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levées, de Pierre Drogi (par Marie Séjourné)

Par Florence Trocmé

Drogi Les textes réunis par l’auteur ont été disposés de manière non chronologique dans ce livre qui emprunte son titre au premier ensemble, daté 2006-2007 et subdivisé en cinq sections qui occupent un tiers du volume. Suivent paquet salubre (2008), « fais au lieu de dit » (2009), Racine à la parole (2009) et : sa filleule (2002). 
La gravure de couverture, d’Istvan Gyalai, esquisse une élévation en équilibre : l’ambition et sa fragilité. Mais l’on demande : où sont ces levées, de quelle verticalité relèvent-elles, hormis l’écriture poétique, rythmée par la coupe ? Y aurait-il, en ces levées, l’esquisse d’un chemin induit par leurs bords ?  
Acte d’érection, modulé par le pluriel qui les éparpille, en dissémine l’effet. L’absence de déterminant accentue l’indétermination du geste. Sans que l’on sache s’il s’agit du substantif ou du participe, d’un processus ou d’un état. Et l’on demande : de qui, de quoi parle-t-on ? hormis d’une écriture dans le reflet de son geste. 
Levées, pour fédérer l’ensemble, pousse à penser que ce titre condense un art poétique, déplace l’expérience du monde dans la langue. Voire, avant la langue, comme le laisse entendre le quatrain liminaire : 
 
/boule qui pivote et qui marche maladroite 
à un point perdu glissée comme une lettre 
/persistance nue à un point du temps 
se baigne à l’odeur de lumière, sans les mots  
 
Une aventure infra-linguistique, portée par l’expérience de la vision. Paysage regardé, reflétant celui qui regarde, « en lutte » (9). Son effort vers ce qui s’offre. Plus tard, une autre posture dans « paquet salubre » : 
 
vision gratuite  (précieuse) 
  d’une loire   énigmatique (52) 
 
Et la lecture rencontre des énoncés qui subvertissent le(s) sens, des lieux qui reviennent. L’on se trouve face à des éclats, des morceaux, des brisures que favorise la spatialisation du vers.  
 
  fragments 
              mystérieusement 
                      laissés là 
de quelle tempête (27) 
 
Au lecteur d’entrer en résonance avec le « sans-parole que les mots insuffisants viennent prendre en charge » (73). L’auteur postule qu’un poème est « un lien adressé depuis derrière le langage et retourné hors-langage ». Il apporte une condition de son efficace : « Si la parole s’enracine dans le hors-parole, elle touche alors celui qui l’entend ou la lit dans sa propre perception du sans-parole ». Cela conduit à cette invite : « Lis inexactement ce que tu lis (… à partir de ton propre fond qui te fonde) » (74). 
Il s’agit d’un pari : entraîner le lecteur dans le sillage de son propre silence, comme peut le faire un fleuve. Jouant dans la langue… 
 
 
Marie Séjourné 
 
Pierre Drogi 
levées 
Atelier de l’agneau  


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