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Mouvement d'adieu, constamment empêché, d'Isabelle Baladine Howald (par Florence Trocmé)

Par Florence Trocmé

Howald Ce livre d’Isabelle Baladine Howald donne le sentiment paradoxal d’une composition infiniment fragile tout en dégageant une grande force.  
En une vingtaine de pages à peine, elle trace un parcours, parcours dans l’espace et parcours dans le temps, redoublés constamment l’un par l’autre, parcours à la fois tremblé et scintillant.  
Trois mois, un déplacement, anodin en apparence mais dont on saisit qu’il est de très profonde résonance, qu’il fait jouer toutes sortes de dimensions émotionnelles et temporelles. À quelques millimètres à peine du silence et dans la recherche d’un scintillement, malgré l’oppression, l’angoisse, le poids causés à la fois par le changement d’un lieu vers un autre (on quitte et on va vers) et par le côtoiement à peine suggéré de la maladie et de la mort. Les personnes elles-mêmes sont volontairement presqu’indéfinies, tout au plus peut-on imaginer des très proches, un fils, un ami, des séparations dues au passage du temps ou à la mort.  
Il est d’autres présences tout aussi émouvantes, celles des écrivains et c’est une constante dans l’art d’Isabelle Baladine Howald de faire de certaines figures tutélaires, on peut citer André du Bouchet, Philippe Lacoue-Labarthe, Robert Walser, des présences aussi tangibles que celles des vivants qui l’entourent. Un peu comme Bernard Chambaz qui dit vouloir faire des noms des écrivains qui l’accompagnent constamment des noms communs (et chez lui cela passe par la suppression pure et simple de leurs majuscules).  
 
Le livre est construit en trois temps ; trois mois, août, septembre, octobre de l’année 2008, un peu comme un compte à rebours depuis le « juste avant de partir » initial.  
Il procède par courts énoncés numérotés, jours de 1 à 31 ou de 1 à 30 pour les deux premiers mois, mais 11 seulement pour octobre ; une ligne le plus souvent, un très court paragraphe parfois, comme des pas, dont on dira qu’ils sont dans la neige, tant la présence de Robert Walser semble constante : « il tient sa canne dans son dos, légèrement vêtu, avec son chapeau, il va partir en promenade, il neige, c’est deux ans avant sa mort » (p. 19). Cette évocation, à partir d’une photo, dit à la fois le départ et l’arrivée, puisqu’elle intervient à la toute dernière page du livre, sous cette photo, dans le nouveau lieu, là où l’auteur écrit désormais.  
Tension constante entre le mouvement vers l’avant, le désir d’aller dans ce nouveau lieu et tout ce qui retient, tout ce qui « constamment empêche ».  
Et parmi les soixante-douze énoncés, des emprunts très ponctuels, comme des échos de ce qui se vit, emprunts à Ohl, Sebald, Veinstein, Lacoue-Labarthe, Baudelaire, Giacometti, Descartes. Voix tout aussi présentes que celle de l’ami, celle du fils, dialogues intérieurs poursuivis à la recherche du « scintillement », en butte aussi à « l’impossibilité d’accéder au scintillement ». Scintillement : mot clé répété plusieurs fois (et notamment aux pages 7, 9, 16) 
 
Tout cela passe par une réflexion sous-jacente intense sur les moyens de dire : « mot est trop bref » (p. 7), « supprimer les points de suspension, cette faiblesse, cette hésitation. Garder la suspension, vers l’absence de soutien, comme telle, et comme décision. » (p. 13).  
Le travail sur les moyens de dire redoublant ici ce qu’il y a à vivre, s’éloigner du soutien, s’éloigner du bonheur antérieur, accepter une séparation nécessaire. Le départ et l’écriture impliquent une même exigence immense envers soi-même. Il faut vivre ce déplacement en raison de la claire conscience qu’on a de cette évidence : « me fait voir : le mouvement qui déplace les lignes, ainsi le scintillement » (p. 16). 
 
Fragilité d’un livre en permanence, au bord de la rupture, du silence, de l’effondrement mais qui tient, par les mots, entre tremblé et scintillement, un livre qui rend compte d’une migration autant extérieure qu’intérieure et de cet extraordinaire sentiment de soutien que donne la littérature :  « je vais dans le nouveau lieu, déposer la Correspondance de Celan et Adorno, et une petite plante. Rien d’autre. (p. 16).  
 
Florence Trocmé 
 
Isabelle Baladine Howald, Mouvement d’adieu, constamment empêché, La Cabane, 2010.  


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