur exprime sa vision d’une Afrique dédoublée ; un dualisme, une diachronie que le continent ne réussit pas à intégrer dans une seule identité culturelle dynamique. C’est une œuvre précieuse qui ne peut que ravir les amoureux d’un style délié qui sait se faire tantôt retenu tantôt fougueux.

  

koffikwahul.jpgKoffi Kwahulé, Village fou ou les déconnards, Editions Acora, coll. Théâtre, 2000, 60 p


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