Magazine Culture

Journal d'une âme : L'oiseau (10-12-2010)

Par Manus

Journal d’une גme : L'oiseau (10-12-2010)

Journal d’une âme : L'oiseau (10-12-2010)                    

                               Photo du site Michelle Dastier.

C’est l’histoire d’un oiseau.  Il est né dans une cage.  Ses parents, eux aussi, sont nés dans une cage.  Les parents de ses parents, les parents des parents de ses parents : tous sont nés dans une cage.  Il ne saurait plus dire quel fut le premier oiseau de sa lignée qui fut engendré dans un nid, niché dans le creux d’un arbre, ou reposant dans les griffes rassurantes des branchages.

Seul dans sa cage, il perçoit avec toute l’acuité de ses sens le monde qui l’entoure : à l’aube, à travers les fenêtres, les rayons du soleil lui réchauffent son petit corps alors même que toute la maisonnée sommeille; à l’unisson des bras de l’astre qui s’étendent, il distingue ses semblables qui, dehors, bénissent de leur chant le ciel s’éclairant.  Cette extraordinaire levée du jour l’exalte, quotidiennement, et avec la même régularité. 

La mélopée des siens montant vers les cieux, cette joie extérieure qui lui parvient jusque dans le fond du cœur, ne peuvent l’empêcher, à chaque jour qui s’effile, de trouver les barreaux de sa cage de plus en plus épais.

Dans la maisonnée, l’éveil s’accomplit à son tour : des portes claquent, des tintements de couverts émanent de la table, les voix des maîtres des lieux se font vivantes – riantes.  Une  nouvelle journée est sur le point de débuter.

Mais lui, l’oiseau, ne chante pas.  Il ne voit que ses barreaux qu’il trouve si gros.  Il rêve du dehors.  Il voudrait, lui aussi, voler avec les autres, là-haut ; sautiller de branche en branche ; se cacher derrière une feuille pour se protéger d’un astre trop éblouissant ; ou, tout simplement, battre des ailes pour le plaisir de les sentir se mouvoir.

Un jour, il décide de franchir les barrières de sa cage vers la liberté.  Grâce à son bec habile, les verrous de la porte de la cage sautent.  Elle s’ouvre.  Il peut partir.  Sans réfléchir, sans plus se poser de questions, le petit oiseau se jette au dehors et file vers l’inconnu et la liberté.

Il est grisé.  Vole comme un fou.  Chante avec les autres dans le ciel, dans les arbres, et même avec ceux qui picorent sur le sol.

Il est tellement heureux de cette nouvelle liberté qu’il veut monter haut vers le soleil ; celui-là même qui venait à lui tous les matins par derrière les fenêtres ; celui-là même qui lui réchauffait les plumes alors qu’il dormait encore. 

Déployant ses ailes à l’extrême, il s’élève, et se rapproche, se rapproche, de cette chaleur incandescente ; de cet astre qui depuis tant de temps fait battre son petit cœur.

Alors qu’il goûte à ces grands moments de liberté, il ne mesure pas que ses plumes commencent à griller ; que sa respiration se saccade ; que l’épuisement le guète. 

Mais il est trop tard : il a été trop vite, trop imprudent, trop près de ce qu’il croyait être la source de son bonheur – de plus, il perd la vue face au soleil brûlant.

Et il tombe.

D’un seul coup.

Comme une pierre.

Du haut des cieux.

La chute est vertigineuse.  Rapide. 

L’oiseau se rend bien compte de ce qui est en train de lui arriver : il devine se rapprocher du sol ; ne peut se mouvoir ; ne peut s’orienter ; ne peut s’exprimer.

Et il s’écrase.

De tout son long ; de tous ses os ; de toutes ses plumes éparpillées ça et là.

Les heures s’annoncent longues et pénibles ; les aurores et les crépuscules se succèdent ; les habitants de sa maisonnée s’inquiètent de son absence.

Alors que les oiseaux dansent et chantent autour de lui et fêtent la venue de chaque nouvelle saison, lui, le petit oiseau, se rétablit peu à peu de ses blessures. 

Si ses ailes se ressoudent, si ses plumes se regarnissent, s’il recouvre la vue, c’est surtout son cœur qui guérit.

Il a vu.  Il sait maintenant que cette liberté là ne lui convient pas.  Le petit oiseau comprend qu’il n’est pas fait pour voler comme ça : n’importe où, n’importe comment.  Et puis aussi, les habitants de sa maison lui manquent.  Et puis aussi, lui aussi, finalement, possède une vie,  bien à lui, qui ne peut ressembler qu’à lui, dans laquelle il s’adapte parfaitement.

Il a une vie…

Il a sa vie.

Celle des autres, la chaleur de l’astre, cette liberté qu’il magnifiait, n’est au fond pas sa vie.  C’est ce bonheur, cette liberté des autres qui l’a attiré.

Le petit oiseau se relève.

Il a un cœur.  Il a une âme.  Il a une vie.

Le petit oiseau se relève ; il choisit.

Décidé, il vole calmement vers sa maisonnée.

La fenêtre est entrouverte.

Sa cage repose toujours au même emplacement : face à la fenêtre. 

Il y pénètre, dans sa cage.  Ne referme pas la porte. 

Bien campé sur son trapèze, la porte de sa cage grande ouverte, le petit oiseau, enfin, peut chanter.

Sa voix s’élève et emplit la maison : son cœur bat en harmonie avec la joie procurée aux habitants de la maisonnée.

Ce chant est tellement puissant qu’il traverse les murs et les fenêtres, pour se faufiler dans les arbres, se hisser vers le ciel, et se joindre au chant des autres oiseaux qui, dehors, à écouter ce petit oiseau empli de paix et d’allégresse, rêvent de vivre dans une cage.

Savina.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Manus 379 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines