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Promenades parisiennes

Par Richard Le Menn

les promenades de paris 300 LES PROMENADES DE PARIS. C'est le titre d'une « Comédie en Trois Actes, Mise au Théâtre par Monsieur Mongin & représentée pour la première fois par les Comédiens Italiens du Roy dans leur Hôtel de Bourgogne, le sixième jour de Juin 1695. » La pièce se déroule dans deux importantes promenades parisiennes que sont le bois de Boulogne et les Tuileries. Elle met en scène une « fille de qualité », Elise, ayant trois amants : un « capitaine de dragons », un « jeune homme de famille » et un « homme de robe ». Ce dernier vieux mais riche, pour la séduire s'habille en petit-maître et lui offre un somptueux repas au bois de Boulogne, des spectacles et concerts aux Tuileries. Colombine, la suivante d'Elise a comme amants les trois valets des prétendants de sa maitresse. Cette oeuvre donne quelques informations sur cette gigantesque promenade qui part des Tuileries, puis à partir du tout début du XVIIIe siècle aussi des Boulevards, et se prolonge par le Cours (parallèle aux Champs-Elysées) et se poursuit jusqu'au Bois de Boulogne.  
LE BOIS DE BOULOGNE. La pièce commence au bois de Boulogne qui est décrit comme un lieu de promenade, d'enivrement, de gastronomie et de plaisirs : « C'est dans ce lieu délectable, / C'est dans ce charmant séjour, / Que les plaisirs de la table / Font venir ceux de l'amour. » Endroit   « … Où l'on sait la contraindre à flirter la linotte ! / Dans ces lieux la Coquette à la bisque se rend ; / Et pour la bisque aussi la Prude / Permet dans cette Solitude / Ce que partout elle défend. » Je ne sais ce que signifie exactement 'flirter la linotte', mais la linotte est un oiseau particulièrement joli (voir Wikipedia). 'Se rendre à la bisque' peut sans doute se traduire par : 'en profiter', 'profiter de la circonstance heureuse'.
lespromenadesdeparisfrontispicedetaila300 LES TUILERIES. Ces promenades sont véritablement un lieu de réjouissance et de spectacle où les acteurs sont aussi les spectateurs, c'est à dire les promeneurs. On y va au persil. Je parle longuement de ce phénomène, typiquement parisien et au fondement de la mode actuelle, dans l'article sur le Cours. Voici une manière d'aller au persil : « ELISE. Mais comment donc faut-il se promener ici, Colombine ? - COLOMBINE. Comme tout votre sexe, Mademoiselle. Il faut comme toutes les belles, ne pas hasarder ici une démarche naturelle. Êtes-vous avec moi dans la grande Allée, par exemple ; il faut me parler toujours sans rien dire, pour sembler spirituelle ; rire sans sujet, pour paraître enjouée ; se redresser à tous moments, pour étaler sa gorge ; ouvrir les yeux, pour les agrandir, se mordre les lèvres pour les rougir, parler de la tête à l'un, de l'éventail à l'autre, donner une louange à celle-ci, un lardon à celle-là. Enfin, radoucissez-vous, badinez, gesticulez, minaudez, & soutenez tout cela d'un air penché ; vous voilà à peindre aux Tuileries. Entrez en lice. » C'est une des manières de faucher le persil. Il y en a d'autres. On retrouve un petit peu de cela aujourd'hui chez les mannequins, lorsqu'ils sont sur le podium ou en séance.
Un autre passage décrit la promenade des Tuileries et celle du Cours. La première est présentée avec de petits châteaux, des terrasses et des jets d'eau et surtout quatre principales allées. Il y a la grande allée où le beau monde s'étale, et trois allées plus discrètes avec une comprenant des bancs pour parler à loisir, une autre « sombre » et « touffue » où se donnent les rendez-vous galants, et une quatrième pour les solitaires. On apprend aussi que certains s'y laissent enfermer la nuit pour s'y adonner aux plaisir de l'amour. A côté des Tuileries, le Cours est décrit comme la grande allée des équipages où on parade avec chevaux et carrosses. Voici ce passage : « Comment s'appelle ce château, / Ces terrasses & ces jets d'eau ? / Ces allées surtout ? / Qu'est-ce que ces allées ? / ARLEQUIN. / Voici comme vulgairement / La chose est appelée. / Tiens, devant nous premièrement / Voila la grande allée. / PIERROT. /  La grande allée ? / ARLEQUIN. / C'est la carrière du beau monde. / C'est là qu'avec grand appareil, / Au petit couché du soleil, / Viennent se mettre en montre & la brune & la blonde. / C'est là qu'on met à l'étalage / Dentelles, étoffes, & rubans ; / C'est-là que tous les ambulants / Viennent mettre à l'encan leur taille & leur visage. / C'est là que l'on se donne un public rendez-vous ; / Que tous les beaux objets se trouvent, / Et que tous ils se désapprouvent, / Parce qu'ils se ressemblent tous. / Voilà en peu de mots ce que c'est que la grande allée. Pour ces petites d'à-côté, l'une est l'allée de la fronde ou du contrôle. / lespromenadesdeparispartitions1300clair PIERROT. / Ces allées où sont ces bancs ? / ARLEQUIN. / Oui, c'est là qu'on s'assit pour médire à son-aise. / Que l'on parle du beau, du mauvais, & du bon ; / Enfin c'est là que tout se pèse, / Et qu'à chaque passant on taille le lardon. / PIERROT. / Et cette allée-ci si sombre & si touffue ? / ARLEQUIN. C'est l'allée des rendez-vous. / Ce qu'on dit, ce qu'on fait en semblable retraite, / Se devine assez entre nous. / Mais cette allée est fort discrète ; / Et dont bien en prend aux jaloux. / PIERROT. / Et cette autre allée où l'on ne se promène que seul à seul ? / C'est le séjour de la Misanthropie, / C'est là qu'un noir chagrin, que la mélancolie, / Se promènent matin & soir ; / Et là bien des humains se plaisant seuls, font voir / Qu'on peut se plaire, quoi qu'on dise, / En fort mauvaise compagnie. / PIERROT. Mais qu'est-ce que je vois là-bas ? Tatidié ! Quel bagage ! Qu'est-ce donc que cette allée-là ? / ARLEQUIN. / Où donc ? / PIERROT. Hé, là où se promènent tous ces chevaux & ces carrosses. / MEZZETIN. / Hé , c'est le Cours. / PIERROT. / Allons, faisons une descente dans ce Cours. / Je n'ai jamais vu tant de beau monde. Allons donc.  / ARLEQUIN. / Tout doux ; fantassin ni piéton / Ne vont jamais en ce canton. / L'on n'étale aux Tuileries / Qu'habits, rubans, modes, & broderies ; / Ici pour briller, tout mortel / Prend un mérite personnel ;  / Mais au Cours près duquel nous sommes, / Là ce sont les chevaux qui font valoir les hommes ; / Et parmi ces humains, & parmi ces chevaux, / Qui vont de mon côté, qui reviennent du vôtre, / On pourrait prendre l'un pour l'autre, / Sans faire de grands quiproquos. / Ces ballots, par exemple, & ces larges visages / Qui remplissent eux seuls de si grands équipages, / Ces gens, d'esprit comme de corps épais, / De leurs coureurs sont- ils pas les images ? / Mais, Cours, à tant de sots favorable carrière, / Parmi tous ces beaux chars, tous ces beaux étalons, / Que penses-tu de voir en carrosse à deux fonds, / Ceux que jadis tu vis derrière ? / C'est ici qu'un vrai spectre, un remède d'amour, / Est un Soleil en Carrosse à trois glaces ; / Six Chevaux bien croupés au Cours, / Entraînent après eux les cœurs, les ris, les grâces. / Un mérite roulant est une flèche, un dard, / Auquel il n'est point de rempart, / Et l'on ne trouve point de belle, / A qui les roues d'un beau Char, / Ne fassent tourner la cervelle. / Mais arrête, vois-tu ce petit animal, / Ce jeune Phaeton, qui pour frapper la vue, / Par une route trop battue, / Court en Carrosse à l'Hôpital ? / D'autres ambitieux, qui pour fuir cet outrage, / Aux dépens de leur ventre étalent un beau train ? / Vous autres bourgeois de village, / De cette ville aimeriez-vous l'usage, / Et vous réduiriez-vous à n'avoir pas du pain, / Pour avoir un bel équipage ? / Des chevaux bien nourris courent sous ce feuillage, / Dont les Maîtres meurent de faim. / Et ces chevaux de bonne mine, / Qui font si bien aller un Carrosse en ces lieux, / Font bien mal aller la cuisine. / Enfin dans ce grand Cours chacun à qui mieux mieux / Vient jeter de la poudre aux yeux. / Mais voici l'heure de mon concert, la nuit approche ; serviteur, Monsieur le Manan. / A nous revoir ici ce soir au clair de lune. / PIERROT. / Comment ? est-ce qu'on vient ici la nuit ? / lespromenadesdepariscarrosse300 ARLEQU1N. Sans doute ; & minuit c'est la plus belle heure des Tuileries. (Arlequin chante :) / Ce beau jardin que l'on admire / Est ordinairement, le jour, / Le théâtre de la Satyre, / Et la nuit celui de l'amour. / Dans le jour, la Blonde & la Brune / Y font étaler leurs attraits ; / Mais au demi clair de la Lune, / On y voit leurs charmes secrets. / PIERROT. Ah ! je souhaite donc que la nuit vienne au grand galop. Voilà qui est admirable, qu'on voit de si belles choses aux Tuileries, quand on n'y voit goutte ! (Pierrot s'en va.) »
Photographies : Les Promenades de Paris. Cette pièce, entière avec son frontispice et ses partitions des chansons, provient sans doute de la première édition ou d'une autre du tout début du XVIIIe siècle de : Le Théâtre Italien de Gherardi ou Le Recueil Général de toutes les comédies & scènes Françaises jouées par les comédiens Italiens du Roi pendant tout le temps qu'ils ont été au service. Enrichi d'estampes en taille douce à la tête de chaque comédie, à la fin de laquelle, tous les airs qu'on y a chantés se trouvent gravés-notés avec leur basse-continue chiffrée. Tome VI, de la page 87 à 160 avec 4 pages de musique in fine. Format : In-12 (15.5  x 9 cm). Le frontispice représente Arlequin en « fiacre » (cocher)  avec son carrosse en arrière plan, dans le bois de Boulogne, se versant à boire, entouré d'Elise (ici prénommée Isabella personnage de la commedia dell'arte et d'après Wikipédia nom de « la première femme à monter sur scène dans la capitale française ») et de Colombine. Même si la gravure est assez grossière d'exécution, elle n'en reste pas moins touchante et un véritable document sur les promenades parisiennes de la fin du XVIIe siècle.


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