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Brinn' Gaubast, Clerget, Morice... par G. Brandimbourg

Par Bruno Leclercq

Trouvé dans le Courrier Français du 12 octobre 1890, un curieux et virulent article de Georges Brandimbourg. Il s’attaque ici tout d’abord à son ancien ami Louis Pilate de Brinn’ Gaubast, dont il ampute le pseudonyme d’un N. Si l’on en croit Georges Oudinot, Brandimbourg participait aux réunions de jeunes littérateurs qui avait lieux le mardi chez Louis Pilate au dix sept de la rue Claude-Bernard vers 1885, mais depuis cette époque la campagne menée dans La Plume par Georges Bonnamour et Léon Deschamps contre Brinn’ Gaubast, allait faire de celui-ci un paria dans le monde des lettres. Brinn’ Gaubast était accusé du vol du manuscrit des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, alors qu’il était le précepteur de son fils Lucien (1). L’animosité contre Fernand Clerget et Hyren Nilhoc est plus étrange dans un journal qui accueillait leurs proses régulièrement au moins jusqu’en décembre 1889.
(1) voir Le Journal inédit de Louis-Pilate de Brinn’ Gaubast. Préface et notes de Jean-Jacques Lefrère avec la collaboration de Philippe Oriol. Horay, 1997.
Les Littéraires
(Suite)
par Georges Brandimbourg
Ce qu’ils croient être leur génie n’est que
le résultat d’une infirmité !
Nous disions que les faiseurs de littérature assoupissante qui, sous une apparence d’érudition, cachent la plus désespérante impuissance, s’étaient adressés à des cerveaux creux, certains d’y trouver de précieux disciples et par eux se bombarder chefs d’école.
Impuissants eux-mêmes, d’une complète ignorance de toute chose vécue, mais sachant très bien le jour et l’heure où Sophocle toussa pour la première fois, leur vanité n’a d’égale que la fatuité cassante de leurs adhérents. Venus en ce monde déguisés en génies, ils n’ont ouvert la bouche que pour téter la muse.
M. Louis-Pilate de Brin’Gaubast est certainement un type le plus réussi de ce genre de chef d’école prétentieux et nul. Ce n’est pas lui qui eût attendu sa descente en notre « vallée de larmes » pour étonner ses concitoyens : déjà, dans le ventre de sa mère, il commettait des vers,
Et la nourrice qui l’apporta
Recule épouvantée…

Je n’invente pas, je constate : Lisez plutôt, si vous en avez le courage, le Fils adoptif – un fils mort en naissant. – Il nous y est appris, en un style pénible, torturant, que M. Brin’Gaubast (de) étonnait sa nourrice, stupéfait ceux qui nettoyaient ses langes, ahurissait ses professeurs ; qu’il est né pour révolutionner l’art et créer le vérisme, que Zola n’a rien fait, que Richepin n’est qu’un crétin et qu’il était temps que Dieu comprît enfin notre désarroi littéraire et permit à lui, le vrai, le seul, l’incommensurable, de quitter les trônes et les dominations pour daigner venir en notre mesquine planète… s’épater soi-même.
Tous ne réussissent pas encore à former un groupe d’admirateurs, non qu’ils aient plus de talent, témoin M. Charles Morice, perpétuellement à la recherche du bataillon dont il sera le chef. Je ne sais si cette école qui périodiquement menace l’horizon serait celle de l’assimilation ; personne ne pourrait toutefois lui contester le droit d’en être le grand pontife. Puisant dans sa nullité toute sa fierté, sa prose imitée de Verlaine et de tous les auteurs connus s’en ressent étrangement. Son livre unique : La Littérature de tout à l’heure (cette littérature sera la sienne ; il devient donc aussi le héros de son livre), est une réédition de tout ce qui a été dit maintes fois par des penseurs français, russes et allemands, une compilation arrosée d’eau bénite à l’adresse des amis. N’y cherchez pas une idée nouvelle, une orientation quelconque, c’est d’un vide navrant. Ce pétard n’est pas encore une fusée.
Le talent de M. Charles Morice consiste en une prodigieuse mémoire et à faire croire. C’est ainsi qu’il parvient à cacher, pour un temps, son manque de conception, son incapacité grande de créer. François Coppée a peint en peu de mots son talentueux emphatisme en disant un soir, au café de Versailles : « Mais qu’il… donc, on verra ce qu’il peut faire ! »
Il n’y aurait pas à les discuter s’ils restaient à leur place et ne cherchaient par tous les moyens à nous éclabousser de leur moi immuable, si les Clerget et les Chaulin-Nilhoc de la littérature, vivants désastres de la pensée, ne promenaient partout leur insuffisance (insuffisance littéraire, j’entends : leur vie privée n’appartient qu’à eux), si dans leur touchante naïveté ils ne nous prenaient pour ces bons bourgeois poussant la crédulité aux dernières limites des plus lointaines frontières en venant afficher devant notre dédain les croyances qu’ils n’ont pas.
Cela les conduit à une exagération bouffonne. Ainsi, nous avons vu dans les quelques nouvelles qu’un hasard providentiel fit publier à M. Nilhoc Dieu accommodé à toutes les sauces. – Leur orgueil va jusqu’à Dieu et ne veut bon gré mal gré en descendre. – Dans ces nouvelles écrites avec l’eau d’une décoction de pavots sans sel ni poivre et surtout sans esprit, prétendant à la sensualité, nous y trouvons, là où il n’a que faire, le Dieu omnipotent, compétent, appétant, tant et tant qu’il paraît que c’est un genre. Nous trouvons même des versets de l’Evangile dans un conte où le sujet très vieux nous apprend qu’il existe des femmes se passionnant pour un assassin. Pourquoi ne fait-il réciter à ses personnages le Benedicite avant de faire l’amour ?
Je ne veux pas m’attarder dans une longue dissertation sur le style maladif de M. Fernand Clerget ni sur la prose ampoulée de M. Nilhoc, je ne discute que les idées y renfermées, et ce n’est pas chose facile de discuter ce qui n’existe pas. Mais alors, pourquoi ont-ils érigé en principe qu’aujourd’hui la modestie est une maladie, eux qui se portent si bien ?
Un modeste, M. Léon Deschamps, le sympathique directeur de La Plume, a certainement pondu plus que ces dédaigneux. Je ne dirais pas que les Contes à Sylvie, A la gueule du monstre, le Village, sont des écrits incomparables. C’est un peu jeune et pourtant, dans le Village, il se dégage par endroits une saveur campagnarde qui nous fait espérer de M. Léon Deschamps de futurs œuvres bonnes.
Jean Moréas, le poète délicieux, est un modeste.
Louis Dumur, l’auteur des pages vibrantes de la Néva, est un modeste.
Un modeste aussi révolté implacable, le maître Léon Bloy.
Ainsi, l’étrange Saint-Pol-Roux, une des physionomies les plus originales. On peut ne pas aimer l’outrance voulue de ses figures, mais on ne peut lui contester une force, une pensée puissante qui en font quelqu’un. Et je ne puis résister au plaisir de mettre sous les yeux des lecteurs du Courrier Français de lui cette pièce inédite.
A Alexandre Kieffer
Voici la vierge aux seins émus comme la vague,
Et le jeune homme à la prunelle de rubis.
Aux doigts rit le serment copieux de la bague.
Or c’est un loup dompté charmant une brebis.
La nuit jeune entendra la mourante caresse
Qui doit renaître un jour en costume d’enfant ;
Magnifique héritier qui, parmi la détresse,
Chante à la vieille argile un espoir triomphant.
Nous fûmes autrefois ce rose petit être,
Et notre père aussi, puis aussi notre ancêtre,
Jusqu’au souffle de la divine charité.
Car l’enfance est la barbe blanche et vagabonde
Du Premier-Brun qui crut en la Première-Blonde.
-Et c’est cela peut-être l’Immortalité !

Saint-Pol-Roux.
Je pourrais encore citer Vallette, Edouard Dubus, Albert Aurier, Gabriel Randon et prouver ainsi que l’aménité, une modestie fière ne sont pas incompatibles avec le talent.
Et point ne sera malaisé, dans ma prochaine chronique, de démontrer que, si certains sont restés seuls avec ce qu’ils n’avaient pas : leurs idées, c’est que le blason (plumes de paon sur chant de gueule) qu’un souffle fait vibrer à la porte de leur boutique nous à laissés froids.
Georges Brandimbourg.


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