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Troubles massifs à la démocratie en Biélorussie

Publié le 24 décembre 2010 par Sylvainrakotoarison

Triste Noël 2010. Comme le loup blanc, le Président de la Biélorussie Alexandre Loukachenko n’a pas surpris son monde à l’occasion de l’élection présidentielle du 19 décembre 2010 au cours de laquelle il prétend avoir été réélu avec près de 80% des voix.

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Je l’avais déjà rappelé à l’occasion des dernières élections législatives du 28 septembre 2008 : Alexandre Loukachenko semble avoir deux modèles politiquement très incorrects, Staline et Hitler. De ce dernier, voici ce qu’il disait, sans un epsilon de gêne et avec le souci évident de provoquer : « Tout ce qui est lié à Adolf Hitler n’est pas mauvais. (…) L’Allemagne s’éleva grâce à cette force [présidentielle forte], grâce au fait que toute la nation était unie autour de son chef. ».

Loukachenko est un OVNI de la politique biélorusse et il a fait de son pays, la Biélorussie, une sorte d’énorme verrue antidémocratique dans une Europe complètement libre. Seul pays absent du Conseil de l’Europe (la Russie en est membre aussi), la Biélorussie est régulièrement citée pour ses atteintes à la liberté d’expression et ses violations des droits de l’homme. La peine de mort y est encore appliquée malgré les nombreuses protestations internationales.

Réélu pour un quatrième mandat

En dépit des nombreuses irrégularités et les fraudes qui ont été constatées par des observateurs indépendants et qui rendent cette nouvelle élection très peu sincère, Loukachenko s’est autoproclamé réélu avec 79,7% pour une participation de 90%. Un score légèrement inférieur au précédent scrutin présidentiel du 19 mars 2006 (82,6%). Pourtant, l’opposition avait reconnue qu’il était arrivé en tête du premier tour, mais avec seulement une trentaine de pourcents, pas quatre-vingts. Loukachenvo, déjà au pouvoir depuis seize ans et demi, peut encore s’imaginer à la tête du pays jusqu’en début 2016 !

Comme toujours, la solidarité internationale entre dictateurs est de mise. Chavez a par exemple salué la pseudo-victoire de son homologue biélorusse : « Nous félicitons le Président Alexandre Loukachenko ». Mahmoud Ahmadinejad fait partie, aussi, de ses amis. On pourrait imaginer aussi que, de Bouteflika (à la frontière de la démocratie mais du bon côté) à Mugabe (dont les fraudes ne trompent personne), tous ces Présidents se congratuleraient mutuellement pour se convaincre de leur légitimité populaire.

Mythes et populisme

Loukachenko s’est fait connaître autour d’un double mythe, celui de son thème anti-corruption qui a "renversé" son prédécesseur, le
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scientifique Stanislaw Chouchkievitch pourtant bien plus démocrate que lui (et lavé des accusations infondées de corruption) en été 1994, et celui du "soviétisme" et de l’anticapitalisme.

Il a fait croire, par exemple, qu’il a été le seul député biélorusse à refuser la dissolution de l’Union soviétique à Noël 1991 et la création de la Communauté des États indépendants, en cherchant à en tirer la même gloire que les rares parlementaires français (quatre-vingts) à avoir refusé d’accorder à Pétain les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940. Il avait créé en 1990 le groupe parlementaire des "communistes démocrates" (sans craindre l’oxymore).

Service après vente postélectoral à la matraque

Depuis qu’il est à la tête de la Biélorussie, ce roi Ubu n’hésite pas à utiliser la force policière pour museler l’opposition. La répression reste pour lui son meilleur outil de pouvoir. Il disait en 1997 pour se faire craindre : « Mon hélicoptère volera au-dessus de vos têtes presque chaque jour. ».

Ce fut encore le cas à l’issue de l’élection présidentielle dimanche dernier où ont été arrêtés sept des neuf candidats de l’opposition, à savoir le poète Vladimir Nekliaev (64 ans), Andreï Sannikov (56 ans), Nikolaï Statkevitch (54 ans), le démocrate-chrétien Vitali Rymachevski (35 ans), Ales Mikhalevitch (35 ans), Dimitri Ouss (39 ans) et le candidat soutenu par l’ancien candidat Alexandre Milinkevitch (qui avait obtenu le 19 mars 2006 7% mais revendiqué 21%), Grigori Kostoussev (53 ans). Nekliaev a même été tabassé et envoyé à l’hôpital de Minsk (et l’ambassadeur américain s’est inquiété de son sort car il aurait été ensuite mystérieusement enlevé).

La raison ? Parce qu’ils auraient manifesté dans les rues de Minsk contre les fraudes électorales patentes. Les deux principaux candidats de l’opposition seraient Sannikov (conservateur pro-européen) et Nekliaev (centriste) qui auraient obtenu, selon un sondage à la sortie des urnes qui créditait Loukachenko de "seulement" 72,0%, respectivement 6,3% et 4,5%.

Enfin, pas tous, car selon un autre candidat de l’opposition, Iaroslav Romantchouk (44 ans), certains candidats ont été arrêtés chez eux : « Quelques candidats ont été arrêtés sur la place de l’Indépendance, d’autres ont été pris à leur domicile ». Romantchouk ne doit sa liberté que parce qu’il a évité de rentrer chez lui par précaution. Viktor Terechtchenko (60 ans), ancien chef de l’administration présidentielle de Loukachenko en 1994 et candidat libéral socialiste des PME, n’a pas non plus été arrêté.

La réaction de Loukachenko est insignifiante car disproportionnée. Il a ainsi dit le 20 décembre 2010 : « Ce qu’on a essayé de faire hier à Minsk, ce n’est pas la démocratie, c’est du banditisme. Les vandales et les casseurs se sont déchaînés. ». Six cent trente-neuf manifestants ont été emprisonnés et pourraient être condamnés à quinze ans de prison pour « organisation de troubles massifs à l’ordre public ».

Un isolement international quasi-généralisé

Ses relations avec son "grand frère" russe sont loin d’être idylliques puisqu’il n’a pas hésité à dénoncer la main de Moscou parmi les candidats de l’opposition. Le 16 septembre 2010, Loukachenko était très clair dans sa conception de la démocratie et du pluralisme politique : « Ce ne sont pas des opposants. Ce sont des ennemis du peuple. Ils sont présents partout où il est possible de nuire à l’État. Lorsque l’Europe et les États-Unis exerçaient des pressions sur nous, ils y étaient. Aujourd’hui, alors que Moscou nous écrase, l’opposition est déjà en Russie. ».

Des propos très nationalistes et anti-communauté internationale (Américains, Européens et Russes réunis) qu’il pourrait être tentant de mettre en parallèle avec les propos actuels de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Les Russes, anciens colons de la Biélorussie…

Coupée du monde, la Biélorussie a pourtant besoin de la fourniture en énergie de la Russie. Loukachenko se fait l’apôtre de l’anticapitalisme et voudrait garder le mode de vie soviétique pour faire barrage à la mondialisation. Il voulait même la fusion entre la Russie et la Biélorussie dans le but à peine voilé de se présenter à l’élection présidentielle russe de mars 2008 (il avait même commencé sa campagne sur Internet). Mais Vladimir Poutine semblerait, au contraire, le prendre pour ce qu’il est, à savoir un roitelet plutôt dangereux qui peut compromettre sa propre politique diplomatique accès sur l’ouverture vers l’Occident.

Loukachenko avait ainsi refusé de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud et l’Abkhasie afin de faire monter les enchères de son soutien et d’obtenir une aide financière de Moscou.

La Russie a au contraire encouragé la tendance à lui faire payer son gaz à un prix normal et pas préférentiel : aujourd’hui à cent quatre-vingt-cinq dollars les mille mètres cube de gaz russe, Gazprom pourrait augmenter le prix début 2011 à deux cent cinquante dollars, ce qui pourrait remettre en cause la stabilité sociale de la Biélorussie (cette augmentation plomberait les dépenses énergétiques de 2,5% du PIB national). C’est d’ailleurs la principale raison de l’avancée de la date de l’élection présidentielle prévue initialement pour mars 2011.

Du coup, la Russie s’est bien gardée de commenter cette nouvelle élection (au contraire des précédentes élections), le Président de la Fédération de Russie, Dimitri Medvedev ne se mouillant pas en évoquant « une affaire intérieure à la Biélorussie » (début octobre 2010, Medvedev avait fortement condamné la campagne anti-russe de Loukachenko et lui avait reproché de « ne pas se contenter d’enfreindre les règles diplomatiques, mais d’outrepasser les limites de la décence élémentaire dans les relations humaine ») alors que le nouveau Président de l’Ukraine Viktor Ianoukovitch et le Président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbayev ont félicité Loukachenko.

L’OSCE avait émis des réserves sur la sincérité des trois dernières élections présidentielles : 9 septembre 2001, 19 mars 2006 et 19 décembre 2010 où Loukachenko était réélu dès le premier tour avec des scores très soviétiques (autour de 80%).

L’avenir en stand by

Un peu comme tous les dictateurs, celui du Turkménistan entre autres, Alexandre Loukachenko, qui a 56 ans (il n’en avait que 39 et demi lorsqu’il prit le pouvoir démocratiquement), cherche depuis deux ans à faire de son plus jeune fils, Kolia, 7 ans, né d’une liaison extraconjugale (ce qui peut choquer la société biélorusse encore très puritaine sur les mœurs), son possible successeur dans quelques décennies, ce qui l’a encouragé à l’amener avec lui lors de quelques uns de ses déplacements internationaux (rencontres avec le pape Benoît XVI et avec Vladimir Poutine).

La Biélorussie de Loukachenko a du mal à se tourner vers l’avenir. Et l’avenir, ce n’est pas de stagner dans une sorte de stalinisme anachronique, immobiliste et stagnant dans un régime autoritaire qui refuse la libre expression politique.

Le véritable enjeu de demain

Pour cela, l’opposition devra être capable de s’unir en se fédérant dans un grand mouvement démocratique et de se désigner un seul leader capable de combattre politiquement Alexandre Loukachenko qui réussit, par des propos populistes et démagogiques, à garder l’adhésion d’une partie de la population (évaluée à environ un tiers des électeurs) qu’il cultive en faisant régulièrement du sport en public ou en s’affichant devant les caméras de télévision aux côtés des autorités religieuses (orthodoxes), à l’instar de Vladimir Poutine.

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’est, à mon sens, plus que les fraudes électorales, l’absence de leadership de l’opposition qui a fait, jusqu’à maintenant, le tort de la démocratie en Biélorussie et qui a maintenu Alexandre Loukachenko dans sa certitude qu’il est l’homme providentiel des Biélorusses.

Une situation qui est encore loin de la Côte d’Ivoire où l’opposition avait réussi, tant bien que mal, à se fédérer autour d’Alassane Ouattara (qui avait reçu le soutien de Bédié), et où l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 n’a pas été entachée de fraudes massives.

C’est aussi par cette absence de leader de l’opposition qu’est évité en Biélorussie le risque de guerre civile. En ce sens, hélas, Loukachenko peut encore espérer diriger son pays pour de nombreuses années…

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 décembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Les élections législatives du 28 septembre 2008.
Mandats présidentiels multiples ?

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http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/troubles-massifs-a-la-democratie-86389

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-233




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