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Les tendres plaintes

Par Fibula
Les Tendres Plaintes, Yôko Ogawa, Actes Sud 2010, traduction du japonais par Rose-Marie Makino et Yukari Kometani
Les tendres plaintes
Chers lectrices, chers lecteurs, aujourd'hui je dois vous parler de ces auteurs que j'affectionne de façon un peu masochiste, ces auteurs que je vénère alors même qu'ils m'ennuient.
Oui ! Il existe une catégorie particulière d'auteurs qui ont cette double capacité. Ces auteurs ne m'agacent même pas. Je ne leur en veux pas et pour cause : chaque fois, je m'immerge le plus profondément possible dans leurs styles, je parcours leurs constructions au gré du courant que créent leurs plumes et dans le sillage de ces dernières, me laisse dériver pour atteindre des continents inconnus où le verbe, la proposition, l'adverbe et le nom sortent des flots, s'étirent naturellement tels des arbres savants pour atteindre la lumière la plus vive ou plonger le monde dans l'ombre la plus dense...
Bien entendu, vu le titre de mon article vous allez me dire : "vous allez voir, il va nous parler de Yôko Ogawa et l'ajouter à cette fameuse liste très personnelle des auteurs qui l'ennuient ! Quel enquiquineur ! Il pourrait plutôt nous parler du bouquin, on a déjà perdu neuf cent trente neuf caractères ! C'est pas très éco-litté-gique !" Rassurez-vous. J'y viens, j'y viens.
Donc, il y a très précisément trois auteurs auxquels je pense qui entrent dans cette liste. Trois auteurs qui ont pour point commun d'écrire de façon supérieure, d'écrire de façon à la fois si subtile et si juste qu'une simple phrase, qu'une simple succession de mots révèlent les profondeurs de l'âme humaine.
Trois auteurs qui par contre arrivent à m'ennuyer de temps à autre, pour une raison inconnue ; sans doute un trait de génie ?
Mais de qui est-il question ? Eh bien il y a Yôko Ogawa - Paf ! Je le savais ! - Paul Auster et Amélie Nothomb. Tous trois réussissent à capter mon attention, à me bercer de leur douce écriture pour des fois finir par me balancer dans un mur avec violence.
Là, il faut quand même que je précise quelque chose. Comment puis-je évaluer la qualité d'écriture de deux parmi les trois sachant qu'ils n'écrivent pas en français ? Eh bien pour Paul Auster, ce n'est pas compliqué, j'ai la chance de lire les livres en anglais et ces versions originales sont sublimes. Compte tenu de son succès j'imagine que les traductions sont bonnes...Par contre, pour Yôko Ogawa, c'est un peu plus compliqué étant donné que si je "parlote" le japonais, je ne le lis pas. Aussi je me vois obligé de passer par les traductions, françaises ou anglaises, afin de pouvoir goûter au nectar de son style. Donc je dois faire confiance aux traducteurs...
Pour en finir avec mon idée et atteindre ainsi le deux mille deux cent sixième caractère, ces trois auteurs ont donc également la capacité à me plonger dans l'ennui. Souvent - heureusement pas toujours - leurs histoires ne m'intéressent pas tant que leurs mots. C'est douloureux et terriblement frustrant. Par exemple, j'ai eu beaucoup de mal avec la Trilogie New-Yorkaise d'Auster alors même que j'ai littéralement adoré La Musique du hasard et Dans le scriptorium. Que dire d'Amélie Nothomb ? Je fonds littéralement à chaque phrase, mais dès que je sors une antenne pour voir de quoi il s'agit eh bien je suis des fois assez surpris. Par exemple, son dernier livre m'a laissé de marbre (Une forme de vie) alors même que j'ai dévoré Acide Sulfurique.
Concernant ces "Tendres Plaintes" de Madame Ogawa, eh bien c'est un peu ça. Les Tendres Plaintes, c'est l'histoire de Ruriko, calligraphe qui décide de quitter son mari qui la trompe et la bat pour trouver refuge dans un chalet familial. Là, elle fait la connaissance d'un facteur de clavecin et de son assistante. Celui-ci, ancien pianiste virtuose, ne joue plus devant le public, handicapé à vie par une phobie. Ruriko tombe amoureuse de lui mais ne tirera qu'une relation physique et amicale alors que son assistante, elle, l'entendra jouer... S'ensuit l'histoire d'une relation ambiguë entre les trois protagonistes, suivie par le vieux chien aveugle de l'assistante.
Cette œuvre, qui date de 1996 et tout juste traduite, est pour moi un double mystère. Tout d'abord, je ne retrouve pas la côté froid, chirurgical des relations humains que j'affectionne chez Ogawa. Ensuite, l'histoire d'amour est un peu plan-plan. Je sais, je suis pas gentil. Mais vraiment il n'y a pas de quoi fouetter un vieux chien aveugle !Rien à voir avec Une parfaite chambre de malade, La grossesse et encore moins Hotel Iris. Sans compter l'impressionnant, le sublissime, l'incontournable Annulaire.
J'arrive enfin à la conclusion de mon article.
Je suis à la fois un lecteur et une victime de ces auteurs incroyables. Et même si je n'ai pas tout lu, et même si je sais que j'ai très envie de tout lire, et même si je connais les risques que j'encours à me jeter corps et âme dans leurs univers, eh bien je suis heureux de les lire.
Je suis heureux que ces auteurs trébuchent de temps à autre. Parce que c'est dans leurs erreurs, dans ce retour à la condition humaine que je prends conscience de leur génie.
Surtout, n'oubliez pas chers lectrices, chers lecteurs, surtout n'oubliez pas que vous venez simplement de lire un avis très subjectif sur ces auteurs. Cet avis semblera certainement étrange, déplacé, de mauvaise foi pour beaucoup. D'autres s'y reconnaîtront.
Dans tous les cas, s'il ne devait en rester que trois...
Les Tendres Plaintes, un blague de la traductrice ou un manque de tolérance de ma part, par Yôko Ogawa.
François Nicaise

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