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Riveneuve Continents : Afrique, en toutes indépendances

Par Gangoueus @lareus
J'aime ce timing. Terminer l'année sur ce blog avec un billet touchant à l'euphorie du cinquantenaire des indépedances africaines. Surtout du précarré francophone d'Afrique noire.
J'aime ce timing. Désolé pour l'anglicisme. Les québècois qui pourraient s'en offusquer ne fréquentent pas assez ce blog pour lancer une pétition. Ca viendra...
Le sujet des commémorations de ces indépendances me passionne depuis que j'ai vu jubiler les chefs d'état africains regardant leurs troupes défiler le 14 juillet 2010 sur les Champs Elysées... Il n'y avait pas de quoi pourtant.
Riveneuve Continents : Afrique, en toutes indépendancesLa revue Riveneuve Continents a donné, à l'occasion de la parution de son onzième numéro, la possibilité à de plusieurs écrivains africains de langue française de porter leur regard sur ces indépendances, chacun usant du genre dans lequel il excelle pour donner son point de vue. Il est intéressant de souligner la pertinence, la diversité, les aires culturelles représentées, les différentes générations partant de l'incontournable Cheikh Hamidou Kane au talentueux Edem Awumey, la panoplie est large.
Ces regards croisés sont intéressants même s'ils ne sont pas chargés de la même densité dans le discours. Il faut croire que selon les héritages reçus des pères de l'indépendance, l'engagement, le propos n'est pas le même. Je prendrai l'exemple de la plupart des auteurs camerounais qui se sont exprimés : la parole du Mpodol et de ses compagnons de lutte est plus que vivante chez Léonora Miano, Flaubert Djateng ou encore Patrice Nganang. Surement parce que le Cameroun est le seul pays de l'espace francophone où des indépendantistes (UPC) ont continué leur lutte de libération alors que une indépendance de façade avait été octroyée. Le texte de Léonora Miano souligne cette nécessité de la transmission de cet héritage que les sbires de la Françafrique ont tenté avec efficacité de museler. Mpodol. Le silence. Les plaies non cicatrisées du Cameroun.
Sans dire un mot, elle prit dans les siennes la main de son arrière-petite-fille. Elle avait envie de lui parler. De ce passé-là. Du pays, tel que l'envisageaient ceux de sa génération, lorsque le peuple avait eu la volonté de l'habiter véritablement. Cette terre avait connu une époque au cours de laquelle ceux qui n'avaient pas, au préalable, eu le projet de vivre ensemble, se retrouvant de fait dans un espace conçu et nommé par d'autres, s'étaient mis en marche, main dans la main, pour investir les lieux.Acceptant à la fois les frontières et le nom coloniaux, ils avaient décidé de donner du contenu à cela. La terre s'était ouverte sous leurs pieds. Des flammes étaient tombées du ciel. Les balles avaient sifflé, percé, réduit au silence.

Léonora Miano, Mpodol, page 23
Il y a l'héritage. Il y a les maux. "Cherchez le sorcier!" propose le journaliste et écrivain ivoirien Venance Konan. Le ton chargé de sarcasmes, il nous assène :
Nous ne sommes responsables de rien en Afrique. Tout est de la faute de l'autre. Du sorcier. Alors ce qui n'a pas marché pendant cinquante ans de nos indépendances, c'est forcément la faute au sorcier. Et le sorcier en l'occurrence, selon les endroits et les époques, s'appellera soit la France, soit la colonisation, soit l'esclavage, soit le néocolonialisme, soit les trois à la fois.

Venance Konan, Cherchez le sorcier, page 67
On ne peut s'empêcher de lire entre les lignes de Véronique Tadjo que l'Afrique continue de reproduire ses cycles infernaux non exorcisés du passé, quand la romancière ivoirienne se sert du scandale du Probo Koala, pour illustrer la sentence suivante Les aînés nous ont servi l'avenir sur un tas d'ordures!
Et le Probo Koala, navire pétrolier taquant sur les eaux du port d'Abidjan, comme jadis ces bateaux négriers vendant les Noirs en esclavage, les emportant loin de leur terre pour en faire des hommes-cheptel, des hommes moins-que-rien, des hommes-sans-visage et sans nom. Détruisant leur passé, leur présent, leur avenir. Vendus, nous le redisons, vendus par nous-mêmes.

Véronique Tadjo, L'indépendance face au malheur, page 59
Sony Labou Tansi s'incarne par le biais de la plume de Joseph Tonda pour nous proposer un texte torride, chargé de sexualité, fantastique, mais dont le message est sans équivoque. Il faut que meure le cadavre de l'indépendance.
Il serait difficile de citer tous les intervenants pour cette parution. Comme le souligne le quatrième de couverture :
L'histoire de ces indépendances recouvre des vies singulières, des expériences, des regards de tous les jours que ce numéro tente de restituer dans leur épaisseur matérielle et leur tissu microscopique, leur conscience vive et leur modification permanente. Sous la figure emblématique des indépendances politiques, et du demi-siècle écoulé depuis, écrivains, artistes et intellectuels font part de leur vécu, del leur imaginaire, deleurs sentiments et de leurs analyses. Et nous révèlent leur Afrique, en toute indépendance.

C'est l'exercice, à mon humble avis, réussi de la juxtaposition d'une anecdote d'une femme jouissant du moment de l'indépendance et dansant sur le fameux chachacha du Grand Kallé, se projetant dans 50 ans pour faire le bilan (par Couao-Zotti) à côté de l'analyse très technique et particulièrement brillante de Ludovic Obiang sur  un parallèle entre l'interprète colonial et l'homme d'état africain actuel.
Bonnes lectures !
Riveneuve Continents, Afrique, en toutes indépendancesRevue n°10
Alain Sancerni, Cheikh Hamidou Kane, Felwine Sarr, Léonora Miano, Bernard Mouralis, Florent Couao-Zotti, Edem, Lionel Manga, Flaubert Djateng, Véronique Tadjo, Venance Konan, monique Agénor, Joseph Tonda, Bill Kouelany, Antoine Tshitungu Kongolo, Patrice Nganang, Ludovic Obiang, Gabriel Mwènè Okoundji, Abdourahman A. Waberi, Christophe Cassiau- Haurie, Hélé Béji

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