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Le Collegium Marianum révèle les Concertos et Sinfonias de Frantisek Jiránek

Publié le 28 décembre 2010 par Jeanchristophepucek
franz christoph janneck conversation musicale

Franz Christoph Janneck (Graz, 1703-Vienne, 1761),
Une conversation musicale
, sans date.

Huile sur cuivre, 35,5 x 47,3 cm, Bayreuth, Staatsgalerie.

Depuis un peu plus d’un an, le label Supraphon a lancé une collection destinée à documenter la musique entendue à Prague au XVIIIe siècle, initiative courageuse qui nous a valu quelques belles parutions (voir ici et ) malheureusement passées assez inaperçues en France. Deux nouveaux titres viennent de paraître, dont l’un consacré à un quasi-inconnu, František Jiránek, qui, outre son indéniable intérêt documentaire, permet de retrouver l’excellent ensemble Collegium Marianum.

De Prague à Dresde, en passant par Venise, le parcours de František Jiránek illustre assez bien la fascination qu’exerçait l’Italie dans l’Europe de l’Est, tous domaines artistiques confondus. On en sait rien de la formation de celui qui, né le 24 juillet 1698 à Lomnice nad Popelkou, se trouvait au service du comte Wenzel Morzin (1675-1737), dédicataire du célèbre Opus 8 de Vivaldi, dès le début des années 1720. Sans doute Jiránek avait-il montré de solides dispositions musicales pour que son maître non seulement le remarque, mais surtout l’envoie parfaire ses connaissances à Venise deux ans durant, de 1724 à septembre 1726, très probablement auprès de Vivaldi, avant de le réintégrer au sein de l’orchestre qu’il entretenait à Prague. Le jeune compositeur s’installa et fonda une famille dans la cité, où il demeura jusqu’à la mort de son patron, en 1737. Il entra alors au service, à Dresde, du très puissant comte Heinrich von Brühl (1700-1763), un homme dont les qualités politiques étaient aussi douteuses que son amour pour les arts touchait à l’exaltation. Mécène dispendieux, il possédait une énorme collection de tableaux ainsi qu’une des plus vastes bibliothèques privées de toute l’Europe centrale. Le fait que Jiránek, engagé en qualité de violoniste, ait été un des musiciens les mieux payés de l’orchestre du comte laisse songer que sa réputation devait être importante à l’époque. Il survécut 15 ans à ce second patron et, après avoir été mis à la retraite en 1763, Jiránek mourut à Dresde en 1778.

johann alexander thiele vue dresde lossnitzhohen
Les pièces qui nous sont parvenues sous son nom sont exclusivement instrumentales, de chambre (sonates pour violon, trios) ou orchestrales (sinfonias et concertos). Elles semblent confirmer l’hypothèse d’un apprentissage auprès de Vivaldi ou, à tout le moins, une fréquentation poussée et une assimilation parfaite de son style, éléments auxquels s’ajoute un talent mélodique certain qui permet à Jiránek de produire une musique très fluide et chantante, tout à fait dans le goût du style « galant » dont la vogue commençait à se faire jour dans les années 1720. Cette relative simplicité d’une écriture pensée pour être agréable plus que marquante est particulièrement patente dans les sinfonias, écrites sur le modèle tripartite propre aux ouvertures d’opéra. Les ambitions des concertos sont supérieures et si ces derniers répondent toujours au même idéal de séduction immédiate, ils attestent d’une réelle connaissance des capacités des instruments solistes – flûte, basson et, bien entendu, violon – et laissent apparaître des tournures révélatrices de recherches formelles (début du Concerto pour basson en sol mineur, présence de mouvements fugués) mais aussi d’une sensibilité qui peut se teinter d’un rien d’Empfindsamer Stil (« style sensible »), comme le démontrent les surprises et le caractère assombri du Concerto pour violon en ré mineur (probablement écrit à Dresde et que je suis tenté de dater des années 1750), qui reprend à son compte l’héritage vivaldien (avec, parfois, de quasi-citations) tout en regardant assez nettement vers le préclassicisme. Notons, pour finir, que les mouvements lents, d’une belle inspiration, des quatre concertos proposés dans cet enregistrement semblent marqués du sceau d’une vive sensibilité, songeuse voire nostalgique.

Le Collegium Marianum (photo ci-dessous), dirigé par la flûtiste Jana Semerádová, aborde ces partitions avec beaucoup de naturel et une finesse qui rend parfaitement justice à des pièces qu’une approche univoque aurait pu faire sombrer rapidement dans l’ennui. L’ensemble a su s’adjoindre, pour les deux concertos pour basson, les services de Sergio Azzolini dont la sonorité charnue et la musicalité sont très appréciées des amateurs de musique baroque. Le choix de tempos allants sans être précipités, une constante bienvenue de cet enregistrement, lui permet de laisser s’exprimer la verve mais aussi la poésie qu’il sait faire naître de son instrument. A la flûte traversière, Jana Semerádová fait montre des qualités de rondeur et de vivacité qu’on lui connaît, délivrant un jeu pétillant, très fluide et lumineux, qui sait se faire intime et touchant dans l’Adagio du Concerto pour flûte, chanté comme un rêve.

collegium marianum
Marina Katarzhnova hérite, elle, de l’exigeante partie soliste du Concerto pour violon et s’en acquitte avec les honneurs, peut-être un rien en retrait dans l’Allegro non molto liminaire, mais aussi intérieure dans le mouvement lent qu’épanouie dans les sinuosités de l’Allegro final, emporté avec ce qu’il faut de maîtrise et d’autorité. En formation d’une petite dizaine d’instrumentistes, le Collegium Marianum fait montre d’une belle discipline et d’une sensualité très séduisante, soutenue par une prise de son légèrement réverbérée qui apporte un supplément de corps à la sonorité sans la brouiller. L’articulation est ferme sans être trop appuyée, la palette de couleurs attrayante, les dynamiques dosées avec justesse. C’est d’ailleurs le mot d’équilibre qui me vient spontanément à l’esprit pour définir l’impression globale qui se dégage de ce disque, et cette sensation doit certainement beaucoup à la direction de Jana Semerádová qui conjugue à merveille précision et respect du caractère chantant d’œuvres imprégnées comme nous l’avons vu, d’esthétique italienne et galante, et fait de ce disque une entreprise de redécouverte réussie.

À celles et ceux qui souhaitent sortir des sentiers battus et découvrir un très intéressant compositeur du XVIIIe siècle, je conseille donc ce disque Jiránek du Collegium Marianum, plein de raffinement et de sensibilité. Souhaitons à Supraphon de poursuivre avec autant de bonheur, dans les mois à venir, sa politique de défrichage des partitions qui faisaient les beaux jours de Prague à la fin de l’époque baroque.

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František Jiránek (1698-1778), Concertos & Sinfonias

Sergio Azzolini, basson
Marina Katarzhnova, violon
Collegium Marianum
Jana Semerádová, flûte traversière & direction

1 CD [durée totale : 66’50”] Supraphon SU 4039-2. Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

Extraits proposés :

1. Sinfonia en ré majeur :
[I] Allegro

2. Concerto en sol majeur pour flûte, cordes & basse continue :
[II] Adagio

3. Concerto en fa majeur pour basson, cordes & basse continue :
[II] Adagio

4. Concerto en ré mineur pour violon, cordes & basse continue :
[III] Allegro

Illustrations complémentaires :

Johann Alexander Thiele (Erfurt, 1685-Dresde, 1752), Vue de Dresde depuis les Lössnitzhöhen, 1751. Huile sur toile, 103 x 156 cm, Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister.

La photographie du Collegium Marianum est tirée du site internet de l’ensemble.


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