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Alexis Kossenko restitue fraîcheur et naturel aux concertos pour flûte d'Antonio Vivaldi :

Publié le 24 décembre 2010 par Philippe Delaide

Lorsque j'avais rencontré Alexis Kossenko il y a un peu plus d'un an, ce dernier m'avait parlé avec un enthousiasme très communicatif de son projet d'enregistrement de concertos pour flûte d'Antonio Vivaldi chez Alpha. Je me permets de reprendre ici ses propos : "les concertos enregistrés sont tous originellement écrits pour la flûte. Seul le RV 430, quasiment inconnu des flûtistes, dans la copie de Christoph Graupner conservée à Darmstadt, est sujet à controverse. On s'interroge en effet sur le fait qu'il s'agisse d'une transcription due à Christoph Graupner. Pour ma part, je ne le crois pas. Je pense qu'il se réfère à une intention originale de Vivaldi, aujourd’hui oubliée. Certains concertos (3 issus de l’opus 10) sont déjà assez connus (comme le « Chardonneret »). En revanche les autres sont restés jusqu’à présent peu enregistrés. Pour ce projet, un peu comme pour les concertos de CPE Bach, notre sélection a été guidée par la volonté de révéler des œuvres dont les tonalités et la facture sont très différentes. Par rapport aux versions enregistrées jusqu'ici, notre volonté est de revenir à une plus grande simplicité et, surtout, au chant, au "cantabile", plutôt qu'à la virtuosité à tout prix qui est le penchant naturel que l'on peut avoir sur les concertos de Vivaldi. Parmi l'ensemble des pièces jouées, nous avons notamment sélectionné trois concertos de l'opus 10, dont celui en fa majeur que nous jouons pianissimo, avec les sourdines, afin de tenter de retrouver une délicatesse que nombre d'enregistrements récents sur Vivaldi nous ont peut-être fait oublier. Nous avons enfin beaucoup travaillé sur l'ornementation, l'articulation permettant au caractère chantant, spécifique de la flûte, de s'affirmer. Les concertos ont donc chacun leur personnalité et nous espérons faire découvrir un Vivaldi plus aérien, chantant et d'une belle simplicité."

On tient ici une bonne synthèse de l'approche formelle d'Alexis Kossenko, restituée en tous points dans le disque qui a vu le jour en novembre dernier. Ce disque est une réussite indéniable à plusieurs titres : d'abord il s'agit d'une démarche raisonnée avec un véritable projet artistique : retrouver le caractère chantant, le naturel de beaucoup de ces concertos et, surtout, nous faire découvrir l'étonnante diversité de climats qu'ils restituent.

Ensuite, il y a la qualité de l'interprétation : la finesse, l'agilité, la musicialité du flûtiste sont indéniables. La cohésion avec l'orchestre est du même acabit que celle des enregistrements des concertos de CPE Bach. Alexis Kossenko dirige de la flûte l'ensemble Arte Dei Suonatori, constitué de jeunes musiciens polonais, tous excellents et dont la complicité est évidente.

Vivaldi Kossenko
Enfin, l'autre facteur contribuant à faire que ce disque est une réussite réside dans le livret du disque avec tout le travail passionnant et didactique d'Alexis Kossenko. Ce dernier nous propose une belle grille de lecture de chacun des concertos. Il nous fait partager avec un texte alerte et précis ses interrogations sur l'interprétation, nous révèle ce que pouvait être le processus de composition de Vivaldi, notamment le passage très intéressant où Alexis Kossenko considère (page 40 du livret) que le compositeur raisonne en mélodiste et non en harmoniste (penchant naturel d'un violoniste ne travaillant à l'origine que sur une seule clé ou plus compliqué que cela ?). Ainsi, pour reprendre le texte d'Alexis Kossenko, Vivaldi "écrit-il en général d'un bout à l'autre à partir de la ligne soliste, notant éventuellement quelques idées de contrepoint, mais plus généralement en réservant l'harmonisation complète pour l'étape suivante".

Le disque nous permet de découvrir une variété étonnante de facettes sur la liste des dix concertos interprétés. On y retrouve ceux qui incarnent la quintessence de la virtuosité vivaldienne avec une écriture nerveuse, virevoltante (ex : les deux concertos en sol majeur RV 436 et RV 438 ou en ré majeur RV 429 et RV 427), une certaine gravité, comme une forme de ténébrisme (avec un sfumate typiquement vénitien) (ex : concerto en la mineur RV 440), des références indéniables à l'opéra où la flûte se pique au jeu des modulations vocales et où même Vivaldi transcrit des arias pour la flûte (ex : concerto en fa majeur RV434). Enfin, certains d'entre eux, tout à fait singuliers et inclassables nous étonnent par leur fraîcheur et leur simplicité (le concerto en sol majeur RV 435, joué en introduction du disque, et qui serait l'original de l'opus 10 cité par Alexis Kossenko) ou, au contraire une certaine ampleur et majesté (le concerto en mi mineur RV 432).

On notera enfin une belle démarche esthétique avec le fait de "battre le rythme" avec une guitare pour certains concertos, ce qui apporte une couleur différente et surtout un dynamisme formidable, quelque chose d'enivrant sur les mouvements rapides.

La qualité d'enregistrement est excellente et, comme l'a déjà souligné et exigé Alexis Kossenko, les ingénieurs du son ne semblent pas avoir procédé à une mise en avant artificielle de la flûte. Bien intégrée à l'orchestre elle n'est a contrario jamais couverte par ce dernier et l'équilibre des masses sonores et parfait de bout en bout.

Alexis Kossenko est un musicien complet, passionné par son travail sur la flûte baroque et romantique et il a l'intelligence de ne pas céder aux sirènes de la facilité. Sa virtuosité pourait le conduire à enregistrer ces concertos au pas de charge en jouant "vite et fort" comme se plaisent à faire nombre de jeunes ensembles baroques. Tout au contraire, il exploite ses incroyables facilités techniques au service d'une lecture raisonnée avec une volonté constante d'équilibre de la forme, de restitution des nuances pour nous révéler l'extraordinaire richesse d'écriture de ces concertos. Mission pleinement accomplie. Ce disque fait incontestablement partie des coups de coeur 2010 du Poisson Rêveur.

Lien vers la note très intéressante faite par le blog Passée des arts sur ce disque.

Lien direct vers le site Alpha pour plus de détails.

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Antonio Vivaldi - Concerti per il flauto traversier - Alexis Kossenko, flûte et direction d'orchestre - Ensemble Arte Dei Suonatori - label Alpha.

Extrait : concerto en la mineur RV 440 - premier mouvement : Allegro con molto.


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