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Romerico florido : un florissant Matheo Romero par Clematis et la Cappella Mediterranea

Publié le 20 décembre 2010 par Jeanchristophepucek
caesar van everdingen vertumne et pomone

Caesar van Everdingen (Alkmaar, c.1617-1678),
Vertumne et Pomone
, c.1637-40.

Huile sur bois, 47,9 x 38,9 cm,
Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.

Pour des raisons historiques, les artistes du Nord ont trouvé en Espagne une terre d’accueil particulièrement favorable qu’ils soient peintres, comme Hans Memling ou Jheronimus Bosch, ou musiciens, ainsi que l’atteste la fondation, par Charles Quint, d’une Capilla flamenca (« chapelle flamande ») implantée à Madrid dès 1516, où officièrent, entre autres, Gombert et Manchicourt. C’est sur la production profane d’un compositeur qui lui fut attaché que se penchent aujourd’hui Clematis et des chanteurs issus de la Cappella Mediterranea, dirigés par Leonardo García-Alarcón, dans une remarquable anthologie intitulée Romerico florido que vient de publier Ricercar.

Plus que la carrière couronnée de succès d’un étranger hors de son pays natal, c’est l’histoire d’une parfaite acculturation que nous conte le parcours de Matheo Romero. Né Matthieu Rosmarin dans une famille aisée de Liège vers 1575, il est envoyé à Madrid à la mort de son père pour y être employé en qualité de chantre au sein de la Capilla flamenca, alors dirigée par Philippe Rogier (c.1561-1596). Il y suit l’enseignement de ce maître durant huit ans avant de prendre à son tour la tête de cette institution, à l’avènement de Philippe III en 1598. À partir de cette date, celui qu’on ne désigne plus, depuis quatre ans, que par son nom espagnolisé ou par le surnom évocateur de Maestro Capitán, connaît une brillante ascension qui va faire de lui un des musiciens les plus en vue de tout le monde hispanique de son temps, comme en atteste la large diffusion de ses œuvres, de Naples jusqu’au Mexique. Ordonné prêtre en 1605, il devient le professeur de musique du futur Philippe IV dont l’amitié lui vaut, lors de l’accession au trône du souverain en 1621, le titre prestigieux de greffier de l’Ordre de la Toison d’Or. Ayant pris sa retraite en 1634, Romero meurt à Madrid en 1647.

diego velazquez portrait de philippe IV
La musique profane de Romero est passionnante à plus d’un titre car elle se présente comme un creuset où se mêlent le crépuscule et l’aurore de deux univers musicaux, ainsi que des influences venues de toute l’Europe, ce qui n’a rien de surprenant lorsqu’on connaît la vie du compositeur, qui lui a permis d’être au contact des principaux courants artistiques de son époque. D’un point de vue formel, si les traces d’une conception polyphonique encore renaissante sont encore bien perceptibles, notamment dans les pièces à 3 ou à 4 voix, elles cohabitent avec des tentatives de se couler dans le moule du madrigal, voire de la monodie accompagnée qui éclosent alors en Italie, tandis que des éléments hispaniques d’inspiration populaire, particulièrement évidents dans les pièces les plus dansantes, côtoient une rigueur d’écriture d’ascendance franco-flamande et une exigence d’expressivité tendant vers toujours plus d’individualisation et de théâtralité qui se ressent des expériences italiennes contemporaines. Si on tient à le résumer en quelques mots, l’art de Romero apparaît donc comme une floraison méridionale vigoureuse et chamarrée qui s’épanouirait en se nourrissant grâce à de solides racines septentrionales.

Le choix des œuvres qui composent Romerico florido (« Le petit romarin fleuri »), pièce que l’on peut considérer comme un autoportrait musical, soigné et souriant, de Romero, est particulièrement pertinent, car il permet d’explorer les multiples facettes de l’inspiration du compositeur, de l’ivresse de la danse à des effluves nettement plus mélancoliques (¡Ay, qué me muero de zelos, « Ah ! Je meurs de jalousie »). Les textes y parlent majoritairement des joies et des peines d’amour, sur un ton arcadien bien dans l’air du temps, parfois relevé d’un savoureux trait d’ironie (Coraçón, ¿dónde estuvistes?, « Mon cœur, où étais-tu ? »). Comme on pouvait s’y attendre, les instrumentistes de l’ensemble Clematis (photo ci-dessous) et les chanteurs issus de la Cappella Mediterranea, qui nous avaient régalés, au printemps dernier, d’un étincelant disque Frescobaldi, sont ici dans leur jardin et nous offrent un récital d’anthologie. Le mot qui me vient le plus spontanément à l’esprit est celui de naturel, tant leur lecture, tout en étant parfaitement idiomatique, ne tombe jamais dans la surenchère, respectant toujours cette juste mesure qui distingue les véritables artistes des poseurs. Il irradie de cet enregistrement une vitalité et une envie qui illuminent chaque morceau, réussissant tout à la fois à faire danser la nostalgie et à ne pas réduire la jubilation à une simple ébullition superficielle. Indubitablement, ce florilège a du cœur et il le donne sans compter.

ensemble clematis
L’ensemble Clematis, qui se bonifie disque après disque, confirme les qualités de chaleur et de solidité technique relevées dans Frescobaldi. La formation est ici plus étoffée, mais elle continue à enchanter par sa discipline, sa complicité, sa souplesse et le déploiement de couleurs qu’elle offre, aussi à son avantage dans le rôle d’accompagnateur que dans les deux pièces instrumentales où elle occupe seule la scène. Les chanteurs sont excellents et si la prestation sensuellement lumineuse de Mariana Flores est un des bonheurs incontestables de cette anthologie, il serait injuste de passer sous silence les qualités vocales de Capucine Keller, Fernando Guimarães et Fabian Schofrin qui la portent aussi par un investissement dramatique de tous les instants. Les quatre chanteurs incarnent réellement les personnages ou les situations, qu’ils font passer du statut de convention à celui de réalité tangible, palpitante. C’est de l’excellent travail, mené avec un véritable esprit de troupe où chacun vient avec les atouts qui sont les siens sans jamais chercher à tirer la couverture à lui. Maître d’œuvre de cette réussite, Leonardo García-Alarcón dirige ses troupes avec la fougue et l’intelligence qui sont en train de l’installer pour longtemps, sauf accident, au rang des directeurs d’ensembles baroques qui comptent. On devine sans mal le mélange d’exigence et de liberté qui caractérise sa vision de ce répertoire ; il fait mouche, soude les musiciens dans un même élan et l’enthousiasme contagieux qui irradie de cette réalisation emporte infailliblement l’auditeur.

Assurément, ce Romerico florido aussi flamboyant que sensible est une des parutions discographiques les plus vivifiantes de cette fin d’année et je vous le conseille sans aucune hésitation. Il représente le couronnement d’une année faste et passionnante pour Clematis, la Cappella Mediterranea et Leonardo García-Alarcón, artistes attachants qui nous réservent d’autres belles surprises pour 2011, et constitue une preuve supplémentaire que la curiosité et la jeunesse du cœur sont toujours plus payantes que la routine dans laquelle s’enlisent aujourd’hui bien des ensembles baroques.

matheo romero romerico florido clematis cappella mediterran
Matheo Romero (c.1575-1647), Romerico florido, Romances, Tonos humanos, Folías, Letrillas, Canciones.

Clematis
Cappella Mediterranea (Mariana Flores & Capucine Keller, sopranos, Fabian Schofrin, contre-ténor, Fernando Guimarães, ténor)
Leonardo García-Alarcón, orgue & direction

1 CD [durée totale : 61’04”] Ricercar RIC 308. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Romerico florido, Folía à 2
Mariana Flores

2. Caiase de un espino, Romance à 4

3. ¡Ay, qué me muero de zelos, Letrillo à 3
2e partie « Háganme, si muriere »

Mariana Flores & Capucine Keller

Illustrations complémentaires :

Diego Velázquez (Séville, 1599-Madrid, 1660), Portrait de Philippe IV, c.1656. Huile sur toile, 64,1 x 53,7 cm, Londres, National Gallery.

La photographie de l’ensemble Clematis est de Marie-Emmanuelle Brétel, dont le site Internet peut être consulté en suivant ce lien.


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